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L’Histoire regorge de récits improbables, mais aussi de périodes complexes qui méritent d’être explorées. Plongez, à travers les séries de Revue Histoire, dans un fragment de notre histoire mondiale.
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Tout commence par une carte mal dessinée. Un halo blanc, une mer fantasmée, des terres supposées pleines de richesses, de monstres et de passages vers l’Asie. L’Arctique, pendant des siècles, n’est pas un lieu : c’est une rumeur géographique. Une énigme au nord du monde, que l’on cherche à percer à force d’expéditions, de tragédies et de récits enjolivés. Une absence habitée, que les puissances occidentales ont tenté de transformer en direction.
On croit souvent que l’histoire du pôle commence avec les grands explorateurs européens. C’est oublier que des peuples y vivent depuis des millénaires, sans besoin de le “découvrir”. Eux n’ont jamais vu l’Arctique comme un mystère à élucider. Ils y ont habité, chassé, transmis. Mais dans l’histoire officielle, ils apparaissent peu. Ils gênent le récit de la conquête.
Au XVIe siècle, des navigateurs anglais comme Martin Frobisher ou John Davis cherchent un passage vers les Indes par le nord. Ils croisent des glaces, des ours, des falaises. Ils ne trouvent rien, ou presque. Mais leurs récits rentrent en Europe. On publie des cartes remplies de détails approximatifs, de courants supposés, de continents inversés. Les géographes dessinent ce qu’ils espèrent plus que ce qu’ils voient.
Les Hollandais, les Russes, les Danois s’y mettent à leur tour. Chaque expédition devient affaire de prestige national. Celui qui posera son drapeau le premier sur une île glacée gagnera un peu plus que du vent. Il gagnera un récit. C’est cela que les puissances cherchent au fond : une histoire à raconter, à enseigner, à graver dans les mémoires.
En 1845, l’expédition Franklin quitte l’Angleterre pour tracer un passage par le nord-ouest. Deux navires, 129 hommes, une organisation militaire. Aucun ne reviendra. Les navires resteront piégés dans la glace, et les membres de l’équipage, affamés, mourront un à un. Les récits des survivants, transmis par les Inuits, seront d’abord ignorés, puis discrédités. Il fallait des héros, pas des naufragés devenus cannibales.
Il faudra attendre plus d’un siècle pour retrouver les épaves de l’Erebus et du Terror. L’histoire devient alors patrimoine : une tragédie nationale recyclée en légende d’endurance et de courage. Les Britanniques ont échoué, mais ils ont écrit une page. C’est assez pour nourrir une mémoire.
Pendant que les Européens meurent dans le froid, d’autres vivent. Les Inuits, les Samis, les Tchouktches, les Nénètses et d’autres groupes arctiques poursuivent des modes de vie fondés sur la chasse, la transmission orale, l’observation des glaces. Leur savoir ne figure pas dans les manuels de géographie. On le juge trop instinctif, pas assez scientifique.
Et pourtant, ce sont eux qui sauvent parfois les explorateurs perdus, qui lisent les changements de climat, qui suivent les migrations animales avec une précision que ne renieraient pas les meilleurs instituts. Ce savoir, qualifié de « traditionnel », sera pillé, folklorisé, mais rarement reconnu à sa juste valeur. L’histoire de l’Arctique, c’est aussi celle d’une dépossession intellectuelle, invisible mais constante.
Au XXe siècle, l’Arctique change de statut. Il n’est plus lointain. Il devient stratégique. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les convois alliés passent au large du cercle polaire pour ravitailler l’URSS. Les sous-marins nazis croisent sous la banquise. Le froid n’est plus une frontière, mais un bouclier. Puis vient la guerre froide. Les États-Unis installent des radars, des stations d’écoute, des bases en Alaska et au Groenland. Les Soviétiques font de même dans la mer de Kara.
Le ciel polaire devient une autoroute invisible pour les missiles intercontinentaux. Des bases se construisent dans le silence, des armes attendent, dissimulées dans les glaces. On imagine des bunkers dans les fjords, des avions prêts à décoller depuis des pistes invisibles. L’Arctique devient une ligne de front qui ne dit pas son nom. Et pourtant, aucun traité majeur ne règle la question de sa souveraineté.
Depuis les années 1990, les glaces fondent plus vite que prévu. Les scientifiques tirent la sonnette d’alarme. Les militaires, eux, tracent des plans. Car qui dit fonte dit accès. Accès aux ressources : pétrole, gaz, terres rares. Accès aux routes maritimes : le passage du Nord-Ouest devient une alternative aux routes classiques, plus rapide, moins surveillée.
Alors les revendications s’accumulent. La Russie envoie un drapeau au fond de l’océan Arctique. Le Canada renforce sa présence militaire dans le Nunavut. La Chine parle de “route polaire de la soie”. Même des pays sans littoral arctique réclament une place dans la gouvernance. Le Groenland devient un enjeu majeur. Les États-Unis proposent de l’acheter. Le Danemark refuse, mais la question ne disparaît pas.
L’Arctique n’est plus le bout du monde. Il est au centre de tous les calculs.
On les montre parfois dans les reportages, vêtus de peaux traditionnelles, souriants devant des igloos. Mais la réalité de l’Arctique contemporain, c’est la violence sociale : taux de suicide élevés, chômage, alcoolisme, destruction des milieux de vie. Les langues disparaissent, les traditions s’effacent, les jeunesses s’exilent.
Et pourtant, la résistance existe. Dans certains villages, on recrée des écoles en langue autochtone. On cartographie les savoirs ancestraux. On documente les légendes pour ne pas qu’elles se perdent. Car la mémoire ne fond pas comme la glace. Elle reste, souvent silencieuse, parfois clandestine, mais bien vivante.
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