L'ouvrage coup de cœur d'avril : Petit dictionnaire des Sales Boulots par Nicolas Méra

La Cour pénale internationale entre illusions et impuissance

La Cour pénale internationale peut-elle vraiment résoudre des conflits ? Faut-il faire preuve de confiance ou de méfiance à son égard ?
La Cour pénale internationale - Greger Ravik | Creative Commons BY 4-0 Deed
La Cour pénale internationale – Greger Ravik | Creative Commons BY 4-0 Deed

Le 15 décembre 2023, un caméraman de la chaîne qatarie Al-Jazeera a perdu la vie à Gaza, pris au piège durant un raid israélien. Cette perte humaine a suscité une vive réaction du groupe télévisuel qui, confronté à cette tragédie, a annoncé son intention de saisir la Cour pénale internationale (CPI) dans l’espoir de traduire les responsables en justice.

Cependant, l’issue de cette tentative judiciaire reste incertaine, mettant en lumière les défis et les limites de la CPI en tant qu’arbitre impartial des crimes internationaux.

Cette Cour pénale est-elle vraiment efficace ? Peut-elle résoudre des conflits de grande envergure ? Faut-il faire preuve de confiance ou de méfiance à son égard ?

Face à toutes ces interrogations, il est important de porter un regard critique sur la CPI, et plus particulièrement sur les raisons pour lesquelles sa capacité à répondre aux exigences complexes des conflits contemporains est autant remise en question.

Histoire de la Cour pénale internationale

Pour comprendre les critiques adressées à la Cour pénale internationale, il est essentiel de connaître son histoire, qui s’est nourrie des événements les plus tragiques.

Procès de Nuremberg et jugement international des crimes nazis

L’idée de créer une Cour pénale internationale n’est évidemment pas venue de nulle part. Elle a notamment été fortement influencée par les Procès de Nuremberg, qui se sont déroulés d’octobre 1945 à octobre 1946.

Après la Seconde Guerre mondiale, il a en effet fallu sanctionner les principaux protagonistes nazis, qui étaient responsables de crimes contre la paix, de guerre et/ou de crimes contre l’humanité. Une difficulté subsistait cependant : tous les pays voulaient sanctionner les coupables, puisque la guerre était mondiale.

Pour juger Hermann Göring, Rudolf Hess ou bien Joachim von Ribbentrop, les Alliés ont ainsi décidé de ne pas confier le jugement à un tribunal national, mais plutôt à un Tribunal militaire international (TMI). Ce dernier était d’autant plus plébiscité qu’il y avait alors à l’époque la volonté de créer un idéal de justice mondiale, afin de s’assurer que la Troisième Guerre mondiale ne puisse jamais voir le jour.

Procès de Nuremberg. Herman Goering et Rudolf Hess, dossier n° 901-1886 – Lou Woudhuyzen / Anefo | Creative Commons 0 1.0 Deed

Mais avec la Guerre froide, l’idée d’une justice internationale est rapidement passée à la trappe, si bien qu’il a fallu attendre les années 1990 pour voir le débat être relancé.

Le TPIY pour juger les atrocités commises en ex-Yougoslavie

Les années 1990 ont été une période sombre pour les pays de l’ex-Yougoslavie. Face aux désirs d’indépendance de l’Albanie, de la Croatie ou encore de la Bosnie-Herzégovine, l’Armée populaire yougoslave (JNA), dominée par les Serbes, a cherché à écraser les gouvernements sécessionnistes, officiellement pour préserver l’unité de la Yougoslavie, officieusement selon l’ONU pour créer une « Grande Serbie » à partir des territoires yougoslaves.

De ce fait, plusieurs actes génocidaires ont été perpétrés, principalement lors du massacre de Srebrenica en 1995, où des milliers de Bosniaques ont été tués par les forces serbes de Bosnie. Le siège de Sarajevo de 1992 à 1996, par la JNA puis par l’armée de la République serbe de Bosnie, a également été effroyable, avec pas moins de 12 000 morts civils liées aux bombardements constants et aux pénuries de nourriture et de médicaments. Si l’on ajoute à cela les meurtres, les viols, les actes de torture et de mauvais traitements, ainsi que le nettoyage ethnique, il devient alors clair que le monde ne pouvait laisser passer ces graves violations du droit international humanitaire.

C’est la raison pour laquelle le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé de créer dès 1993 le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), qui visait à juger en toute indépendance les auteurs de crimes commis sur le territoire yougoslave à partir du 1er janvier 1991.

Au total, 161 personnalités politiques et militaires ont été inculpées par le TPIY jusqu’à sa dissolution en 2017. 90 l’ont été pour des actes génocidaires, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, dont l’ancien président serbe Slobodan Milošević, marquant ainsi une belle victoire pour l’idéal de justice internationale.

Le TPIR pour juger les coupables d’un génocide au Rwanda

Si le monde avait surtout les yeux rivés sur la Yougoslavie au début des années 1990, il n’a pour autant pas pu ignorer les atrocités commises au Rwanda à cette période.

Ce n’est toutefois pas la guerre civile qui a ravagé ce pays d’Afrique de l’Est de 1990 à 1993 qui a provoqué une montée d’intérêt internationale, mais plutôt le génocide de la population Tutsi par les extrémistes Hutu d’avril à juillet 1994, lié à l’assassinat du président rwandais pro-Hutu le 6 avril de la même année.

D’après l’ONU, 800 000 personnes ont ainsi été tuées durant cette courte période où les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ne se comptaient plus.

Face à la multitude de victimes, et donc de coupables, autour de ce génocide, le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé le 8 novembre 1994 de créer le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Comme le TPIY, sa compétence était spécifique, puisqu’il ne pouvait agir que sur les crimes liés au génocide rwandais. Beaucoup de responsables politiques, militaires et civils impliqués dans la planification et l’exécution du génocide ont ainsi été jugés par le TPIR jusqu’à sa dissolution en 2015, permettant donc aux familles des victimes de faire leur deuil en voyant leurs bourreaux ne pas rester impunis.

Avec les succès relatifs du TPIY et du TPIR, il est devenu clair qu’une juridiction pénale internationale permanente pouvait voir le jour, afin de ramener la paix dans tous les pays victimes de génocides, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. »

Naissance de la Cour pénale internationale

C’est ainsi que le traité international du Statut de Rome est venu fonder en 1998 la Cour pénale internationale (CPI). Entrée en vigueur en 2002, la CPI a la particularité d’avoir une compétence mondiale, et donc, de ne pas être limitée à un conflit spécifique comme le TPIY et le TPIR avant elle. Elle a ainsi la capacité de poursuivre les auteurs des crimes les plus graves commis sur le sol de ceux qui ont ratifié le traité, et ce, peu importe leur nationalité.

L’objectif de la CPI est clair : mettre fin à l’impunité des auteurs de crimes de masse, qu’ils soient haut placés ou non, sans aucune différence d’engagement entre l’Occident et les pays du Sud.

Aujourd’hui, le siège officiel de la CPI se situe à La Haye, aux Pays-Bas. Si seulement 60 États avaient ratifié le Statut de Rome en 2002, ils sont désormais 123 à l’avoir fait, ce qui représente 63 % des pays du monde.

Un projet idyllique donc de justice internationale, mais auquel on peut adresser de nombreuses critiques, parce qu’il n’est pas aussi universel et permanent que ce qu’il laissait sous-entendre à sa création deux décennies plus tôt…

Les problèmes de la Cour pénale internationale

Si sa quête de justice internationale est louable, la CPI n’est toutefois pas exempte de controverses et de défis. Face à un paysage complexe où la réalité politique peut souvent entraver la poursuite effective des auteurs de crimes internationaux, la CPI est souvent à la limite de boire la tasse, plombée par une multitude de problèmes qui lui sont inhérents.

Une efficacité remise en question

En plus de 20 ans d’existence, la CPI n’affiche pas vraiment un bilan impressionnant. Avec 40 mandats d’arrêt, et seulement cinq condamnations, elle peine à se montrer efficace dans un monde où les conflits et les crimes de masse ne manquent pourtant pas.

Par ailleurs, on remarque que les cinq personnes condamnées par la CPI proviennent toutes d’Afrique, ce qui est un constat accablant pour une Cour qui se veut être universelle. Si certains y voient un racisme qu’ils attribuent à une trop grande occidentalisation de la juridiction pénale, le problème paraît néanmoins plus profond.

Dans les faits, il est en effet impossible de nier que les représentants politiques des États africains ont plus souvent tendance à porter des affaires à la CPI que ceux des États occidentaux. Le président Joseph Kabila l’avait ainsi fait pour la République démocratique du Congo, de même que le président Yoweri Museveni en Ouganda. La Côte d’Ivoire et le Kenya ont eux aussi été sous le feu des projecteurs de la CPI.

Que la Cour pénale internationale soit majoritairement sur des affaires africaines n’est donc pas le problème. Qu’elle n’arrive pas à se montrer efficace sur ces dossiers géographiquement localisés est en revanche inquiétant, ne serait-ce que parce que cela nuit derrière à sa réputation internationale. Comment espérer que la CPI agisse sur les conflits entre la Russie et l’Ukraine, entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ou entre Israël et la Palestine si elle n’est pas capable de s’imposer sur des conflits africains au moindre retentissement ?

Carte représentant l’avancée des procédures de la Cour pénale internationale en 2021 – Baobabjm [Pseudo Wikmedia Commons] | Creative Commons BY-SA 4.0 DEED

Lorsqu’on regarde de plus près les condamnations permises par la CPI, on se rend vite compte qu’aucun représentant politique majeur n’a été touché, seulement des rebelles battus soit par les armes, soit par les urnes.

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir eu l’occasion de le faire, puisque l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba, l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo ou encore le président et le vice-président kényans ont tous été jugés par la Cour pénale internationale. Les deux premiers ont toutefois été acquittés, tandis que les deux derniers ont bénéficié d’un non-lieu.

Le verdict aurait-il été différent si l’accusation avait su se montrer aussi forte que la défense de ces éminents politiques ? C’est toute la question qui se pose, et qui devrait se poser pour la CPI si elle souhaite accroître son influence.

Un élargissement géographique limité par les pièges politiques

Afin de faire accroître au plus vite sa reconnaissance internationale, nombre de personnes incitent la CPI à viser plus large que l’Afrique. Mais en a-t-elle réellement la capacité et la légitimité ?

En théorie, la CPI a été jugée en février 2021 compétente afin de juger les crimes commis au sein des territoires palestiniens occupés que sont la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est. Une chose rendue légalement possible par la ratification du statut de Rome par la Palestine en 2015.

Dans les faits, sa possible intervention génère davantage de doutes que de certitudes. En effet, la question de savoir si la Palestine est un État souverain est loin de faire consensus dans le monde.

Si 139 pays sur 193 lui reconnaissent aujourd’hui ce statut, c’est parce que l’Afrique, l’Asie et l’Amérique Latine lui ont manifesté un soutien globalement sans faille. Toutefois, l’Amérique du Nord et l’Europe se montrent beaucoup plus frileuses sur le sujet, ce qui crée un véritable clivage entre le Nord et le Sud sur ce thème précis.

Ainsi, même si une reconnaissance internationale de la Palestine est cohérente avec la désoccidentalisation progressive du monde, la CPI semble s’être positionnée trop vite sur ce conflit politique, au mépris des intérêts d’une partie de ses États membres.

Si voir la Cour pénale internationale condamner des responsables de crimes de guerre liés au conflit israélo-palestinien serait à coup sûr impactant, cela pourrait toutefois lui être défavorable, puisque la CPI dépend par exemple des États pour ses mandats d’arrêt internationaux.

La CPI doit donc faire attention à ne pas se politiser, et à ne pas imposer son agenda dans les conflits en cours, sous peine de les envenimer. Le lancement par la Cour d’un mandat d’arrêt contre le président soudanais Omar el-Béchir en 2009 en pleine guerre du Darfour n’était par exemple pas très pertinent, en plus d’être dangereux, car le pays n’avait aucun intérêt à remettre le garant de ses institutions et de la stabilité nationale à une juridiction internationale n’ayant aucun fait d’arme majeur.

Le manque de soutien du Conseil de sécurité de l’ONU

Si la Cour pénale internationale peine à faire ses preuves aujourd’hui, c’est aussi parce que le Conseil de sécurité de l’ONU refuse de lui accorder une réelle confiance, comme il avait auparavant pu le faire avec le TPIY et le TPIR.

La France et le Royaume-Uni sont ainsi les deux seuls membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU à avoir ratifié le statut de Rome en 1998, ce qui représente une minorité problématique alors que la CPI se veut être universelle.

La Chine par exemple, a simplement refusé de signer le traité, de même que 41 autres pays parmi lesquels l’Arabie Saoudite, la Birmanie et la Corée du Nord.

Les États-Unis et la Russie ont quant à eux accepté de signer le traité, sans toutefois le ratifier, comme 29 autres pays tels l’Iran, la Syrie et Israël.

Dans tous les cas, le refus de ces pays de ratifier le statut de Rome est problématique pour la CPI, parce que si le coupable d’un crime de guerre sur le territoire d’un État partie est protégé par un pays non-signataire, elle ne peut en réalité rien faire, quand bien même elle a tout à fait le droit de démarrer une enquête.

À titre d’illustration, il est dans les faits impossible pour la CPI de prouver les tortures de la CIA dans des prisons secrètes en Roumanie, en Pologne et en Lituanie, de même que celles commises en Afghanistan, alors que ces présumés crimes de guerre ont été commis sur le sol d’États ayant ratifié le statut de Rome.

C’est le même problème pour le conflit entre Kiev et Moscou, où la CPI risque d’avoir du mal à faire condamner les auteurs de crimes de guerre commis sur le sol ukrainien s’ils sont protégés par la Russie.

Une lenteur exacerbée

Aujourd’hui, la CPI enquête dans 12 pays différents. L’Afrique occupe une large partie de son temps, avec des investigations en cours en République démocratique du Congo, au Darfour, en Libye, en Côte d’Ivoire, au Mali, au Burundi et en Afghanistan.

Les crimes de guerre et contre l’humanité commis en Palestine, en Birmanie, aux Philippines, au Venezuela et en Ukraine finissent de surcharger l’emploi du temps d’une Cour pénale internationale sous le feu des projecteurs et des critiques.

Car à force de s’éparpiller sur une multitude d’affaires partout dans le monde, la CPI est devenue une juridiction d’une lenteur infinie, si bien que plusieurs accusés sont morts avant même d’avoir été jugés.

De manière concrète, l’enquête en République démocratique du Congo est ainsi ouverte depuis juin 2004, celle du Darfour depuis juin 2005 et celle en Libye depuis mars 2011, ce qui est révélateur de problèmes profonds, aussi bien dans la récolte de preuves que dans le budget de la CPI.

« Cette lenteur est d’autant plus problématique qu’elle n’amène en plus de cela pas beaucoup de sanctions concrètes. S’est ainsi clôturée le 1er décembre 2023 une enquête en Ouganda qui a duré presque 19 ans, le tout pour une seule condamnation. Une enquête sur des crimes contre l’humanité commis au Kenya a quant à elle été achevée en novembre 2023 après 13 ans d’investigations n’ayant strictement rien donné.

Face à tous ces défauts, la Cour pénale internationale se doit donc impérativement de redorer son blason. Cela passe peut-être à court terme par des condamnations sur des dossiers internationaux comme la Palestine ou l’Ukraine, mais l’une des solutions les plus viables serait probablement de transférer à la CPI la capacité de juger les crimes sur l’environnement, plus actuels et plus visibles que jamais…

Quelques liens et sources utiles :

Juan Branco, L’ordre et le monde, critique de la Cour pénale internationale, Fayard, 2016

Albert Mpinda, Forces et faiblesses de la Cour pénale internationale, Éditions de l’Onde, 2019

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