Depuis la proclamation de l’Irlande du Nord en 1921, une opposition entre les catholiques et protestants sur fond de lutte de pouvoir politique se fait grandement ressentir en Irlande du Nord.
Ce conflit est déterminant pour comprendre les relations qu’entretiennent les deux Irlande aujourd’hui. L’Irlande du Nord est encore largement balafrée du conflit passé.
La scission entre les deux Irlande
Dès 1916, des nationalistes irlandais proclament l’indépendance de l’île. Quatre ans plus tard, le Royaume-Uni crée deux administrations autonomes et place les comtés de l’Ulster majoritairement protestant, sous le contrôle du parlement d’Irlande du Nord.

En 1921, un traité acte la partition de l’Irlande, les deux territoires se dotent alors de gouvernements. En Irlande du Nord, le gouvernement, appelé « Stormont« , institutionnalise la ségrégation au niveau politique. Les protestants monopolisent le pouvoir pendant cinquante ans et créent un État qui leur octroie de nombreux privilèges.
L’écart entre les deux populations se creuse au niveau économique, social et institutionnel. On assiste alors à une réelle ségrégation des protestants envers la minorité catholique.
Celle-ci est républicaine et nationaliste, c’est à dire qu’elle s’oppose à la présence britannique en Irlande et veut une unification égalitaire avec l’État libre du Sud. Pour faire valoir ses intérêts et pour mettre fin à la supériorité britannique, les catholiques s’arment et créent en 1969 « l’Irish Republican Army« .
La majorité protestante nord irlandaise est quand à elle, plutôt loyaliste et unioniste, c’est à dire qu’elle est en faveur de l’union entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord et elle fait tout pour empêcher la réunification. Ces protestants s’arment et se regroupent en 1966 pour créer « l’Ulster Volunteer Force » afin de protéger les intérêts britannique.
En 1949, Londres promulgue « l’Ireland Act », qui reconnaît l’État d’Irlande, mais réitère l’appartenance de l’Irlande du Nord à la couronne britannique. Cela a pour conséquences d’attiser les tensions entre les deux camps et renforce la position des protestants dans la région.
Dans les années 1960, plusieurs rapprochement ont lieu entre les deux camps, mais les unionistes radicaux s’opposent au partage de la richesse avec la minorité catholique et on peur d’un rattachement à l’Irlande, bloquant toutes négociations, ce qui déclenche un conflit interne.
La lutte pour les droits civiques malgré un contexte difficile
Entre 1968 et 1998, l’Irlande du Nord est ravagée par une période sanglante appelée « Les Troubles », causant la mort de 3500 personnes et faisant 38 000 blessés. Des assassinats politiques et confessionnels ont lieu, des rackets, des attentats sont commis et des bombes explosent dans toute l’Irlande du Nord.
Dans les quartiers catholiques, l’ordre est désormais détenu par l’IRA. Le « Stormont« , incapable de faire baisser les tensions est dissout en 1972 par la couronne britannique, qui envoie 20 000 soldats.
C’est dans ce climat de tensions, que nait à Derry en 1968 le mouvement pour les droits civiques NICRA (« Nothern Ireland Civil Rights Association »), qui lutte pour que la communauté catholique soit prise en considération.
Inspirée par le même mouvement de lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis, l’association est créée et animée par des catholiques et des protestants modérés. Elle dénonce l’inégalité avec les protestants depuis 1921, en faisant de la désobéissance civile, des sit-ins, et des manifestations pacifiques.
Cette association réclame :
- L’égalité civique notamment l’accès au droit de vote
- Le redécoupage des circonscriptions électorales
- La dissolution d’un corps de police protestant jugé sectaire
- La fin des discriminations au logement
- L’emploi pour les catholiques
Dès 1969, le gouvernement britannique envoie 1000 soldats pour lutter contre les émeutes et les affrontements qui deviennent de plus en plus violents entre les populations. Des barricades sont par ailleurs érigées entre les quartiers protestants et catholiques.
La situation devient de plus en plus incontrôlable lorsque le 30 janvier 1972, quatorze manifestants pacifistes se font froidement abattre par des parachutistes britanniques à Derry. Cet évènement appelé « Bloody Sunday », marque profondément les esprits et symbolise des tensions de l’époque.

Suite au « Bloody Sunday », la lutte pacifiste laisse place à une guerre de libération nationale et l’IRA devient de plus en plus violente. En représailles, l’IRA place des bombes en juillet 1972 dans Belfast, faisant onze morts et cent trente blessés.
Le mouvement s’institutionnalise en 1970, avec la création du SDLP (« Social Democratic Labor Party ») un parti modéré qui rassemble environ 2/3 des catholiques nord irlandais, et recueille 18 à 28% des voix en Irlande du Nord.
Mettre un terme au conflit devient la priorité pour le gouvernement britannique. Il tente un rapprochement dans les années 1980.
La marche vers la paix
Dans les années 1980, les négociations portent sur le retour à l’autonomie de la province avec un partage des pouvoirs et un droit de regard de Dublin. De plus, Margaret Thatcher voulait créer une conférence intergouvernementale entre les deux pays, mais ces deux propositions se solvent par des échecs.
Au début des années 1990, les tensions en Irlande du Nord renaissent et les combats reprennent. Dans ce contexte, les ministres britanniques et irlandais se réunissent et signent une « Joint Declaration » en 1993.
Elle stipule que les deux gouvernements doivent accepter le principe de l’unité irlandaise, à condition que tout changement dans le statut de l’Irlande du Nord ait lieu avec le consentement de la majorité de sa population.
En septembre 1994, l’IRA accepte un cessez-le-feu suivi des groupes paramilitaires unionistes. Néanmoins, les unionistes protestants veulent que l’Irlande reconnaisse la légitimité de leur combat pour rester britanniques et diriger l’Irlande du Nord.
En avril 1998, « l’accord du Vendredi-Saint » est signé et est ensuite ratifié par référendum en Irlande du Nord et en République d’Irlande.
Cet accord :
- Crée une assemblée en Irlande du Nord ou l’exécutif fonctionne sur la base de la codécision entre les deux camps
- Il prévoit la création d’assemblées transfrontalières entre Nord et Sud
- Il entreprend la libération des prisonniers appartenant aux groupes paramilitaires, ainsi que le désarmement de ces groupes.
- Il permet aux deux communautés, de défendre leurs opinions, de manière légitimée et légale.
Celui-ci est le plus complet, car il prend en compte l’ensemble des parties et leur assure des garanties pour éviter la reprise des tensions.
Cependant, les tensions persistent et des groupes dissidents continuent à instaurer la violence et à faire des attentats mais a un degré moindre. Tout au long des années 2000, ces groupes se désarment petit à petit et en juin 2000, l’IRA dépose un stock d’armes.
En 2005, l’IRA se désarme officiellement, en 2007, les soldats britanniques encore présents en Irlande du Nord sont rappelés et l’UVF se désarme à son tour en 2009.
Les premières élections avec un pouvoir bi-confessionnel ont lieu en mai 2007. Celles-ci permettent la mise en place d’une coalition entre les quatres principaux partis dirigée par un premier ministre unioniste.

Néanmoins, des obstacles persistent à la paix définitive, car celle-ci doit se construire entre des populations qui se méfient l’une de l’autre. Cette division entre catholiques et protestants persiste encore aujourd’hui et l’attachement aux deux nations de référence, Irlande et Royaume-Uni, constitue une fracture profonde.
L’envahissement des quartiers catholiques par les protestants lors du conflit, a provoqué la construction de barricades et de murs séparant les quartiers. Ces « murs de la paix » apparaissent comme la représentation violente d’une division et restent encore aujourd’hui un symbole très fort.
Quelques liens et sources utiles
BENSIMON Fabrice, « L’Irlande contemporaine (1945-2012) », dans Histoire des Iles Britanniques, PUF, 2013
EPINOUX Estelle, « Les murs de la paix en Irlande du Nord » dans Guerre Mondiale et Conflits, 2001
LOYER Barbara, « L’Irlande, un conflit multiséculaire » dans Les Conflits dans le Monde, Collection U, 2020