En octobre 1917, le Parti bolchévique renverse le gouvernement provisoire, régime issu de la Révolution de Février survenue quelques mois auparavant. La volonté première des bolchéviques est simple : créer un nouvel État fondé sur une idéologie socialiste.
Considérant que le nouvel État ne pourrait voir le jour uniquement en réformant les normes économiques et sociales, les bolchéviques souhaitent la destruction de tout élément correspondant à l’ancienne Russie tsariste. Cet effacement radical serait nécessaire, voire inévitable pour bâtir la nouvelle société socialiste.
Le Parti bolchévique mise sur le recadrage idéologique, c’est-à-dire, supprimer les valeurs bourgeoises et inculquer les nouvelles valeurs socialistes au sein de chaque individu du pays. Le système éducatif, les différentes formes d’arts et la propagande seront les principaux transmetteurs de cette nouvelle idéologie. Les différentes réformes économiques et sociales instaurées par le gouvernement participeront à l’élaboration de cette nouvelle société, fondée sur la mise en commun des biens et la suppression de toute forme de propriété privée.
Le Parti n’hésitera pas à nationaliser l’industrie et l’agriculture mais également les logements des anciens bourgeois. Cette réforme du logement donne lieu à des lieux d’habitations typiquement soviétiques : les appartements communautaires ou les kommounalka.
L’apparition des appartements communautaires
Après l’accès du gouvernement bolchévique au pouvoir, celui-ci priorise à sortir la Russie du tsarisme et du conservatisme ; la modernisation sociale et économique du pays devient l’une des principales préoccupations du nouveau dirigeant, Lénine.
Souhaitant promouvoir le socialisme dans le monde et démontrer l’efficacité de cette idéologie, Lénine pousse l’industrialisation de masse dans le pays. Cet essor industriel provoque un exode rural massif dans les villes, dont Saint-Pétersbourg (anciennement Pétrograd) et Moscou. Cette explosion démographique urbaine provoque inévitablement une crise du logement dans les villes. Par conséquent, le gouvernement doit trouver une solution urgente pour remédier à ce déficit du logement : le manque de logement pourrait entacher le rayonnement mondial du pays.
En mars 1918, Lénine met fin à la propriété privée des logements. Le gouvernement bolchéviques prend le contrôle des biens de l’ancienne bourgeoisie russe. En d’autres termes, l’appartement privé devient propriété de l’État. Le gouvernement possède le droit de réquisitionner des appartements d’anciens bourgeois ou des hôtels et d’y faire loger de nouveaux individus.
L’État décide de l’aménagement des familles ouvrières au sein de ces appartements. Les anciens propriétaires se voient être considérés au même titre que les nouveaux arrivants dans leurs propres appartements. En 1929, les propriétaires sont définitivement privés de leurs droits, l’État devient le principal gérant du patrimoine immobilier national.
Les kommounalka ou appartements communautaires devaient être une solution provisoire en attendant de construire de nouveaux logements. Après réflexion, le gouvernement estima que ce nouveau type de logement représentait l’idéal socialiste : dans ces appartements divisés en plusieurs pièces, de parfaits inconnus ou une famille entière devaient cohabiter dans une seule et même chambre. Des parties communes leur étaient accessibles : la salle de bain, la cuisine, les toilettes et le couloir central sont à partager entre eux.
Le quotidien au sein d’une kommounalka
Chaque kommounalka établissait ses propres règles de cohabitation. Le respect de ces normes était essentiel pour rendre le quotidien le plus agréable possible. Dans chaque kommounalka, il était nécessaire d’établir les règles de vie. Ces décisions étaient prises par les membres vivant au sein de la kommounalka et veillaient à ce qu’elles soient respectées.
Ces règles concernaient, la plupart du temps, l’entretien et le fonctionnement des espaces communs : la salle de bain, la cuisine, les toilettes et le couloir central. Toute une organisation était mise en place pour assurer une bonne entente entre chaque membre de la kommounalka : les habitants devaient se conformer aux tranches horaires d’utilisation de la salle de bain ou des gazinières ainsi que les jours dédiés à l’entretien des lieux et des lessives.
Si le non-respect des règles de vie engendrait des tensions et une ambiance pesante au sein de la kommounalka, la mixité sociale, quant à elle, pouvait occasionner un mépris, des jugements et un sentiment de malaise permanent. Les kommounalka étaient composées d’une population hétérogène : une famille ouvrière pouvait cohabiter avec des personnes issues du milieu intellectuel ou même avec les anciens propriétaires de l’appartement.
Les anciens bourgeois, déchus de leur statut et de toutes autres biens matériels, n’étaient pas épargnées des kommounalka. Ils devaient s’accommoder à ce nouveau fonctionnement et partager leurs anciens logements avec des inconnus. Considérés comme les ennemis du peuple, les nouveaux locataires de l’appartement leur réservaient un traitement insolent et condescendant.
Chaque kommounalka vivait ses propres problèmes et dirigeait ses propres règles : les kommounalka ressemblaient, tout compte fait, à une micro-société dans une nouvelle société.
Quel avenir pour les kommounalka ?
À Saint-Pétersbourg, les kommounalka reste l’un des logements les plus populaires jusque dans les années 1970. Durant la même décennie, Nikita Khroutchtchev, dirigeant de l’Union soviétique entre 1953 et 1964, projette de construire des résidences en masse : des blocs d’immeubles de cinq étages, construits avec des matériaux de mauvaises qualités et à moindre coût. Ce genre d’immeubles porte le nom de khrouchtchevka.
L’objectif était de reloger les personnes venant des kommounalka dans des appartements individuels et leur offrir un meilleur confort de vie. Cependant, des habitants refusèrent de quitter leur kommounalka ; certains n’avaient connu uniquement ce type de logement.
Après la chute de l’URSS en 1991, le nouvel État met en place des politiques dans le but de faire disparaître ces appartements encore habités par les plus défavorisés, les étudiants et les personnes âgées. Ce type de logement reste, à l’heure actuelle, sur le marché immobilier russe malgré les politiques menées. En 2020, Saint-Pétersbourg comptait près de 250 000 personnes habitant les kommounalka.
Des études sont menées par des historiens pour comprendre le phénomène des kommounalka ; des psychologues se sont penchés sur ce cas pour analyser l’aspect psychologique des habitants des kommounalka.
Quelques liens et sources utiles
AZAROVA Katerina dans L’Appartement communautaire, 2007.
AZAROVA Katerina dans la Revue d’études comparatives Est-Ouest, 2001.
DUMEURGER Marine dans Saint-Pétersbourg : les kommunalka, ces “colocations” héritées de l’ère soviétique, 2020.