L’article intitulé « Les causes de la guerre en Ukraine », publié sur le site STRATPOL, propose une interprétation des origines du conflit russo-ukrainien largement alignée sur des thèses pro-russes.
Cependant, cette analyse repose sur des arguments historiquement simplifiés et des narratifs biaisés, souvent utilisés pour justifier des actions contraires au droit international. Dans cet article, nous analysons les principaux points soulevés par STRATPOL et les confrontons à une lecture critique et documentée.
1. Une vision biaisée des liens historiques entre la Russie et l’Ukraine
STRATPOL affirme que « l’Ukraine et la Russie, si elles ne sont pas strictement le même pays, sont indissolublement liées par l’histoire ». L’article évoque les origines communes des deux pays, notamment à travers la Rus’ de Kiev au IXᵉ siècle, pour légitimer l’idée d’une unité intrinsèque entre les deux nations. Si la Rus’ de Kiev constitue effectivement un ancêtre commun, cette simplification ignore plusieurs siècles d’histoire complexe. Un parallèle aussi douteux pourrait être fait avec les Francs, pour la France et l’Allemagne.
Une identité ukrainienne distincte
L’Ukraine, au fil des siècles, a développé une identité nationale distincte, façonnée par des influences variées, dont la domination polono-lituanienne, les cosaques zaporogues et son histoire mouvementée sous l’Empire russe.
Affirmer que l’Ukraine est un prolongement historique de la Russie revient à nier les aspirations nationales ukrainiennes, qui se sont affirmées avec force, notamment lors de la Révolution de Maïdan en 2014.
Un argument servant la propagande russe
Cette vision historique simplifiée est souvent utilisée par la Russie pour justifier ses actions expansionnistes. Or, l’appartenance historique d’un territoire ne constitue pas une base légitime pour intervenir militairement ou contester la souveraineté d’un État moderne.
2. L’effondrement de l’URSS : un prisme russe nostalgique
L’article décrit l’effondrement de l’Union soviétique comme une « catastrophe géopolitique majeure », reprenant ainsi une rhétorique souvent utilisée par Vladimir Poutine.
Cette perception reflète la nostalgie d’une époque où la Russie dominait une grande partie de l’Europe de l’Est et de l’Asie centrale.
La souveraineté des anciennes républiques soviétiques
Si l’effondrement de l’URSS a entraîné des bouleversements économiques et politiques, il a également permis à des nations comme l’Ukraine de retrouver leur souveraineté. L’indépendance proclamée en 1991 par l’Ukraine a été validée par un référendum massif où plus de 90 % des Ukrainiens ont voté pour leur autonomie, y compris dans des régions majoritairement russophones comme la Crimée.
Un prétexte pour des ambitions impérialistes
Décrire cet événement comme une catastrophe sert à légitimer les efforts russes pour reconstruire une sphère d’influence à travers des moyens coercitifs, comme l’annexion de la Crimée en 2014 ou l’agression militaire en 2022.
Ces actions, cependant, violent le droit international et les accords signés par la Russie elle-même, notamment le mémorandum de Budapest de 1994.
3. L’OTAN, une menace pour la Russie ?
L’article attribue une grande part de responsabilité au rôle de l’OTAN dans l’escalade des tensions, en soulignant son expansion vers l’Est. Il s’agit là d’un argument central de la propagande russe, souvent présenté pour justifier l’agression en Ukraine.
Des paroles auraient été prononcées, auxquelles les pro-russes s’attachent. Pour rappel, Vladimir Poutine a affirmé à de nombreuses reprises qu’il n’engagerait pas de forces militaires en Ukraine, tout comme il a longtemps nié que Wagner était soutenu par la Russie. Pourquoi alors devrions-nous accorder du crédit à ces mensonges tout en nous offusquant de paroles datant de trente ans, non couchées sur le papier ?
L’adhésion à l’OTAN : un choix souverain
Les pays d’Europe centrale et orientale, anciens membres du Pacte de Varsovie, ont choisi de rejoindre l’OTAN pour garantir leur sécurité, notamment face aux ingérences russes. L’adhésion à l’OTAN est un processus volontaire, basé sur la souveraineté des États.
Elle ne constitue pas une menace offensive mais une alliance défensive. Si la Russie n’était pas si impérialiste et encline à vouloir faire renaître l’URSS, ces pays n’auraient certainement jamais rejoint l’OTAN.
Un narratif contredit par les faits
L’idée que l’OTAN menace directement la Russie est contredite par les réalités militaires. Avant 2022, la présence de troupes de l’OTAN près des frontières russes était minime. C’est l’invasion de l’Ukraine qui a conduit l’alliance à renforcer sa présence en Europe de l’Est, et non l’inverse.
Par ailleurs, les zones démilitarisées que la Russie prétend souhaiter à ses frontières sont un leurre. Dans le monde, ces zones sont souvent parmi les plus militarisées. Enfin, si les pays baltes, la Biélorussie, l’Ukraine et la Transcaucasie n’avaient pas été militarisés, ils auraient simplement été réintégrés de force dans le territoire russe (cf. Crimée, Tchétchénie, Géorgie…).
L’indépendance de ces pays a été, pour la Russie, ce que l’indépendance de l’Algérie a été pour la France : difficile, violente et largement débattue. Cependant, à la différence de la Russie, la France n’évoque pas en permanence un besoin de récupérer ces territoires perdus. Un pays souverain y a pris place, et notre impérialisme appartient au passé. Les dirigeants russes devraient adopter une vision similaire. Qu’ils se préoccupent plutôt de la Sibérie et des Républiques à l’Est.
4. Justifications fallacieuses de l’invasion russe
L’article de STRATPOL semble justifier l’invasion russe en invoquant des considérations historiques et géopolitiques. Cependant, ces arguments occultent les véritables motivations du Kremlin : le refus d’une Ukraine indépendante et orientée vers l’Ouest.
Une violation du droit international
L’invasion de l’Ukraine constitue une violation flagrante de la Charte des Nations unies, qui interdit le recours à la force pour résoudre des différends internationaux.
L’annexion de territoires par la force, comme en Crimée ou dans le Donbass, est également illégale au regard des principes internationaux.
Des conséquences désastreuses
Cette guerre a provoqué des milliers de morts, des millions de déplacés, et une crise humanitaire majeure. Elle menace également la stabilité régionale et mondiale, tout en isolant la Russie sur la scène internationale.
Pourquoi ces thèses sont erronées
L’article de STRATPOL, en reprenant des arguments pro-russes, simplifie l’histoire, légitime des actions illégales et ignore les droits fondamentaux de l’Ukraine à l’autodétermination. Ces thèses, bien que séduisantes pour certains, reposent sur des narratifs biaisés et des contre-vérités qui servent avant tout les intérêts du Kremlin.
Pour comprendre réellement les causes de la guerre en Ukraine, il est essentiel d’adopter une perspective équilibrée et de s’appuyer sur des sources fiables et diversifiées. La défense du droit international et des principes de souveraineté reste une priorité pour garantir la paix mondiale.
Quelques liens et sources utiles
Philippe Descamps, L’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce vers l’est, Le Monde, 2018
OTAN, Mise au point : Réponse aux mythes répandus par la Russie sur l’OTAN, 2024
Timothy Snyder, The Road to Unfreedom: Russia, Europe, America, Tim Duggan Books, 2018.
Serhii Plokhy, The Gates of Europe: A History of Ukraine, Basic Books, 2015.
Alexander J. Motyl, « The Surrealism of Realism: Misreading the War in Ukraine, » World Affairs, 2015.
Marie Mendras, Russie : L’envers du pouvoir, Seuil, 2015.
François Heisbourg, Retour de la guerre : Ukraine, Russie et défense de l’Europe, Odile Jacob, 2022.