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Pont-Saint-Esprit empoisonné au LSD par la CIA

Le village de Pont-Saint-Esprit est touché en août 1951 par une vague d'hallucinations certainement provoquée par l'ergotisme, ou du LSD...
Pont-Saint-Esprit (Gard), août 1951. Des habitants consultent les avancées de l’enquête dans Le Provençal - LA PROVENCE/Photo d’archives | Domaine public
Pont-Saint-Esprit (Gard), août 1951. Des habitants consultent les avancées de l’enquête dans Le Provençal – LA PROVENCE/Photo d’archives | Domaine public

L’histoire la plus célèbre associée au village français de Pont-Saint-Esprit est une épidémie d’hallucinations massives qui s’y est produite en 1951. Le 16 août de cette année-là, plusieurs habitants du village ont commencé à ressentir des symptômes tels que des psychoses, des hallucinations et des délires, et plusieurs personnes ont été internées ou sont décédées à la suite de cette épidémie. La cause encore incertaine de cette épidémie d’hallucinations a été imputée récemment au LSD

Une France d’après-guerre secouée par la faim

L’histoire de Pont-Saint-Esprit se déroule après la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans une France certes libérée, mais très appauvrie. La faim est présente, les hommes et les femmes doivent encore se priver. Rappelons que la carte de rationnement – nommée « carte de pain » – n’a été supprimée qu’à partir du 1er février 1949.

La France importe une grande partie de sa production agricole afin de subvenir aux besoins de la population. Des ravitaillements ont lieu dans l’ensemble de l’hexagone pour fournir à chacun des vivres, notamment du pain. L’agriculture dans le Gard, département où se trouve le Pont-Saint-Esprit, est poussée par une volonté de production viticole, ne permettant pas la création de produits permettant de subvenir aux besoins nutritionnels des locaux.

L’importation de produits alimentaires extérieurs est donc importante sur ce territoire. Les grands moulins de Corbeil et la minoterie marseillaise sont quasiment les seuls en charge du ravitaillement de ce territoire, créant un dangereux monopole. Le prix du pain, fixé administrativement, les pousse à réduire au maximum leur coût, provoquant la commercialisation de farine de très mauvaise qualité…

Une histoire, sans réelle explication…

L’épidémie d’hallucinations de Pont-Saint-Esprit en 1951 n’a jamais été pleinement élucidée. Elle a été initialement attribuée à l’empoisonnement par l’ergot de seigle, mais cette théorie a été contestée. D’autres explications ont été avancées, notamment la possibilité d’une contamination accidentelle ou volontaire avec une substance psychotrope.

Le cauchemar du village de Pont-Saint-Esprit

L’épidémie commence le 16 août avec les premiers cas répertoriés dans le village – de 4500 âmes. Les trois médecins du bourg sont surchargés de patients inquiétants. Ils ont des symptômes communs, allant de frissons, aux maux de ventre, en passant par des vomissements et des bouffées de chaleur, avec des cas extrêmes subissants des hallucinations. Dès les premiers jours de l’épidémie, sept morts sont à déplorer. Le 21 août, 130 personnes sont intoxiquées et 6 sont hospitalisées, dont 3 enfants.

Une du magazine « Point de vue » du 6 septembre 1951 sur laquelle on voit un habitant de Pont-Saint-Esprit en plein délire - DR LA PROVENCE/Photo d’archives | Domaine public
Une du magazine « Point de vue » du 6 septembre 1951 sur laquelle on voit un habitant de Pont-Saint-Esprit en plein délire – DR LA PROVENCE/Photo d’archives | Domaine public

Très vite les médecins pensent à une intoxication alimentaire, notamment provoquée par le pain, un élément nutritif très présent dans l’alimentation des Français à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. L’enquête cible rapidement la boulangerie de la Grand’Rue, tenue par l’honnête Roch Briand.

Le pain est fait localement, mais la farine livrée n’est pas toujours de première qualité… Le maire, Albert Hébrard, fait fermer les boulangeries et interdire la vente de pain, qui a maintenant très mauvaise réputation chez les Spiripontains. La population se rabat sur les biscuits et les biscottes.

L’histoire dérape durant la nuit du 25 au 26 août, surnommée « nuit de l’apocalypse ». Les cas d’hallucinations augmentent, poussant les autorités à placer 23 personnes d’urgence à l’hôpital de Pont-Saint-Esprit.

Des cris effroyables s’entendent dans tout le village, la douleur tord les corps. Un ouvrier est passé à la camisole, afin de l’empêcher de se suicider, le pauvre ne peut plus supporter la douleur. Un enfant de 11 ans se jette sur sa mère pour l’étrangler. Un homme à l’hôpital se jette de sa fenêtre, se brise les jambes mais continue à courir avant d’être arrêté. Une femme pense être une libellule. Le directeur de la coopérative locale pense voir des fleurs immenses, et nombreux sont ceux à tout tenter pour faire taire les voix dans leur tête…

« Je suis mort, ma tête est en cuivre et j’ai des serpents dans le ventre »

Les mots d’un ouvrier du village avant de se jeter dans le Rhône

En somme la situation est critique, les hallucinations dureront pour certains des mois, prenant définitivement fin, à la fin octobre. Cette histoire n’est pas unique, plus récemment, il y a le cas de l’hystérie collective au Tanganyika en 1962, la raison est cependant tout autre.

Des hypothèses nombreuses, mais difficilement vérifiables…

L’inquiétude des villageois de Pont-Saint-Esprit pousse à des hypothèses sordides, sans fondement… la presse de l’époque a bien pris note des nombreuses inquiétudes des Spiripontains.

« On accuse le boulanger, son mitron, puis l’eau des fontaines, puis les modernes machines à battre, les puissances étrangères, la guerre bactériologique, le diable, la SNCF, le pape, Staline, l’Église, les nationalisations. »

Extrait d’une source journalistique, utilisée par l’historien Steven Kaplan dans l’ouvrage le Pain Maudit

Les hypothèses soulevées par l’enquête sont également nombreuses :

  • L’hypothèse du panogen : produit utilisé pour la conservation des grains. Il était utilisé pour faire de la farine. C’est cette hypothèse qui est retenue par la justice, lorsque le juge d’instruction ferme le dossier en juillet 1954.
  • L’hypothèses des mycotoxines : ce n’est qu’en 1982 que cette hypothèse est soulevée par le professeur Moreau. Il pense que des moisissures se développant dans les silos à grain et pourraient être la cause des événements de 1951.
  • L’hypothèse agène : ce composé chimique est utilisé dans le blanchiment de la farine dans des machines de fabrication allemande, alors illégale sur le territoire français. Cette enquête mène à la perquisition de 152 meuniers. Sous la pression de l’Association nationale de la meunerie française l’enquête est stoppée.

La cause du grain ou de la farine dans ces drôles d’événements reste en tout cas la version privilégiée par les enquêteurs. Le commissaire Sigaud rencontre un meunier de Saint-Martin-la-Rivière, Maurice Maillet, qui est rapidement accusé d’avoir livré une farine empoisonnée au village de Pont-Saint-Esprit. Le seigle avarié aurait été fournit par le boulanger Guy Bruère.

« Je n’ai pas osé livrer cette marchandise de mauvaise qualité dans ma commune, alors je l’ai expédiée à Pont-Saint-Esprit. »

Les aveux de Maurice Maillet au commissaire Sigaud.

Néanmoins, ils sont rapidement libérés faute de preuves, les analyses réalisées par un laboratoire militaire de Marseille ne révèlent aucune trace d’ergot de seigle dans le pain et la farine…

L’ergotisme au coeur de la tragédie de Pont-Saint-Esprit

Malgré le manque de preuves tangibles, la cause la plus probable à cette crise de démence de l’ensemble du bourg de Pont-Saint-Esprit est l’ergot de seigle. Un champignon qui sécrète de l’acide lysergique, à la base de la conception du LSD, mais surtout de l’ergotisme, une intoxication aiguë.

Cette maladie se développe en Europe, avec l’augmentation de la production de seigle, durant le Haut-Moyen Âge. L’ergotisme provoque des hécatombes, notamment dans la région de Cambrai en 1129 où 12 000 personnes moururent. Les symptômes sont terribles ne laissant pas beaucoup de chance à la victime de sortir indemne de cette épreuve.

Cette maladie est redoutée dans le monde médiéval, elle est connue sous plusieurs noms : feu Saint-Antoine, mal des ardents, feu d’enfer, peste des extrémités, etc. Les symptômes sont décrits à partir du XIIe siècle : crises de démence, convulsions, hallucinations, sensations atroces de brûler ou de geler, atrophie des muscles, gangrène des pieds ou des mains

« Les membres, noirs comme du charbon, se détachaient du corps, les sujets mouraient misérablement, ou ils traînaient une vie plus malheureuse encore, privés de pieds et de mains. Beaucoup étaient tourmentés de contractions et de distorsions des nerfs. »

Selon Snorri Sturluson chroniqueur islandais, dans son ouvrage Heimskringla (La Saga des rois de Norvège).

Devenu très rare en France depuis le XIXe siècle, l’ergotisme s’oublie dans la mémoire des Hommes. Le cas de Pont-Saint-Esprit dénote et laisse dubitatif les enquêteurs. Cette cause ne sera pas plus privilégiée qu’une autre, ni attestée, mais reste la plus plausible.

La CIA dans une histoire loufoque à base de LSD

Dans les années 2000 l’histoire du village de Pont-Saint-Esprit se voit liée aux opérations secrètes de la CIA, notamment l’opération MK/Naomi. La CIA tente de mettre au point des outils de manipulation mentale. Les tentatives sont le plus souvent réalisées à l’aide de produits psychotropes, notamment du LSD. Les opérations sont menées sur des sujets humains avec ou sans leur consentement.

La connexion entre ces opérations et l’histoire du village de Pont-Saint-Esprit est réalisée en 2009, avec la publication du livre A Terrible Mistake, du journaliste Hank P. Albarelli Jr. Lors d’une enquête sur la mort de Frank Olson, un scientifique travaillant pour la CIA durant les années 50, que le journaliste met en lumière.

Il avance l’hypothèse selon laquelle la CIA aurait testé du LSD sur la population spiripontaine sous forme de pulvérisation aérienne. Les produits alimentaires locaux auraient également été contaminés.

Hank P. Albarelli Jr. se base sur une liste de documents déclassifiés par la CIA, qui mentionnent « l’incident de Pont-Saint-Esprit », notamment dans une conversation entre un agent de la CIA et un scientifique du laboratoire suisse Sandoz où travaillait le chimiste Albert Hoffman, le découvreur du LSD.

Cette théorie est fumeuse, les travaux de Frank Olson auraient été détruits par le gouvernement américain dans les années 70 nous empêchant de pouvoir statuer sur la véracité de l’histoire, mais surtout le LSD ne provoque pas tout un tas de symptômes qui ont touché les Spiripontains comme les troubles intestinaux ou les hallucinations sur le long terme.

Malgré tout, sans conclusion définitive toutes les hypothèses restent plausibles. Cependant, restons prudents et évitons les théories fumeuses, notamment à base de complot mondial.

🌉 L’Énigmatique Affaire de Pont-Saint-Esprit en 1951 : Hallucinations et MystèreRevue Histoire

Quelques liens et sources utiles

« 1951 : trip sous acide à Pont-Saint-Esprit », Le Point, 2012

« En 1951, un village français a-t-il été arrosé de LSD par la CIA ? », L’Obs, 2016

« En 1951, l’intoxication alimentaire qui a rendu fous les habitants de Pont-Saint-Esprit », Le Parisien, 2019

Steven Laurence Kaplan, Le Pain Maudit : retour sur la France des années oubliées, 1945-1958, Fayard, 2008

Hank P. Albarelli Jr., A Terrible Mistake: The Murder of Frank Olson and the CIA’s Secret Cold War Experiments, TrineDay, 2009

Photo d’illustration : LA PROVENCE/Photo d’archives

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