Dérogeant aux principes de l’État de droit, la Hongrie a perdu 1 milliard d’euros de fonds européens au 1er janvier 2025 sur décision de la Commission européenne. 19 autres milliards de financements pour le pays sont actuellement gelés.
Qualifié de « perturbateur européen », Viktor Orban s’oppose fermement à l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne depuis son lancement le 25 février 2022, au lendemain de l’invasion russe du territoire ukrainien. De plus, le chef d’État hongrois vote systématiquement contre toute aide européenne à destination du pays.
Dans une tribune au Monde, Alberto Alemanno, professeur titulaire de la chaire Jean-Monnet à HEC Paris, appelait à ne pas laisser la Hongrie prendre la présidence du Conseil de l’Union européenne, alors qu’elle ne tient pas ses engagements concernant l’État de droit.
La place singulière de la Hongrie dans l’Union Européenne pose plusieurs questions. L’UE est-elle condamnée à être paralysée par l’unilatéralisme hongrois ? Et par ailleurs, plus largement, comment gère-t-on le non-respect de principes fondateurs de l’Union par des États membres ?
L’entrée de la Hongrie dans l’Union européenne
La Hongrie débute son processus d’adhésion à l’Union européenne le 15 février 1991, en compagnie de la Pologne et de la Tchécoslovaquie, au sein du groupe dit de Visegrad. L’objectif est ainsi pour les trois États d’intégrer l’Union dans un souhait de prospérité économique.
L’adhésion à l’Union : le fonctionnement du processus et ses limites
Il est prévu dans le traité de Rome du 25 mars 1957, fondateur de la CEE – Communauté Economique Européenne – que « tout État européen peut demander à devenir membre de la Communauté ». En 1993, les critères de Copenhague expose les conditions formulées par le Conseil européen pour qu’un pays puisse adhérer à l’Union, dont nous aborderons ici les grandes lignes. Tout d’abord, un régime démocratique et un respect du principe d’État de droit – soit un système dans lequel toute personne morale ou physique est soumise aux mêmes normes juridiques, y compris la puissance publique – sont exigés.
Au niveau économique, le pays candidat doit avoir une situation économique viable, mesurée notamment par le niveau de déficit, qui doit être inférieur à 3% du PIB, et de la dette publique, devant représenter moins de 60% du PIB. Il doit également être à même de faire face à la concurrence, avec l’ouverture du marché national à l’ensemble des pays-membres selon un principe de libre-échange au sein de l’Union.
Un dernier ensemble de critères relevant du domaine communautaire s’applique pour tout pays souhaitant intégrer l’Union Européenne. Il s’agit d’accepter les objectifs et obligations de l’institution ainsi que d’incorporer les règles européennes dans les législations nationales.
Une des grandes particularités du processus d’adhésion à l’UE est qu’il est particulièrement long, puisqu’il faut en moyenne compter une décennie d’attente avant son aboutissement. De plus, celui-ci n’a aucune limite de temps et comporte quatorze étapes à valider une par une. De cette façon, la Turquie est candidate à l’Union depuis décembre 1999 mais les négociations sont gelées à la septième étape depuis juin 2018, le Conseil européen jugeant qu’un « recul démocratique » est à l’œuvre dans le pays, et donc que dans cette situation la Turquie ne peut devenir membre de l’UE.
Afin d’être pays candidat, un autre critère évoqué plus haut est requis mais reste flou : « être européen ». Le préambule du traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 ainsi que les critères que nous venons d’évoquer donne une certaine idée de ce qu’est être européen en termes de valeurs, de système politique, économique et communautaire mais n’évoquent jamais de limites géographiques.
Le Maroc a réalisé une demande d’adhésion à l’Union, qui a été refusé en 1987 par le Conseil, considérant que le pays n’est pas « européen ». Cet argument est tout à fait critiquable, notamment du point de vue géographique. En effet, aujourd’hui l’Irlande ou encore Chypre sont membres de l’UE alors même qu’ils sont tous deux en dehors de la limite du continent eurasiatique.
La seule interprétation valable apparaît alors comme celle d’un État qui ne serait pas européen au sens politique ou culturel. On voit donc bien que derrière les critères objectifs d’adhésion, il y a également des arbitrages politiques de la part des décideurs au sein de l’Union européenne pour décider de quel pays peut rentrer ou non dans l’institution.
Retour historique sur l’adhésion hongroise à l’Union européenne
Après l’éclatement de l’URSS, la Hongrie est un des États post-communiste le plus propice à réussir sa transition vers le système occidental de démocratie libérale. Le pays devient membre de l’UE le 1er mai 2004 et avait déjà adhérer cinq ans plus tôt à l’OTAN.
Ces deux dates marquent une rupture avec le système communiste. La Hongrie est aujourd’hui membre de l’espace Schengen mais a échoué à intégrer la zone euro à cause d’un niveau d’inflation, d’un déficit et d’une dette publique trop élevés.

Des signes de désaccords avec l’idéologie de l’URSS – Union des Républiques Socialistes Soviétiques – existaient déjà depuis plusieurs décennies, dont la révolution hongroise de 1956 en est l’expression la plus forte.
Celle-ci survient sept ans après la proclamation de la République Populaire de Hongrie par Mátyás Rákosi, régime agissant sous la tutelle de Moscou. Cette transformation sociétale que connait la Hongrie à partir de la fin des années 90 reste un processus long et complexe.
L’intégration de l’Union a été un réel bénéfice économique pour le pays, qui, à titre d’exemple, a bénéficié de 25 milliards d’euros de fons structurels européens entre 2014 et 2020. Pour autant, ce soutien économique massif ne règle pas les bouleversements identitaires provoqué par ce changement de système en Hongrie.
Dans ce contexte, Viktor Orban, faisant la promotion d’une démocratie illibérale, gagne en popularité. Particulièrement depuis son retour au pouvoir en 2010, son régime se caractérise par un respect du suffrage populaire mais une complète négligence de l’État de droit. Il se traduit aujourd’hui dans le pays par des restrictions fortes des libertés de la presse et d’association, une mise sous tutelle de la justice, des lois homophobes, de la xénophobie et un degré élevé de corruption.
Un pays membre devenu une source de vulnérabilité de l’Union ?
Chaque année depuis 2017, l’Union Européenne organise un dialogue avec les États membres concernant le respect du principe d’État de droit. La Commission européenne évoque clairement la Hongrie comme l’État membre ayant les plus importants manquements en la matière.
Les multiples entorses au principe d’État de droit en Hongrie depuis 2010
Celle-ci évoque une influence politique dans les procédures judiciaires ainsi qu’une liberté d’expression des juges sous pression. Il faut bien s’imaginer que des poursuites à l’encontre de cadres de Fidesz, le parti politique au pouvoir, ou de relations proches de hauts-responsables du régime apparaissent presque inenvisageables aujourd’hui dans le pays.
En mai 2023, le Parlement hongrois a adopté une réforme de la justice pour y réduire le contrôle politique afin de débloquer 26 milliards de fonds européens jusqu’alors gelés. Néanmoins, la Commission estime que les conditions qu’elle avait fixé, à savoir une action sur 27 jalons en matière de justice, ne sont pas remplies. En décembre 2023, le Conseil européen a voté un blocage à 55 % des fonds jusqu’à ce que l’ensemble des conditions soient mises en œuvre.
Une autre partie des fonds gelée par l’Union européenne est due aux mesures de plus en plus discriminatoires prises par le régime hongrois contre les personnes LGBTI+. Le 15 juin 2021, une loi dite sur « la protection de l’enfance » introduit des amendements visant à limiter la représentation de cette communauté auprès des mineurs.
L’objectif de ce projet de loi est initialement la lutte contre les violences faites aux enfants, à laquelle les LGBTI+ sont associés. En effet, dans le texte, un amalgame entre les personnes LGBTI+ et la pornographie est délibérément formulée. De même, les publicités qui « montrent une déviation par rapport au sexe biologique d’une personne, un changement de genre ou qui dépeignent l’homosexualité » n’auront désormais le droit de n’être diffusées que la nuit.
Plusieurs grandes manifestations se sont tenues dans la capitale hongroise pour dénoncer ces amendements, qui sont par ailleurs proscrits par la charte européenne des droits fondamentaux, interdisant toute discrimination basée sur l’orientation sexuelle.
En matière de non-respect de l’État de droit, ce sont également les atteintes de plus en plus fortes à la liberté de la presse hongroise qui sont pointées du doigt par l’UE. Un rapport du Parlement européen mené en 2018 sur les atteintes de la Hongrie à l’État de droit met en évidence une concentration croissante de la presse et des médias dans la sphère d’influence du gouvernement.
Les chaînes publiques télévisées sont aux ordres du gouvernement hongrois et ce dernier est très présent dans l’actionnariat des médias en général. Pour ce qui est de la presse, le rapport a relevé 18 titres de presse régionale étant désormais la propriété de personnalités proches de Viktor Orban.
Cette stratégie de contrôle de la sphère médiatique et d’évincement des médias indépendants est on ne peut plus d’actualité. En effet, mardi 13 mai, un projet de loi visant les organisations – principalement ONG et médias indépendants – « violant ou critiquant » les valeurs inscrites dans la Constitution hongroise a été déposé. Celles ne les respectant pas seront mises sur une liste noire et leurs fonds seront placés sous surveillance.
La stratégie de Viktor Orban depuis son retour à la tête du gouvernement est ainsi de mettre au pas tout ce qui est perçu comme un contre-pouvoir ou tout rival potentiel, son régime se rapprochant ainsi de plus en plus de celui de Vladimir Poutine comme a pu le commenter le député hongrois indépendant Akos Hadhazy sur les réseaux sociaux.
Le développement des relations hongroises vers l’Est
Au niveau international, Viktor Orban mène également une politique singulière, posant un véritable problème de cohésion à l’intérieur de l’Union Européenne. Déjà, on peut dire qu’il existe des divergences de fond au sein de l’Union qui ne tiennent pas qu’à la Hongrie, mais plutôt à plusieurs pays de l’est de l’Europe. Ces derniers jugent que l’UE est trop libérale, trop interventionniste et prônent une plus grande souveraineté nationale.
Pour autant, avec la guerre en Ukraine, le choix de Viktor Orban de soutenir la Russie l’isole parmi les vingt-sept. En effet, comme évoqué en introduction, il est le seul dirigeant de l’Union Européenne à avoir rencontré Vladimir Poutine en 2023 et à ne pas le tenir responsable du conflit.
Pour la Hongrie, le Kremlin est un partenaire économique de premier ordre. En effet, pour ce qui est de l’énergie, 80 % du gaz et 65 % du pétrole hongrois sont importés de Russie. Un contrat a également été établi avec la grande société russe du nucléaire Rosatom, pour la construction d’une centrale dans la ville de Paks. Le lancement de la phase de construction a été annoncé en août 2023 malgré la désapprobation de la Commission européenne et le contexte de sanctions contre la Russie.
Le pays ne s’arrête pas là dans le développement de ses relations à l’est. En effet, la Hongrie développe un partenariat économique avec la Chine de plus en plus affirmé au fil des années. Viktor Orban a été le premier dirigeant européen à signer en 2015 un accord de coopération avec Pékin dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie. Cinq ans plus tard, la construction d’une ligne à grande vitesse entre Budapest et Belgrade financée à 85 % par la Chine est conclue.
La Chine et la Hongrie ont aussi entrepris un projet de construction d’un campus de l’université Fudan de Shanghaï dans la capitale hongroise. L’ouverture était prévue pour l’année dernière, toutefois le projet a rencontré une vive opposition et a été suspendu avant les élections législatives d’avril 2022.
Tout récemment, le constructeur automobile chinois BYD « a décidé d’implanter son siège social européen et son centre de développement à Budapest » pour un investissement de 248 millions d’euros. Cette annonce constitue une nouvelle étape dans l’approfondissement des relations sino-hongroise, alors que Viktor Orban a reçu la visite du président chinois Xi Jinping l’année dernière.
Ainsi, nous avons pu voir que par son soutien au Kremlin, son étroite coopération avec l’Empire du Milieu et son atteinte à l’État de droit, la Hongrie constitue un membre à part au sein de l’Union Européenne. De cette façon, le pays entretient une relation conflictuelle avec l’organisation, dont on peut se demander s’il en sort gagnant.
Les moyens de l’Union face au non-respect des valeurs européennes par Viktor Orban
Depuis une quinzaine d’années, les institutions européennes ont multiplié les procédures pour faire respecter à la Hongrie le principe d’État de droit. Comme vue précédemment, l’Union Européenne utilise des mesures d’ordre financière pour sanctionner la Hongrie.
En 2020, un mécanisme de conditionnalité des fonds européens au respect de l’État de droit a été adopté et incite le pays à se conformer aux exigences européennes, comme dans le cas de la réforme du système judiciaire hongrois. À ce jour, 20 milliards d’euros de fonds européens auxquels la Hongrie peut prétendre restent gelés, pour manquements à l’Etat de droit.
Des procédures d’infraction sont aussi mises en œuvres, et consistent à signaler un non-respect des législations européennes d’un État membre devant la Cour de justice de l’Union européenne – cela intervient si la situation n’évolue pas après que les faits ait été exposés à l’État concerné – qui peut imposer des amendes si l’infraction persiste.
Ces procédures sont régulières depuis le retour au pouvoir de Viktor Orban en 2010, concernant notamment les thématiques abordées plus tôt, et certaines sont toujours en cours ou viennent d’aboutir, du fait de la lourdeur administrative de ces procédures.
Il existe une autre procédure, intervenant directement sur les droits du pays membre au sein de l’Union. En effet, l’article 7 du traité sur l’Union européenne, parfois qualifié « d’arme nucléaire« , prévoit la suspension des droits de vote d’un État membre au Conseil de l’Union européenne pour non-respect des valeurs fondamentales de l’UE.
De nombreux décideurs politiques, dont des parlementaires européens se positionnent en faveur du déclenchement d’une telle procédure pour la Hongrie. Cependant, une unanimité (sans compter le pays membre visé) est requise et ne serait pas assuré, notamment pour l’Italie de Giorgia Meloni ainsi que pour la Slovaquie, dont le Premier ministre a assuré en mars qu’elle ne soutiendrait « jamais » des sanctions contre la Hongrie.
De plus, plusieurs diplomates européens critiquent aujourd’hui la position trop conciliante de beaucoup d’États au Conseil, et notamment de la France et de l’Allemagne, envers le pays, qui préfère le dialogue. La ministre des affaires étrangères allemande, Annalena Baerbock, estime de son côté que « l’opposition continue de la Hongrie sur l’Ukraine doit bien, tôt ou tard, conduire à une conclusion sur le statut de la Hongrie dans l’UE ».
Quelques liens et sources utiles
Le Dessous des Cartes – ARTE. (2023, 28 janvier). Hongrie : à l’Est plutôt qu’à l’Ouest ? – Le dessous des cartes | ARTE [Vidéo]. YouTube.
Bodet, L., & De France Inter, L. R. N. (2022, 3 avril). Hongrie : comment des médias indépendants continuent de se faire entendre malgré la mainmise d’Orban. France Inter