L'ouvrage coup de cœur d'avril : Petit dictionnaire des Sales Boulots par Nicolas Méra

La place des notaires durant la Première Guerre mondiale

Les notaires ont versé leur sang durant la Première Guerre mondial en tant que mobilisés, mais aussi en protégeant les actes notariés...
Vue de la nef de l’église conventuelle convertie en dépôt des Archives départementales de l’Hérault, vers 1950 - Arch. dép. Hérault, 5 Fi 95., J. Duvaux, 2011 | Creative Commons BY-NC-ND 4.0
Vue de la nef de l’église conventuelle convertie en dépôt des Archives départementales de l’Hérault, vers 1950 – Arch. dép. Hérault, 5 Fi 95., J. Duvaux, 2011 | Creative Commons BY-NC-ND 4.0

Un corps de métier essentiel à la sauvegarde des documents

Le notariat est un corps de métier essentiel pour authentifier et conserver les actes du monde civil et professionnel. Ils conservent les actes officiels, comme les actes de mariage, les actes de naissance ou encore les actes de propriété. Durant les conflits, les notaires protègent les originaux des destructions pour permettre au corps civil de récupérer les titres qu’ils possèdent légalement.

La Première Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale sont des événements représentatifs de ce travail de sauvegarde et de protection des notaires. Ils ont activement participé à la sauvegarde de ce matériel administratif de grande valeur, en les retirant au maximum des zones de destruction.

L’histoire des notaires durant la Première Guerre mondiale

Ce premier conflit d’ordre mondial chamboule complètement l’ordre social précédemment établi. Le besoin en hommes est colossal. Pendant la journée la plus meurtrière de la France, 27 000 hommes sont tués, soit 19 par minute… Chaque profession se voit amputée de sa force de travail. Les hommes viennent des quatre coins de l’empire. Principalement de la métropole, mais aussi des colonies, et notamment d’Afrique du Nord.

Évacuation allemande des archives municipales de Montdidier (Somme). À La Boissière (Somme), en août 1918, au sein d’un dépôt allemand de récupération de matériels, sont photographiées les archives de Montdidier, simplement déposées sur palettes et bâchées - Ivry-sur-Seine, ECPAD, SPA 144 R 4897 | Creative Commons BY-NC-ND 4.0
Évacuation allemande des archives municipales de Montdidier (Somme). À La Boissière (Somme), en août 1918, au sein d’un dépôt allemand de récupération de matériels, sont photographiées les archives de Montdidier, simplement déposées sur palettes et bâchées – Ivry-sur-Seine, ECPAD, SPA 144 R 4897 | Creative Commons BY-NC-ND 4.0

Une étude réalisée par l’Association nationale des notaires de France en 1920 dénombrait 8100 notaires avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, avec 3500 mobilisés dont 359 morts. Les clercs de notaire sont également mobilisés, sans d’autres données complémentaires. Nous savons seulement que 1827 sont morts sur le champ d’honneur. La profession est profondément touchée, surtout en sachant que la majorité est basée à Paris.

La guerre ralentit les activités notariales

Malgré le conflit, la vie continue et il faut pouvoir continuer à authentifier les actes, notamment les mariages, les décès, les testaments et les ventes. Par exemple, en Belgique, les mariages étaient permis pour les soldats durant leurs permissions, dans les consulats belges ou dans des mairies étrangères et certains mariages pouvaient également être réalisés par procuration. Cela impliquait donc un travail notarial. La pratique n’est cependant pas généralisée et reste très difficile à mettre en place pour les soldats. Les autorités militaires n’accordent pas de permissions assez longues pour que les hommes puissent se marier.

Selon Louis Henry, le taux de célibat observé pour les femmes de ces générations est d’environ 17 % (contre 10 % sans la guerre) et de 23 % – pratiquement une femme sur quatre – pour les générations les plus touchées par le manque d’homme dû aux pertes de la Première Guerre mondiale. Ces données indiquent donc une réduction du nombre de mariages, mais produisent aussi une augmentation des actes liés aux testaments et à la succession, surtout au début du conflit.

Conty, dimanche 2 août 1914. On sonne à la porte du notaire, il est 8 h du matin, sans doute que Me …. prend son petit déjeuner ou bien se lève à peine, peut-être est-il encore en chemise et bonnet de nuit.  Jean veut signer une donation entre époux pour le cas ou il décéderait.

Albert – inventaire- : on aurait dû faire l’inventaire des meubles à Albert, mais la ville est saccagée, impraticable. Alors le notaire se déplace à Dernancourt. Parmi les meubles : un matelas percé par un obus, une échelle, quelques effets personnels…

Bray sur somme : 20 décembre 1922. Notoriété après le décès de Désiré, soldat au 245e d’infanterie aux armées, décédé en décembre 1915 dans la Marne, « Mort pour la France ». Il laisse son épouse et ses « enfants mineurs » : Marcel né en 1910, Paul né en 1914 et la petite Eva née en janvier 1916. Désiré n’aura jamais vu Eva…

Plaquette réalisée par les notaires de la Somme pour le centenaire de la Première Guerre mondiale

Après la vague de mariages précipités du début de la guerre et les rédactions de testament, ce type d’actes ralentit avec l’avancée de la guerre.

Protecteurs des actes notariés en France

En France et dans le reste de l’Europe, des notaires évacuent les actes, afin de les mettre l’abri des destructions. Plusieurs notaires invitent également leurs clients à rapporter leurs copies, pour pouvoir reproduire des originaux afin de pallier les destructions. Les protections réalisées par les notaires durant la Première Guerre mondiale ont permis de protéger plus de 400 ans d’actes notariés.

Ainsi, une grande partie des actes notariés en France sont protégés de la destruction. Les zones les plus touchées sont sur la ligne de front, où les documents ont brûlés en même temps que les habitations. Des dizaines de villages en France ont complètement disparu pendant la guerre, bombardés sans cesse par les deux camps.

Cependant, l’état des archives n’évolue pas drastiquement à cause de la guerre. Charles-Victor Langlois disait ceci le 25 mai 1915 : « de nos richesses nationales, les archives sont peut-être celles qui ont le moins souffert ».

Paris : Incendie des archives de la Cour des comptes, le 24 avril 1916, au Palais-Royal. Les clichés sont de l’opérateur Fortin, probablement à proximité, dans les locaux du Service photographique et cinématographique des Armées - Ivry-sur-Seine, ECPAD, SPA 35 Z 1994 | Creative Commons BY-NC-ND 4.0
Paris : Incendie des archives de la Cour des comptes, le 24 avril 1916, au Palais-Royal. Les clichés sont de l’opérateur Fortin, probablement à proximité, dans les locaux du Service photographique et cinématographique des Armées – Ivry-sur-Seine, ECPAD, SPA 35 Z 1994 | Creative Commons BY-NC-ND 4.0

La fin de la guerre marque le début de la reconquête des territoires perdus et détruits. L’ensemble des documents qui peuvent être retrouvés sont conservés et utilisés pour produire des originaux, et surtout pour pouvoir reconstituer les actes de l’état civil afin d’apporter de la stabilité pour pouvoir faire revenir les populations et réparer les balafres de la guerre.

Je vous signale l’utilité de faire rechercher d’une façon toute spéciale, dans les communes nouvellement reconquises, les registres de l’état civil et les documents de toutes natures qui peuvent être ensevelis dans les ruines des mairies ou qui, provenant de la mairie, ont été dispersés dans le pays. Ces documents, si incomplets et détérioriés soient-ils, doivent être soigneusement conservés car ils serviront notamment à la reconstitution des actes de l’état civil dont la perte serait, pour les populations déjà éprouvées, la cause de nouveaux préjudices. Dans le même but, il convient de prendre également toutes mesures utiles pour sauvegarder les registres encore dans les paroisses. Il importe enfin de mettre à l’abri ce qui peut rester des minutes et des papiers de notaires, percepteurs et en général des officiers publics et fonctionnaires de l’État. En conséquence, toutes les fois que des documents de la nature de ce dont il s’agit seront découverts dans une localité ou dans un immeuble où ils ne sont pas en sécurité, l’officier commandant l’unité avertira la prévôté. La prévôté dressera un procès-verbal en double expédition relatant les circonstances et contenant un état descriptif de la découverte. Un exemplaire du procès-verbal sera adressé au prévôt d’armée pour être remis au préfet. L’autre exemplaire vous sera adressé et me sera par vous transmis. Si les documents ne peuvent être rassemblés sur place en lieu sûr, ils seront envoyés dans le plus bref délai possible au prévôt d’armée, qui en fera la remise au préfet.

Archives nationales, AB XXXI/356, note de l’aide major-général Pont, aux armées, GQG, 2 avril 1917

Pendant et à la sortie de la guerre, les notaires ont eu la charge de mettre en application les dernières volontés des soldats morts au front. Pour la France, 1 397 800 de soldats sont tués sur le front, ainsi que 300 000 civils.

L’importance des notaires pendant la Première Guerre mondiale

Malgré la protection des documents par les notaires, la Première Guerre mondiale n’a pas été tant source de destruction pour les archives ou pour les œuvres en France. Le conflit a été très localisé, notamment dans le Nord et le Nord Est. Le reste du territoire est préservé des destructions.

La reconstruction du territoire a été facilitée par le contenu préservé par les notaires, notamment les actes de propriété, mais aussi les testaments, permettant de transmettre les biens des soldats morts au front.

Quelques liens et sources utiles

« Sur la trace des poilus professionnels du droit », Droit & patrimoine, janvier 2015

Isabelle Chave, « Sacrifice subi ou sauvetage organisé. Le sort des archives en France durant la Grande Guerre, d’après le fonds de la direction ministérielle des Archives », In Situ, 2014

Lionel Kesztenbaum, Cent ans de démographie de la Grande Guerre : les multiples effets du premier conflit mondial sur les populations, Dans Pierre-Cyrille Hautcoeur, Patrick Fridenson, Florence Descamps et Laure Quennouëlle-Corre, La rupture ? La Grande Guerre, l’Europe et le XXe siècle : Cycle de journées d’études Les Finances, un ministère en guerre, un ministère dans la guerre. Paris : Institut de la gestion publique et du développement économique, 2021

« La Première Guerre mondiale en chiffres », Le Figaro, novembre 2018

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