L’île de Frisland, cette mystérieuse île fantôme du XVIe siècle, a longtemps captivé l’imagination des navigateurs, des cartographes et des explorateurs.
Avec le temps, l’avancée des connaissances géographiques et les explorations plus précises ont finalement prouvé l’inexistence de Frisland. Cet épisode fascinant reflète les limites des connaissances de l’époque et l’enthousiasme pour la découverte, illustrant comment des mythes et des illusions ont pu se frayer un chemin sur les cartes et dans les esprits des gens pendant des siècles.
Une réalité géographique encore incertaine
L’île de Frisland est le symptôme de la connaissance encore naissante du monde des Hommes. Au cours de l’époque moderne, des centaines d’expéditions sont menées pour découvrir les océans du globe. Cette période marque la disparition des terra incognita. Malgré tout, la connaissance est alors encore limitée et les découvertes incertaines.
Ainsi, comme nous l’évoquions dans une série d’articles précédente, consacrée à l’évolution des planisphères durant l’époque moderne, l’île de Frisland, un petit territoire sans aucune réalité géographique, apparaît régulièrement sur les planisphères entre le XVIe et le XVIIe siècles.
L’île de Frisland, un mythe, une erreur ou l’Atlantide ?
Les choses n’arrivent jamais sans raisons. C’est également le cas pour l’île mystérieuse de Frisland. Proche de l’Islande, l’île est localisée sur les planisphères entre 1560 et 1660, même si quelques sources nous révèlent sa présence jusqu’au XVIIIe siècle. Le créateur de la première île de Frisland est Nicolo Zeno.
Une histoire de famille, de Nicolo Zeno le vieux à Nicolo Zeno le jeune !
L’île de Frisland est redécouverte dans des livres, de vieux livres de la famille de Nicolo Zeno, un riche marchand issu d’une très vieille famille de Venise. Il aurait trouvé dans la bibliothèque familiale le récit de deux ancêtres, les frères Nicolo (le vieux) et Antonio Zeno, découvrant au cours du XIVe siècle des territoires inconnus dans l’Océan Atlantique.
Nicolo Zeno (le vieux), lui aussi riche marchand, est mandaté par le gouvernement vénitien pour trouver des débouchés commerciaux au Nord de l’Europe, en 1380. Durant le voyage, il traverse une terrible tempête, qui le fait grandement dériver dans l’Océan Atlantique. Bien loin de sa route, il dérive jusqu’à l’île de Frisland, alors inconnue. Il est accueilli par un prince, Zichmni, parlant latin*.
Par chance, ou grâce aux facultés de Nicolo Zeno (le vieux), le prince nomme le Vénitien amiral de la flotte de Frisland. Cette aventure, le marchand ne veut pas la vivre seul. Il écrit donc à son frère Antonio, pour que celui-ci le rejoigne. Dès lors, les deux frères réalisent des expéditions dans le Nord-Ouest de l’Atlantique. Ils participent à la découverte imaginaire de plusieurs territoires, comme l’Estotiland, le Drogeo ou encore l’Icarie.
*Un prince latin, non loin des côtes des royaumes européens, sans qu’aucun ne connaisse son existence, ceci est louche. Cette première information est une marque non négligeable de l’incohérence du récit que monte Nicolo Zeno au cours du XVIe siècle.
L’histoire d’une puissante famille vénitienne
Cette histoire est racontée dans l’ouvrage que publie Nicolo Zeno en 1558, Dello scoprimento dell’isole Frislandia, Eslanda, Engrovelanda, Estotilanda et Icaria fatto sotto il Polo artico (La découverte des îles de Frisland, Esland, Engroveland, Estoliland et Icaria, sous le pôle Arctique, en français). L’histoire ne connaît pas de controverses à la publication, la puissance de la famille permet de convaincre, tout en affirmant la grandeur de la ville.
Pour confirmer l’histoire, une carte accompagne la publication de son ouvrage, celle-ci est détaillée, de la même qualité que les œuvres cartographiques de ses contemporains. Nicolo Zeno utilise le style vénitien, indique les latitudes et longitudes, tout en apportant des détails sur les habitants de l’île notamment grâce aux noms des villes.
Cette invention permet deux choses, mettre en valeur la famille Zeno et la République de Venise. En effet, cette découverte, permet de les placer comme des précurseurs, des aventuriers, des navigateurs, des explorateurs, une forme d’élite intellectuelle et humaine, similaire à Magellan ou d’autres. Nicolo Zeno s’offre le luxe d’affirmer que ses ancêtres ont notamment découvert l’Amérique un siècle avant Christophe Colomb.
Cette manœuvre n’est pas sans arrière-pensée politique, en effet cette histoire permet également de placer la République de Venise au-dessus de sa rivale, la République de Gênes. Cette ville étant le lieu de naissance de Christophe Colomb, qui découvre l’Amérique en 1492.
Une méthode scientifique limitée, un savoir reposant sur le copier-coller
La réalisation très convaincante de la carte, ainsi que l’histoire d’aventure plutôt commune pour l’époque poussent les contemporains de Nicolo Zeno à copier irrémédiablement cette découverte. Ainsi, des dizaines de planisphères voient apparaître l’île de Frisland.
Cette procédure est commune, nous l’évoquions notamment pour le planisphère d’Alberto Cantino. Les connaissances géographiques font partie des savoirs essentiels pour les puissances. Pouvoir acquérir un maximum d’informations permet de prendre l’avantage sur l’adversaire. Des expéditions peuvent être menées, des richesses acquises et des territoires colonisés… Des puissances étrangères, des espions, des marchands ou même des artistes se sont donc employés à recopier l’île de Frisland et à propager ce faux territoire. Le mathématicien et célèbre inventeur de la projection portant son nom, Gérard Mercator a fait partie des cartographes recopiant l’île de Frisland sur ses créations.
Malgré le témoignage de plusieurs navigateurs affirmant avoir navigué près des côtes de l’île de Frisland, personne ne fit escale sur l’île depuis les frères Zeno. Lors de la cartographie du XVIIIe siècle de l’Atlantique Nord par l’Angleterre et la France, la réalité de Frisland se dissipe. Enfin en 1898, la supercherie est définitivement levée grâce au travail de Frederik W. Lucas et de son ouvrage The Zeno Voyage: Anatomy of a Hoax.
La supercherie a été copiée par les cartographes pendant plus d’un siècle et il fallut attendre trois siècles pour mettre un terme définitif à cette histoire.
L’île de Frisland, une histoire pas si unique
Des îles fantômes ont toujours été visibles sur les planisphères. Les expéditions maritimes ont été sources de légendes et de mythes. Pensons au mythe de l’Atlantique évoqué par Platon au IVe siècle avant Jésus-Christ, une île fantôme proche du détroit de Gibraltar, dans l’Océan Atlantique, mais aussi aux continents de Lémurie et de Mu.
Plus récemment des erreurs d’appréciation, où des îles fantômes ont été répertoriées sur les cartes, notamment l’île de Californie, qui est une erreur d’appréciation apparue au cours du XVIe siècle.
L’île d’Emerald découverte en 1821 par des explorateurs entre l’Australie et l’Antarctique n’était qu’un iceberg à la dérive, les îles Saxemberg au Sud de l’Atlantique ont disparu des planisphères sans d’autres explications…
En somme l’île Frisland n’est pas une anomalie, mais un cas parmi d’autres, qui a la chance d’avoir une histoire intéressante et riche.
Quelques liens et sources utiles
Dora Beale Polk, The Island of California: A History of the Myth, Spokane, Arthur H. Clark, 1991
Fred W. Lucas, The Zeno Voyage: Anatomy of a Hoax, CreateSpace Independent Publishing Platform, 2013
“Frisland, an Italian Fabrication in the North Atlantic”, Big Think, 23 July 2010