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Les conséquences d’El Niño

Anomalie thermique des eaux océaniques pacifiques, El Niño agit comme un catalyseur de changements radicaux.
Une femme brésilienne désespérée par les dégâts d'El Niño - Caroline Ferraz/Sul21.com.br | CC BY-NC-SA 3.0 BR DEED
Une femme brésilienne désespérée par les dégâts d’El Niño – Caroline Ferraz/Sul21.com.br | CC BY-NC-SA 3.0 BR DEED

D’après une étude de l’Université de Dartmouth publiée en 2023 dans la revue Scientifique Science, le phénomène climatique El Niño devrait coûter près de 3000 milliards de dollars à l’économie mondiale d’ici 2029. Une sacrée somme à débourser pour un événement océanique pourtant inconnu de l’opinion publique.

Anomalie thermique des eaux océaniques pacifiques, El Niño agit comme un catalyseur de changements radicaux, influençant les conditions météorologiques, économiques et sociales à l’échelle planétaire. Ses conséquences néfastes sont donc multiples, ce qui est en fait un enjeu de préoccupation majeur à l’heure où le dérèglement climatique s’aggrave de jour en jour.

Retour sur les conséquences d’El Niño, et plus particulièrement sur les défis posés par ce phénomène climatique

El Niño : phénomène ancien aux conséquences modernes

Connu depuis des siècles, El Niño ne peut plus aujourd’hui se résumer à une curiosité locale. Ayant pris une dimension nouvelle avec l’avènement de la science moderne, l’anomalie climatique est devenue de nos jours un acteur majeur du paysage mondial grâce à ses effets dévastateurs transnationaux.

Histoire et fonctionnement théorique d’El Niño

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, El Niño n’a pas été nommé récemment. C’est en effet au XIXème siècle que des pêcheurs péruviens et chiliens ont commencé à utiliser cette appellation pour qualifier le réchauffement certaines années de leurs eaux à partir de décembre, qui faisait fuir les poissons.

Une référence à la période de naissance de Jésus, plus ou moins pertinente aujourd’hui, puisque le phénomène fait plutôt figure aujourd’hui d’enfant terrible que de messie… Mais qu’est-ce donc réellement que cette anomalie climatique ?

En règle générale, dans le Pacifique, on retrouve des eaux froides à la surface au large du Pérou, et au contraire des eaux plus chaudes en Indonésie, en Papouasie et dans le nord de l’Australie. En cause, le fait que les alizés soufflent d’est en ouest, ce qui pousse naturellement les eaux chaudes vers l’ouest de l’océan Pacifique. Du fait de cette température aquatique élevée, les précipitations sont par conséquent plus fortes dans cette zone, parce que l’évaporation y est plus importante. À l’inverse, elles sont moins courantes dans le Pacifique Est.

El Niño vient complètement remettre en question ce schéma climatique. Lorsqu’il est actif, les vents d’est faiblissent, voire s’inversent, ce qui fait que les eaux chaudes ne sont plus repoussées vers l’ouest, mais vers le centre et l’est du Pacifique. De ce fait, les températures aquatiques augmentent directement de plusieurs degrés dans ces zones

Mouvement des eaux de surface durant El Niño – NOAA Photo Library via Picryl.com | Domaine public

Ces conditions climatiques particulières perdurent en général entre 9 et 18 mois, pour une périodicité comprise entre deux à sept ans pour les épisodes d’El Niño les plus extrêmes. Actif depuis juin 2023, avec un summum atteint entre novembre et janvier, El Niño a selon les météorologistes de fortes chances de plier bagage en juin 2024, au profit de La Niña, phénomène climatique aux effets inverses.

Un départ très attendu, puisque El Niño impacte de manière très négative les environnements alentours.

Les répercussions destructrices d’El Niño

D’abord, El Niño entraîne la modification des régimes de cyclones dans le Pacifique. Normalement localisés entre l’Atlantique Nord et le Pacifique Nord, les cyclones vont avec El Niño surtout se diriger vers Hawaï, Tahiti et les côtes mexicaines. Le phénomène climatique est d’autant plus dangereux qu’il rend les ouragans plus puissants, puisque ces derniers se nourrissent de la chaleur des mers pour gagner en puissance.

Un drame pour les petites îles, qui sont loin d’avoir les capacités de réagir convenablement face à un tel phénomène météorologique, causant des dégâts humains et financiers considérables. En septembre 1992, l’ouragan Iniki a ainsi causé la mort de six personnes à Hawaï, ainsi que des dommages matériels estimés à 1,8 milliard de dollars.

En outre, El Niño a un impact considérable sur les précipitations. Pour faire simple, lorsque le phénomène est actif, le Chili, l’Argentine, le Pérou, l’Équateur et le sud des États-Unis subissent globalement de plus lourdes et de plus fréquentes averses, tandis que la Colombie, le Venezuela, le Brésil, l’Amérique centrale, le Mexique, le nord des États-Unis, l’Asie et l’Australie se retrouvent surtout confrontées à davantage de sécheresses.

Impacts globaux de El Niño de juin à août – Wikimedia Commons | Domaine public

Cette aridité a un impact économique très important. En effet, cette dernière impacte fortement la saison des moussons, dont dépend une grande partie de l’Asie du Sud-Est pour son agriculture. Aussi, El Niño a des conséquences sur le transport maritime, puisque le canal de Panama, 6% du trafic mondial, a dû restreindre son activité à cause des risques d’assèchement.

D’un point de vue écologique, la sécheresse aggravée provoquée dans certaines régions par El Niño accroît aussi le nombre d’incendies, ce qui est particulièrement problématique pour le « poumon de la Terre » que représente l’Amazonie.

Mais si El Niño suscite autant d’inquiétudes parmi les dirigeants planétaires, ce n’est pas tant en raison des événements météorologiques localisés qu’il déclenche, mais plutôt en raison de son rôle dans l’exacerbation du réchauffement climatique.

En effet, si les zones forestières tropicales ne reçoivent plus les précipitations dont elles ont besoin, cela entraîne directement l’augmentation du dioxyde de carbone dans l’atmosphère, et donc une aggravation du réchauffement climatique.

L’urgence de réagir face à El Niño

Si le dérèglement climatique peut paraître très théorique, El Niño et ses conséquences ont quant à eux de quoi inquiéter concrètement les dirigeants mondiaux.

Face à l’urgence de la situation, il devient ainsi indispensable de comprendre ses schémas complexes, dans l’objectif de préparer les communautés à ses impacts et d’agir au plus vite pour atténuer ses effets et protéger à la fois sociétés et écosystèmes.

L’impact direct d’El Niño sur les écosystèmes, la santé et la sécurité alimentaire

Si l’augmentation des températures provoquée par El Niño peut paraître quelque peu abstraite, les conséquences de ce dernier sur la faune, la flore et l’humanité sont toutefois bien visibles.

Les écosystèmes subissent par exemple de plein fouet l’anomalie climatique. Le réchauffement des mers entraîne en effet la disparition provisoire de plusieurs espèces de poissons, et accélère la dégradation d’habitats fragiles tels que les coraux. Aussi, la hausse des précipitations a un impact sur l’accroissement du nombre de sites de reproduction des moustiques, et donc sur la transmission de maladies infectieuses, qui est d’autant plus forte avec l’augmentation générale des températures. De manière concrète, El Niño a ainsi coïncidé avec l’épidémie de paludisme qui a ravagé le Kenya en 1998.

Par ailleurs, El Niño impacte aussi lourdement la santé animale. Les sécheresses ont par exemple un impact sur la disponibilité de l’eau, pourtant vitale. Les animaux domestiques et sauvages sont alors contraints de s’abreuver aux mêmes points d’eau, ce qui peut entraîner une contamination généralisée pouvant être mortelle en cas de présence d’une bête malade.

Il est aussi à noter qu’El Niño a des conséquences sur la disponibilité des ressources alimentaires. Une sécheresse aggravée ou des précipitations massives peuvent en effet détruire les cultures agricoles, réduire les rendements et perturber les cycles de production alimentaire. Les régions déjà vulnérables à l’insécurité alimentaire sont particulièrement touchées, car El Niño peut compromettre leur capacité à nourrir leur population.

De plus, les perturbations dans la pêche causées par les changements des températures de l’eau dans l’océan Pacifique peuvent également affecter la disponibilité des protéines animales. Un problème de taille pour les humains, mais également pour les espèces piscivores, qui deviennent plus soumises à la malnutrition.

La nécessité d’une coopération internationale renforcée

Contrairement à ce que l’on peut entendre, El Niño ne fait pas monter la température uniformément partout dans le monde. En revanche, sa présence localisée fait augmenter mathématiquement la température moyenne globale, d’où l’intérêt pour les dirigeants de s’en préoccuper dans l’intérêt collectif.

Si El Niño ne fait donc pas le réchauffement climatique, personne ne peut ignorer qu’il était actif lors des records de chaleur des années 2016 et 2023… Autant dire alors que sa combinaison avec la hausse humaine des gaz à effet de serre constitue une bombe climatique d’une gravité extrême.

C’est la raison pour laquelle la coopération internationale doit absolument se développer pour lutter au mieux contre les effets d’El Niño. L’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Centre International de recherche sur El Niño du Guayaquil en Équateur sont notamment supposés organiser périodiquement des forums régionaux afin que les politiques puissent discuter avec des professionnels de solutions éventuelles. Si c’est mieux que rien, cela reste quand même clairement insuffisant pour espérer avoir un impact pratique sur les conséquences d’El Niño…

Quelques liens et sources utiles :

Laurent Testot, Jean-Michel Valantin, El Niño : histoire et géopolitique d’une bombe climatique, Nouveau Monde Editions, 2023

Richard Grove, George Adamson, El Niño in World History (Palgrave Studies in World Environmental History), Palgrave Macmillan, 2018

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