Le diamant, une ressource empoisonnée pour l’Afrique ?

Les diamants sont-ils obligatoirement synonymes de conflit en Afrique ?
Un baritel (horse-whims) dans les mines diamantifères en 1881, extrait de l'oeuvre Seven years in South Africa - Unknown author | Domaine public
Un baritel (horse-whims) dans les mines diamantifères en 1881, extrait de l’oeuvre Seven years in South Africa – Unknown author | Domaine public

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Synonyme de luxe, de pureté et de richesse pour la plupart d’entre nous, le diamant recouvre aussi une réalité bien plus sanglante. En 2006, le thriller dramatique mondialement connu Blood Diamond, réalisé par le producteur américain Edward Zwick, est sans doute l’œuvre de référence traitant du rôle joué par les diamants dans les conflits sur le continent africain.

Le film se déroule en 1999 en Sierra Leone, où depuis huit ans une guerre civile déchire le pays. Le gouvernement d’Ahmad Tejan Kabbah, président de la république sierraléonaise de 1996 à 2007, et les rebelles du Revolutionary United Front – RUF – s’affrontent pour le contrôle de mines diamantifères. À partir de 1998, l’ONU intervient dans le conflit de façon croissante, et quatre ans plus tard, les deux camps s’engagent à cesser les hostilités. Déjà avec la guerre civile angolaise, en 1975, l’expression « diamant de sang » naissait.

Est-ce qu’il existerait ainsi une condition déterministe sur le continent africain telle que la présence de diamant impliquerait forcément le conflit ? Il nous faut d’abord évoquer les liens existants entre les conflits sur le continent africain et la ressource diamantifère, puis aborder les actions mises en œuvre pour lutter contre les « diamants de sang », et enfin mettre en évidence le rôle différencié joué par le minerai selon les conflits.

Les liens entre les conflits et les diamants sur le continent africain

Beaucoup de territoires sont instables et/ou en conflit sur le continent africain. En 2000, 20 % de la population et quatorze pays étaient concernés par la guerre. Également, entre 2017 et 2023, le nombre de déplacements forcés a été multiplié par deux, concernant désormais plus de quarante millions de personnes. Cette situation concerne ainsi environ 3 % de la population continentale, constituant la part la plus élevé de déplacés parmi l’ensemble des régions du monde.

De nombreuses guerres en Afrique aujourd’hui sont liées au contrôle des ressources, principalement en hydrocarbures et en diamant. La guerre civile au Sierra Leone évoquée précédemment, ou encore la Deuxième guerre du Congo, ayant eu lieu de 1998 à 2003, ont toutes deux d’abord été motivé par une volonté de contrôle des principales zones de gisements diamantifères.

Si le minerai est autant convoité et source de conflits, c’est notamment parce que de nombreuses économies des pays africains sont très tournées vers la production de diamants.

Une prépondérance de l’activité diamantifère dans les économies

Le diamant a été découvert à la fin du XIXe siècle, d’abord en Afrique du Sud où il a été exploité dès 1869. Aujourd’hui, le continent contribue pour 62% à la production mondiale de diamants. Le Botswana et la République Démocratique du Congo sont respectivement les deuxième et cinquième producteurs mondiaux du minerai.

En 2019, le Botswana produisait environ 23 millions de carats, destinés à la joaillerie. Cette activité représente 25% du Produit Intérieur Brut (PIB) du pays, ainsi que près de 60% de ses exportations totales. Ces chiffres illustrent la dépendance économique du Botswana à la production diamantifère.

Pour analyser l’économie politique du diamant africain, le concept de gemmocratie a même vu le jour, soit littéralement la puissance par la gemme.

Nombre de guerres sur le continent africain sont ou ont été financé par le diamant. L’utilisation de minerais pour financer des conflits se retrouve surtout en Afrique. Énormément de pays exportent la majorité de leur production pour financer le secteur militaire. Sous la présidence de Charles Taylor, de 1997 à 2003, le Liberia exportait 40 fois plus de diamants qu’il n’en produisait.

Ce que plusieurs spécialistes nomment diamants de conflits, ou « diamants de sang », correspond à des diamants extraits de mines situées dans des zones de conflits, qui sont vendus de façon illégale et clandestine afin d’armer des groupes contestataires du pouvoir en place.

L’influence du groupe De Beers dans le commerce du diamant africain

Le succès de la commercialisation du diamant africain est notamment le résultat d’une habile stratégie de communication de l’entreprise multinationale De Beers. La société a été fondé en même temps que la découverte de la gemme et a bénéficié d’une situation de monopole, c’est-à-dire une situation de marché dans laquelle il n’y a qu’un seul offreur pour une grande quantité de consommateurs. Cela permet par exemple à l’entreprise de pratiquer des tarifs plus élevés et ainsi d’augmenter ses profits sur la vente de diamant brut tout au long du XXe siècle.

A travers des campagnes de publicités et des placements de produits au cinéma dans le monde entier, la compagnie a réussi à augmenter la demande. De Beers a construit une image du diamant à travers ses pratiques de communication, l’érigeant en symbole de la pureté et masquant la réalité des diamants de sang.

Prises de conscience et tentatives de régulation internationale

Dans les années 90, plusieurs ONG – Organisations Non Gouvernementales –  dont le mouvement de défense des droits humains Amnesty International, ont mené des campagnes de sensibilisation pour informer le grand public des conséquences de l’achat de diamants : cette action participe indirectement à financer des groupes rebelles dans plusieurs pays africains notamment en Angola et en Sierra Leone, et donc à alimenter des conflits sur le continent.

Le processus de Kimberley…

Une volonté de réguler le marché international du diamant émerge aux débuts des années 2000 avec le processus de Kimberley. Il s’agit d’une conférence à l’échelle mondiale réunissant États, industries du diamant et représentants de la société civile. L’objectif est de réguler le marché du diamant, et plus précisément d’empêcher l’arrivée de « diamants de conflits ».

Pour se mettre d’accord sur ce sur quoi il faut agir, l’ONU définit en 2003 les « diamants de conflits » comme « des diamants bruts utilisés par les mouvements rebelles pour financer leurs activités militaires, en particulier des tentatives visant à ébranler ou renverser des gouvernements légitimes ». La même année, le SCPK – système de certification du processus de Kimberley – est institué. Il vient certifier l’origine des diamants vendus dans le monde entier.

Le secrétaire spécial du ministère du Commerce, Shri Rahul Khullar,  lors de la séance de clôture de la réunion de quatre jours du système de certification du processus de Kimberley (SCPK), à New Delhi, le 6 novembre 2008 - Ministère indien du commerce et de l'industrie | Domaine Public
Le secrétaire spécial du ministère du Commerce, Shri Rahul Khullar, lors de la séance de clôture de la réunion de quatre jours du système de certification du processus de Kimberley (SCPK), à New Delhi, le 6 novembre 2008 – Ministère indien du commerce et de l’industrie | Domaine Public

… et ses limites

Cependant, très rapidement, cette régulation est contournée par les réseaux de contrebande. En corrompant directement des agences gouvernementales dans des pays producteurs ou en blanchissant les « diamants de sang » à Dubaï, les trafiquants se procurent de faux certificats.

Et surtout, la définition retenue par l’ONU n’est pas adaptée aux réalités des conflits sur le continent. Selon la chercheuse au Fonds de la recherche scientifique Elise Rousseau, elle devrait être étendue, ne prenant actuellement en compte que les diamants produits dans certaines zones de République centrafricaine. De plus, la complexification du jeu d’acteurs, notamment avec les liens supposés du groupe Wagner et le trafic de diamants dans le pays, montre que le champ d’action de l’ONU est trop restreint.

Ayant une connaissance croissante du phénomène de diamants de sang, une demande de diamants éthiques croît chez les consommateurs. Etant donné que le processus de Kimberley est inefficace, ce sont désormais les entreprises qui développent pour certaines une filière respectueuse des droits sur l’ensemble de la chaîne de production, promouvant une transparence du produit. Or, comme le dit Élise Rousseau, si l’industrie diamantaire devient elle-même à la fois juge et partie du commerce, l’action régulatrice entreprise par le processus de Kimberley risque de tomber en désuétude et de perpétuer l’arrivée de diamants de sang dans le marché international du diamant.

Un destin irréfutable pour les pays africains détenteurs de diamants ?

Revenons précisément sur le rôle joué par les diamants dans les conflits en Afrique. L’expression blood diamond, ou diamants de sang, est utilisé principalement pour parler des guerres au Liberia, au Sierra Leone, en Angola et en République Démocratique du Congo (RDC)

La prépondérance du diamant dans les guerres en RDC

De 1996 à 2003, les Première et Deuxième guerre du Congo se sont succédées, la seconde étant aussi surnommée la « grande guerre africaine ». Dans ces deux conflits, le diamant est un enjeu permanent. Le pays est un point névralgique des ressources en minerais, concentrant sous son sol 50 % des réserves mondiales de cobalt, 10 % des réserves de cuivre et 30 % des réserves de diamant. Dès la décolonisation de la RDC, l’une de ses régions les mieux dotées, celle du Kasaï, revendique son autonomie appuyée par la Belgique.

À partir des années 80, la situation économique se dégrade, le pays connaît une forte inflation et l’isolement diplomatique de la RDC se fait de plus en plus prégnant avec le recul de l’appui des puissances occidentales. L’instabilité du régime de Mobutu a favorisé la violence interne dans le pays mais a aussi motivé le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda à entrer en guerre pour prendre le contrôle de ce territoire riche en ressources. L’Alliance des Forces Démocratiques pour la libération du Congo – AFDL – fondée en 1996 et dirigée par Laurent Désiré Kabila, renverse le gouvernement Mobutu et prend le pouvoir à l’issue de la Première Guerre du Congo en 1997. Le Zaïre devient alors la République Démocratique du Congo.

Kabila, souhaitant s’affranchir de la tutelle du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi, provoque une nouvelle guerre face aux désaccords de ces pays qui convoitent le territoire congolais. La Deuxième guerre du Congo oppose ainsi le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi à la RDC et ses nouveaux alliés : le Zimbabwe, la Namibie et l’Angola, qui se sont vus promettre un accès aux ressources minières du pays en échange de leur soutien.

On voit donc bien que dans ce conflit le diamant représente un enjeu stratégique pour tous les protagonistes. Il est à la fois un moyen de financer la guerre, un faire-valoir dans les jeux d’alliances régionaux ainsi que la finalité de la guerre, suscitant une grande convoitise due à sa valeur. De plus, la concentration de minerais en RDC, parfois qualifiée de « scandale géologique », peut nous conduire à penser que l’émergence de conflits pour ces ressources semble inévitable, prédéterminée.

Guerre civile angolaise, un rôle à nuancer

La guerre civile angolaise est le premier conflit où l’on dénonce le phénomène des « diamants du sang ». Une mission des Nations Unies a révélé que le mouvement d’opposition armée UNITA, dirigé par Jonas Savimbi, finançait le matériel de guerre avec des diamants bruts issus de gisements qu’il contrôlait.

Et en juin 1999, le Conseil de Sécurité de l’ONU – organe composée de cinq membres permanents, que sont la Russie, les États-Unis, la Chine, le Royaume-Uni et la France, ainsi que de dix membres non-permanents élus pour deux ans – a décidé d’un embargo – soit une interdiction de libre-circulation d’une marchandise sur le marché international – sur les diamants angolais.

Par cette régulation, les Nations Unies n’agissent pas sur la cause de la guerre mais viennent l’enrayer. En effet, le diamant ne constitue ici qu’un moyen de financer cette guerre et n’en est aucunement la cause. Cette dernière a éclaté initialement en raison d’une division ethnique et d’une confrontation idéologique pour le pouvoir au sein de la famille régnant, cela datant d’avant l’indépendance du pays en 1975.

Les cas d’un développement pacifique du diamant

Enfin, dans de nombreux pays africains aujourd’hui le marché du diamant est correctement organisé et n’est pas l’objet de conflits. C’est le cas par exemple en Afrique du Sud, en Namibie ou au Botswana.

Pour ce dernier, ce n’est qu’après son indépendance en 1966 que le pays découvre la présence du diamant. Une alliance est signée entre le Gouvernement Debswana et la multinationale De Beers pour l’exploitation. L’alliance est un succès, la gestion minière se fait de manière raisonnée et le pays connaît une forte croissance de telle sorte qu’entre 1966 et la fin des années 90, le Botswana connaît une croissance annuelle moyenne de son PIB d’environ 10 % par an. L’État d’Afrique Australe est aujourd’hui le second producteur de diamant brut derrière la Russie et trois de ses mines produisent près d’un tiers du diamant africain.

Ce phénomène que l’on peut qualifier de « diamants du développement » opérant au Botswana s’explique notamment par la stabilité politique et la culture démocratique historique du pays. L’ONG internationale allemande Transparency International, qui lutte contre la corruption au sein des gouvernements et des institutions, classe l’État botswanais comme le moins corrompu du continent.

Ainsi, l’exemple du Botswana brise l’idée d’une obligatoire « malédiction des ressources », bien que vécue par de nombreux pays africains, et montre que l’activité diamantifère peut permettre un développement pacifique.

Diamant entre luxe et sang

La présence de diamants au sein des États africains n’est donc pas, de façon immuable, synonyme de conflit. La gemme reste une ressource de premier ordre sur le continent, au vu de la place qu’elle tient dans les économies de plusieurs pays, impliquant un risque élevé de convoitise. Le diamant peut constituer une lecture possible des conflits, expliquant de nombreuses dynamiques d’acteurs comme en République Démocratique du Congo. Le facteur diamant revêt également un degré d’influence variable dans l’éclatement et le déroulement des conflits en fonction des contextes nationaux.

Enfin, les causes des guerres en Afriques restent multiples et nécessitent des approches pluridisciplinaires si l’on souhaite en avoir une meilleure compréhension. On peut ainsi prendre en compte les facteurs identitaires, ethniques, religieux ou nationalistes, la stabilité politique des régimes et des institutions, les ingérences de puissances étrangères ou encore la mondialisation des organisations criminelles internationales.

Quelques liens et sources utiles

Hugon, P. (2001). L’économie des Conflits En Afrique. Revue internationale et stratégique, 43(3), 152-169.

Orru, J.-F., Pelon, R. et Gentilhomme, P. (2007). Le Diamant Dans la Géopolitique Africaine. Afrique contemporaine, 221(1), 173-203. https://doi.org/10.3917/afco.221.0173.

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