L’élection de Javier Milei : un nouveau défi pour l’identité nationale

L’ascension de Javier Milei à la présidence en 2023 a été le résultat d'un sentiment croissant de frustration envers les partis traditionnels.
Javier Milei - Vox España | Creative Commons 0 1.0
Javier Milei – Vox España | Creative Commons 0 1.0

Sommaire

L’ascension de Javier Milei à la présidence de l’Argentine en 2023 a été le résultat d’un ensemble complexe de facteurs économiques, sociaux et politiques qui ont façonné la société argentine au cours des deux décennies précédentes.

Milei, économiste libertarien et personnage charismatique, a émergé sur la scène politique à un moment où le pays était plongé dans une profonde crise économique, aggravée par une inflation galopante, une pauvreté croissante et une dette publique écrasante.

Après plusieurs tentatives de réformes sous les présidences de Mauricio Macri et Alberto Fernández, la population a manifesté un sentiment croissant de frustration envers les partis traditionnels et leur incapacité à résoudre les problèmes chroniques de l’économie.

Contexte et ascension de Javier Milei

L’une des causes principales du succès de Milei a été la montée d’un individualisme exacerbé en réponse à ces difficultés économiques et à l’incapacité de l’État à améliorer les conditions de vie de ses citoyens. Après des décennies de péronisme, d’État-providence et d’interventionnisme, un segment important de la société a commencé à rejeter les politiques traditionnelles qui n’avaient pas réussi à endiguer la spirale inflationniste et à réduire les inégalités.

Cérémonie d'investiture du président Javier Milei - Casa Rosada | CC BY 2.5 AR
Cérémonie d’investiture du président Javier Milei – Casa Rosada | Creative Commons BY 2.5 AR

Les classes moyennes, durement touchées par l’érosion de leur pouvoir d’achat et par la crise économique, se sont senties abandonnées par les élites politiques et ont cherché des solutions alternatives, à la fois sur le plan économique et social

En réponse à cette frustration croissante, le discours de Milei, anti-étatiste et ultra-libéral, a résonné fortement auprès de ces secteurs de la population. Il a su tirer parti de la méfiance envers les institutions, en particulier après la pandémie de COVID-19, qui avait exacerbé les tensions économiques et sociales.

Pour beaucoup d’Argentins, la bureaucratie inefficace et corrompue apparaissait comme le véritable obstacle au développement économique du pays. Milei a réussi à incarner une nouvelle forme de populisme, mais d’un genre différent, basé non pas sur l’État-providence mais sur l’individualisme et la dérégulation.

Variation de l'indice des prix à la consommation entre juin 2023 et mai 2024 - INDEC | Creative Commons BY 4.0
Variation de l’indice des prix à la consommation entre juin 2023 et mai 2024 – INDEC | Creative Commons BY 4.0

Le programme de Milei et la fracture de l’identité nationale

Le programme de Javier Milei représente une rupture radicale avec les paradigmes traditionnels de la politique argentine, profondément ancrés dans une vision péroniste de l’intervention de l’État.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’identité nationale argentine a été façonnée par un équilibre entre la protection sociale, les politiques économiques redistributives et un nationalisme centré sur l’autosuffisance économique et la justice sociale.

Milei, en revanche, prône un modèle diamétralement opposé, fondé sur les principes de l’ultra-libéralisme : privatisation massive, réduction de la taille de l’État et promotion de la libre concurrence.

Son discours de rupture, qui s’attaque frontalement aux fondements de l’État-providence, a suscité une vive controverse en Argentine. La privatisation des services publics, notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé, la dérégulation du marché du travail et la suppression de la banque centrale, constituaient des points centraux de son programme.

Ces mesures visent à diminuer drastiquement le rôle de l’État dans la vie quotidienne des Argentins, ce qui a inévitablement conduit à une remise en question de l’identité collective, historiquement centrée sur l’entraide sociale et la solidarité nationale.

En redéfinissant le rôle de l’État, Milei a profondément affecté le débat sur l’identité argentine. D’un côté, ses partisans estiment que son programme offre une opportunité pour que l’Argentine devienne enfin une économie moderne, intégrée aux marchés mondiaux et compétitive.

De l’autre côté, ses détracteurs craignent que cette approche ne démantèle les acquis sociaux et n’aggrave les inégalités. La conception traditionnelle de la nation argentine, reposant sur la solidarité et la justice sociale, se heurte désormais à une vision plus individualiste et concurrentielle. Cette tension entre ces deux visions du pays a redéfini les lignes de fracture politiques, économiques et culturelles en Argentine.

L’élection de Javier Milei a entraîné une polarisation sans précédent au sein de la société argentine, exacerbant les tensions qui avaient émergé au cours des décennies précédentes. D’un côté, ses partisans, souvent jeunes et issus des classes moyennes et entrepreneurs, voient en lui un porte-drapeau de la liberté individuelle et un réformateur capable de libérer l’économie argentine des contraintes imposées par un État jugé obsolète et inefficace.

De l’autre côté, une large partie de la population, notamment les classes populaires, les syndicats et les mouvements sociaux, redoutent les conséquences sociales des réformes radicales qu’il propose. 

Cette polarisation s’est manifestée non seulement dans le domaine politique mais aussi dans les domaines social et culturel. Les syndicats, historiquement puissants en Argentine, ont vu dans les propositions de Milei une attaque directe contre les droits des travailleurs.

Les mouvements sociaux, particulièrement actifs depuis la crise de 2001, ont également multiplié les manifestations pour dénoncer la privatisation des services publics et la réduction des protections sociales. Pour ces groupes, les réformes de Milei sont perçues non seulement comme une menace pour leurs conditions de vie, mais comme un danger pour l’identité collective argentine.

L’impact culturel et l’avenir de l’identité argentine

Sur le plan culturel, les débats autour de l’élection de Milei ont également engendré de nouvelles formes d’expression artistique et littéraire. Certains artistes et intellectuels ont adhéré à sa vision néo-libérale, en célébrant la méritocratie et la liberté individuelle.

Cependant, d’autres ont utilisé l’art et la littérature pour critiquer les effets sociaux de son programme et pour rappeler l’importance de la solidarité nationale. Ainsi, des écrivains, des réalisateurs et des musiciens ont revisité des thèmes traditionnels de l’identité argentine pour dénoncer ce qu’ils perçoivent comme une menace contre les valeurs collectives du pays.

Manifestation contre les réformes du président Milei - Iro Bosero (Pseudo Wikipédia) | CC BY-SA 4.0
Manifestation contre les réformes du président Milei – Iro Bosero (Pseudo Wikipédia) | CC BY-SA 4.0

L’élection de Javier Milei a ouvert une nouvelle phase de recomposition de l’identité nationale argentine, qui reste marquée par des tensions profondes entre les idéaux de réformes libérales et les revendications sociales.

Le projet de Milei, bien qu’ultra-libéral, n’a pas encore atteint sa pleine maturité, et ses effets sur la société restent incertains. D’un côté, la libéralisation économique pourrait, à terme, revitaliser certains secteurs de l’économie argentine, en stimulant l’investissement privé et en réduisant la dette publique. De l’autre, elle pourrait également aggraver les inégalités et renforcer la marginalisation des populations les plus vulnérables.

L’identité argentine, historiquement façonnée par un fort attachement aux valeurs de solidarité et de protection sociale, est aujourd’hui en pleine mutation. Les réformes libérales de Milei pourraient provoquer une évolution vers une société plus individualiste, où les notions de réussite personnelle et de libre concurrence remplacent les idéaux de justice sociale et de solidarité collective.

Supporters de Milei place du Congrès - MinervaAustral (Pseudo Wikipédia) | CC BY 4.0
Supporters de Milei place du Congrès – MinervaAustral (Pseudo Wikipédia) | CC BY 4.0

Cependant, face à cette vision, les mouvements sociaux et les groupes politiques de gauche restent mobilisés, luttant pour préserver les acquis sociaux et pour réaffirmer une identité nationale centrée sur l’entraide et la justice sociale.

L’avenir de l’Argentine sous la présidence de Milei dépendra donc de la capacité du pays à trouver un équilibre entre ces deux visions concurrentes de son identité nationale. Si les réformes économiques réussissent à relancer la croissance tout en maintenant une certaine cohésion sociale, l’Argentine pourrait émerger de cette période de transition avec une identité redéfinie, mais plus inclusive.

Si, en revanche, les réformes échouent à réduire les inégalités et à améliorer le bien-être général, l’identité nationale pourrait se fragmenter davantage, exacerbant les divisions et les tensions sociales.

Quelques liens et sources utiles

Montoya, A. La société argentine du début du XX° siècle vantée par Javier Milei était loin d’être idyllique. Le monde. 10 décembre 2023

Dumont, J. Milei, une histoire argentine, une dynamique globale. La grande conversation. 7 décembre 2023

Gonzalez Bernaldo de Quiros, P. (2024). Argentina hasta la muerte. Fondo de Cultura económica argentina-

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