L'ouvrage coup de cœur d'avril : Petit dictionnaire des Sales Boulots par Nicolas Méra

Alberto Cantino l’espion italien copieur de portulans

Le portulan est un type de planisphère inventé par les Portugais. L'espion Italien Alberto Cantino est l'auteur de cette carte.
Carta da navigar per le Isole nouam tr [ovate] in le parte de l'India: dono Alberto Cantino al S. Duca Hercole. L’auteur est inconnu, mais certainement Portugais, la carte date de 1502 et mesure 2,18 mètres sur 1,02 mètres, aujourd’hui elle est disponible à la bibliothèque Estence, à Modène en Italie - Auteur inconnu | Domaine public
Carta da navigar per le Isole nouam tr [ovate] in le parte de l’India: dono Alberto Cantino al S. Duca Hercole. L’auteur est inconnu, mais certainement Portugais, la carte date de 1502 et mesure 2,18 mètres sur 1,02 mètres, aujourd’hui elle est disponible à la bibliothèque Estence, à Modène en Italie – Auteur inconnu | Domaine public

Découverte du nouveau monde : l’Amérique

La Carta da navigar per le Isole nouam tr [ovate] in le parte de l’India: dono Alberto Cantino al S. Duca Hercole qui peut être traduit en français par : « carte nautique des îles nouvellement trouvées dans la région de l’Inde : donnée par Alberto Cantino au seigneur duc Hercule » est un planisphère de type portulan, premier de notre série d’articles sur les planisphères à l’époque moderne.

Ce planisphère est daté de 1502 et possède une histoire toute particulière. C’est une copie de cartes réalisées par les Portugais, possiblement en provenant de la Casa da Índia, c’est-à-dire la Maison des Indes, l’institution qui administrait l’exploration, la colonisation et le commerce avec les nouveaux territoires (surtout l’Orient).

L’auteur, Alberto Cantino, a été envoyé par le duc Hercule de Ferrare, pour espionner les connaissances géographiques des Portugais. Cette pratique n’est pas unique. En effet, ce portulan a été utilisé comme modèle pour une nouvelle carte italienne, celle de Caverio, qui elle même est utilisée comme modèle pour le planisphère de Waldseemüller en 1507.

Espionnage entre grandes puissances européennes

Cette réutilisation des anciennes cartes permet la production de cartes plus complètes, certes, mais le risque est de partager des données erronées. Il faut souvent attendre une expédition pour que des corrections soient apportées.

Cet acte d’espionnage marque l’importance de ces découvertes pour les puissances européennes. Ces terres nouvellement découvertes apportent des richesses, mais surtout de nouvelles routes commerciales.

Il faut insister sur le fait que l’expédition de Christophe Colomb était avant tout une expédition commerciale, dans l’espoir de trouver une nouvelle voie vers l’Inde, pour contrer l’embargo de l’Empire Ottoman.

Les cartes sont des connaissances importantes et privées. Chaque puissance a sa vision et sa conception du monde, avec de nombreux espaces considérés comme des terra incognita.

Un planisphère fait pour la navigation

Malgré la simplicité du portulan, énormément de petites informations y sont inscrites. Cette simplicité est notamment possible grâce aux nombreuses couleurs utilisées sur le planisphère ; il y a du texte en noir, en rouge, des terres en bleu et en vert.

Une carte avec des marqueurs géographiques

Les indications d’échelle et d’orientation permettent d’apporter une cohérence à la carte, c’est notamment l’utilité des roses des vents présentes à de nombreux endroits sur le portulan.

Information typique des portulans, le planisphère indique une grande quantité de ports le long des côtes des différents continents représentés. L’Europe et l’Afrique sont les espaces les plus connus par les navigateurs. De très nombreux ports sont connus et donc indiqués, notamment pour les Portugais, qui commercent énormément avec le continent africain. Ce surplus d’informations le long des côtes rend difficile la lecture des noms des ports. Quelques îles dans la Mer des Caraïbes sont également nommées.

L’équateur est délimité par un trait doré plus épais que les autres traits figurants sur le fond de carte. Les autres traits sont des routes loxodromiques, qui représentent le chemin que suivrait un navire en prenant en compte la rotondité de la Terre.

Une ligne bleue représente la démarcation entre les territoires portugais et espagnols. Ce trait fait référence au traité de Tordesillas du 7 juin 1494, qui répartit la Terre en deux, l’Est pour les Portugais et l’Ouest pour les Espagnols. Deux autres lignes rouges horizontales représentent le cercle polaire et les tropiques.

Une représentation des autres puissances sur le portulan

La carte représente les côtes du Brésil, découvertes deux ans auparavant par les Portugais. Il y a une représentation de la faune et de la flore que les explorateurs ont découvert sur place. L’auteur du planisphère a réalisé sur les côtes brésilienne une partie de la forêt amazonienne.

Le continent africain se voit également agrémenté de plusieurs villages, de populations, de paysages, ainsi qu’une ville de style européen dans les actuels pays du Ghana, Togo et Bénin.

Certains territoires sont attachés à des souverainetés, grâce à des drapeaux. C’est notamment le cas, pour le Portugal. Ainsi le portulan intègre la côte brésilienne, une majorité des côtes africaines, et plusieurs îles dans l’Océan Atlantique et Indien. L’Angleterre, l’Écosse et l’Espagne possèdent également plusieurs drapeaux en Europe et dans les territoires qu’ils possèdent dans le reste du globe.

La carte représente également des villes comme Jérusalem au Levant, mais aussi des lieux mythiques comme la Tour de Babel.

Un monde encore à découvrir pour les hommes de XVIe siècle

La représentation du Nouveau Monde reste très imprécise. L’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud ne sont pas représentées en un seul bloc. De plus « Terra del Rey de Portuguall » fait référence à Terre Neuve, mais se trouve représentée à l’Est du traité de Tordesillas. Cette carte présente également les connaissances portugaises sur la géographie de l’Afrique et de l’Asie. Ils représentent déjà Madagascar, découverte en 1500, et l’Inde n’est plus représentée comme une île mais bien un bloc attaché à l’Asie.

Carta da navigar per le Isole nouam tr [ovate] in le parte de l'India: dono Alberto Cantino al S. Duca Hercole. L’auteur est inconnu, mais certainement Portugais, la carte date de 1502 et mesure 2,18 mètres sur 1,02 mètres, aujourd’hui elle est disponible à la bibliothèque Estence, à Modène en Italie. - études des planisphères
Carta da navigar per le Isole nouam tr [ovate] in le parte de l’India: dono Alberto Cantino al S. Duca Hercole. L’auteur, Alberto Cantino, est un espion Italien, la carte date de 1502 et mesure 2,18 mètres sur 1,02 mètres, aujourd’hui elle est disponible à la bibliothèque Estence, à Modène en Italie – études des planisphères [version haute qualité du planisphère].

Quelques liens et sources pour comprendre l’histoire des planisphères à l’époque moderne

Auteur inconnu, Carta da navigar per le Isole nouam tr [ovate] in le parte de l’India: dono Alberto Cantino al S. Duca Hercole., Bibliothèque Estence de Modène, Italie, 1502

GerardusMercator, Nova et Aucta Orbis Terrae Descriptio ad Usum Navigantium Emendate Accommodata, Duisburg, 1569, BnF

Frederik de Wit, Nova Orbis Tabula in Lucem Edita, Amsterdam, entre 1660 et 1680, Bibliothèque royale de Belgique

Guillaume Delisle, Mappemonde a l’usage du Roy, Paris, 1720, BnF

PELLETIER, Monique. Science et cartographie au Siècle des lumières In : Cartographie de la France et du monde de la Renaissance au Siècle des lumières. Paris : Éditions de la Bibliothèque nationale de France, 2002

KABAKOVA Galina, « Baba Yaga dans les louboks », Revue Sciences/Lettres, 2016

TOLIAS Georges, « Représentations de l’espace, fin du Moyen Âge – époque moderne », Annuaire de l’École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 2017

DE CRAECKER-DUSSART Christiane, « La cartographie médiévale : d’importantes mises au point », Le Moyen Age, 2010/1 (Tome CXVI), p. 165-175

MOLHO Anthony, RAMADA Curto Diogo, « Les réseaux marchands à l’époque moderne », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2003/3 (58e année), p. 569-579

CHASSAGNETTE Axelle, « Les usages de la cartographie au début de l’époque moderne (XVe-XVIIe siècle) / Der Gebrauch der Karten am Anfang der Frühen Neuzeit (15.-17 Jahrhundert) », Revue de l’IFHA, 2009

BnF – Les cartes marines. http://expositions.bnf.fr/marine/arret/10-32.htm

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