Meta face à l’Europe numérique : quelle menace ?

Quelles conséquences à venir pour les utilisateurs européens et l’écosystème numérique mondial si Meta vire de bord ?
L'application Threads de Meta par smartphone - Domaine public
L’application Threads de Meta par smartphone – Domaine public

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Le président de Meta, Mark Zuckerberg, vient d’annoncer dans une vidéo la fin du système de fact-checking au sein de sa multinationale. Une mesure qui vient confirmer le rapprochement politique de Zuckerberg avec Trump, et qui met également fin aux divergences qu’il avait avec Elon Musk sur les politiques de modération.

Ce revirement stratégique, qui intervient à un moment où les débats autour de la régulation des plateformes numériques sont plus intenses que jamais, pourrait profondément bouleverser le rapport entre liberté d’expression, lutte contre la désinformation et responsabilité des géants de la tech. Si certains y voient un geste audacieux en faveur d’une expression plus libre et décomplexée, d’autres dénoncent au contraire une capitulation face aux pressions politiques et aux intérêts économiques, au détriment d’une information fiable et d’une modération éthique.

Alors que l’Europe essaie de se positionner depuis quelques années comme un précurseur de la protection numérique, cette décision pose donc des questions cruciales. Quelles conséquences à venir pour les utilisateurs européens, pour leurs institutions démocratiques et plus globalement pour l’écosystème numérique mondial si Meta vire radicalement de bord ? Tentative de réponse dès maintenant.

Respect des réglementations européennes par Meta : un bras de fer inévitable ?

En Europe, deux réglementations majeures viennent protéger les citoyens des dangers numériques.

D’abord, le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), adopté en mai 2018. Concrètement, il vise à protéger les données personnelles des citoyens de l’Union européenne en imposant des obligations strictes aux entreprises concernant la collecte, le traitement et le stockage des données des utilisateurs. Une manière plutôt efficace de garantir la souveraineté numérique des citoyens et de leur redonner le contrôle sur leurs données personnelles.

D’autre part, le Digital Markets Act (DMA), adopté en 2022, permet de modérer en Europe les ambitions des géants numériques que sont par exemple Google, Apple, Meta ou Amazon afin de maintenir sur leurs marchés respectifs une concurrence équitable avec les autres entreprises. Par cela, le DMA rééquilibre donc le pouvoir dans l’économie numérique et favorise l’innovation et la diversité au détriment des monopoles des géants technologiques.

Le RGPD et le DMA sont donc très contraignants pour Meta, qui a déjà montré par le passé une certaine résistance à ces régulations européennes. Le groupe a notamment été condamné en janvier 2023 à payer une amende de 390 millions d’euros pour son utilisation des données publicitaires sans consentement explicite des utilisateurs. Face à ces sanctions et aux autres blocages, Meta menaçait ainsi régulièrement de retirer Facebook et Instagram d’Europe, sans pour autant mettre sa menace à exécution.

Mais puisque les données des utilisateurs sont l’or noir du numérique, et que Meta semble se tourner vers des pratiques plus radicales, il semble désormais possible d’imaginer un changement de donne. Le groupe pourrait notamment essayer de faire plier les réglementations européennes en introduisant des services premium qui placeraient les institutions en porte-à-faux avec leurs citoyens.

De manière concrète, Meta pourrait techniquement proposer de nouvelles formules payantes aux entreprises pour leur permettre d’accéder à des outils publicitaires ultra-précis, grâce à l’exploitation des données sensibles des utilisateurs. Le groupe pourrait aussi lancer des offres où les utilisateurs auraient accès à des contenus ou fonctionnalités exclusifs, à condition qu’ils acceptent un profilage plus poussé. Dans les deux cas, le but serait de créer une sorte de “discrimination numérique”, où ceux qui ne payent pas ou refusent ces pratiques intrusives voient leur expérience utilisateur être lourdement impactée.

Ces mesures contredisent évidemment le RGPD et le DMA. Mais si Meta menaçait de retirer ses applications d’Europe après avoir hameçonné davantage entreprises et internautes, les institutions européennes pourraient-elles vraiment résister à la pression populaire ? Difficile à dire…

Dépendance technologique européenne : une domination encore plus marquée de Meta ?

S’imaginer vivre sans Facebook, Instagram ou encore WhatsApp paraît aujourd’hui improbable tant ces applications sont devenues indispensables. À titre d’illustration, la domination de Meta est telle que 96% des utilisateurs de messagerie allemands utilisent l’application verte.

On peut aussi noter que Meta inclut dans sa vision à long terme le développement du métavers, c’est-à-dire d’un univers numérique immersif où les utilisateurs pourraient interagir en temps réel grâce à des avatars dans des environnements en 3D. Un moyen très prometteur de combiner réalité virtuelle, réalité augmentée et réalité “réelle”.

un nouveau bâtiment dans le musée du metavers
Un nouveau bâtiment dans le musée du metavers / Mirabella (pseudo Wikipedia) | Creative Commons BY-SA 4.0

Autant dire que si Meta parvient à devenir le leader incontesté du métavers, en plus des réseaux sociaux, il disposera d’un pouvoir démesuré pour imposer ses conditions aux institutions européennes. Pourquoi ? Tout simplement parce que si le métavers devient concret, cela rendra toutes les entreprises dépendantes de Meta pour leur présence numérique et pour leur activité dans l’économie virtuelle.

Si cela reste compliqué à visualiser aujourd’hui, il est clair que Meta a toutes les cartes en main pour faire vivre un enfer numérique à l’Europe dans un futur plus ou moins proche.

Face à cette optique peu réjouissante, le continent essaie activement de renforcer son autonomie numérique face aux géants technologiques, dont fait partie Meta. Les initiatives européennes sont toutefois malheureusement inefficaces, en témoignent les échecs du cloud Gaia-X et du moteur de recherche Qwant à s’imposer dans ce monde ultra concurrentiel. L’indépendance numérique européenne semble donc aujourd’hui impossible à atteindre, ce qui laisse présager le pire…

Impact social et culturel de Meta : vers une société encore plus fragmentée ?

De manière générale, les sociétés humaines sont de plus en plus polarisées. L’Europe n’échappe pas à cette vérité, et ce ne sont pas les algorithmes et les priorités commerciales de Meta qui vont venir changer la donne.
De nos jours, Meta a un impact direct sur la manière dont les citoyens s’informent, communiquent et interagissent. Mais en favorisant les contenus sensationnalistes ou polarisants, ainsi que les scandales liés à la désinformation, le groupe contribue clairement à nuire aux efforts faits par les institutions européennes pour construire une société numérique inclusive.

Que peut donc faire l’Europe face à cette sur-domination de Meta et son récent virement de bord politique ?
Au risque de se mettre à dos une partie de ses citoyens, l’Europe aurait tout intérêt à renforcer les régulations existantes et leur application, notamment sur les transferts de données et la monétisation des données sensibles. Une façon d’apparaître comme un intermédiaire sérieux auprès de Meta, tout en lui mettant des bâtons dans les roues.

Par ailleurs, l’Europe pourrait aussi s’allier avec d’autres pays comme l’Inde ou le Canada pour développer d’autres alternatives à Meta, et ainsi tenter de contrecarrer la domination des Big Tech.

Dans tous les cas, l’Europe doit non seulement s’inquiéter de Meta et de son revirement de bord, mais surtout agir rapidement pour ne pas laisser le groupe fragiliser encore plus qu’elles ne le sont déjà sa souveraineté numérique, ses valeurs sociétales et sa compétitivité économique.

Quelques liens et sources utiles : 

Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Alexandre Escorria, Marine Guillaume et Janaina Herrera, Les manipulations de l’information: Un défi pour nos démocraties, La Documentation française, 2019

Pierre Bellanger, La souveraineté numérique, Stock, 2014

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