Les Graciés de l'Histoire de Marlène Sándor, un livre à découvrir !

L’historiographie : l’écriture de l’histoire d’hier à aujourd’hui !

Grâce à l'historiographie, découvrons comment nos prédécesseurs historiens abordaient l'histoire et l'écrivaient par rapport à nous !
Illustration d'un historien travaillant dans une bibliothèque, selon l'IA | DALLE
Illustration d’un historien travaillant dans une bibliothèque, selon l’IA | DALLE

L’histoire au travers du roman national en FranceSi étudier l’histoire est une chose, savoir à travers l’historiographie comment nos prédécesseurs historiens écrivaient et abordaient l’histoire en est une autre ! Parce que l’histoire n’a pas toujours été celle qu’on présente dans les manuels scolaires du XXIe siècle, petite plongée dans l’écriture de l’histoire autrefois !

« Hérodote d’Halicarnasse présente ici les résultats de son Enquête afin que le temps n’abolisse pas le souvenir des actions des hommes et que les grands exploits accomplis soit par les Grecs, soit par les Barbares, ne tombent pas dans l’oubli ; il donne aussi la raison du conflit qui mit ces deux peuples aux prises »

Le « Père de l’Histoire », Hérodote d’Halicarnasse (480-420 a.C), historien et géographe grec

On admet aujourd’hui en étudiant l’historiographie qu’Hérodote est le premier à avoir tenté une approche scientifique de l’histoire, en se penchant sur les guerres médiques au début du Ve siècle avant J.-C., et en tentant de démêler ce qui s’est vraiment passé de ce qui relève de la légende. Il cherche à développer une approche critique des sources et tend à écrire sur les Grecs comme sur les Barbares, pour que les évènements qui se sont produits ne soient jamais oubliés.

À partir d’Hérodote, l’histoire n’est plus seulement un récit mêlant mythologie et poésie comme autrefois, mais devient une pratique un minima codifiée : il s’agit de pratiquer l’enquête, à partir de ce que l’on voit et de ce que l’on entend.

Qu’est-ce que l’histoire ? Qu’est-ce que l’historiographie ?

L’histoire entend répondre à des questionnements qui n’ont jamais cessé de faire vibrer les hommes, de toutes communautés et civilisations : qui sommes-nous, d’où vient-on, qu’est-ce qui nous attend ?  

« Histoire » est un terme à l’origine ambigu au sein de la langue française : il désigne à la fois la discipline historique, expliquée ci-dessus, et le récit racontant des faits pouvant être imaginaires et fabuleux. Ce n’est pas le cas en anglais, ou encore en allemand, qui respectivement utilisent les termes history et story ; ou Historie et Geschichte, pour différencier les deux.

L’histoire telle qu’on l’entend ici est une science humaine et sociale, qui vise à écrire avec une certaine plume le récit des faits humains passés en se basant sur une méthode. Or l’histoire suit la volonté des hommes, qui la façonnent au gré de leurs envies et objectifs. L’historien d’hier n’écrit pas de la même façon que l’historienne d’aujourd’hui, ou ceux et celles de demain… c’est pourquoi on désigne actuellement l’historiographie comme l’étude de l’écriture de l’histoire, parmi ses définitions plurielles.

Marie-Paule Claire-Jabinet précise dans ses travaux que le terme historiographie peut aussi désigner la « littérature historique », c’est-à-dire les œuvres des siècles postérieurs sur un sujet particulier, finalement les études qui existent déjà sur une question. Aussi, historiographie peut se rapporter à « l’histoire littéraire des livres d’histoire », en d’autres termes les classiques historiques d’une époque et la façon dont ils ont été écrits, avec quelles sources, de quelle manière…

L’histoire en Grèce antique

Après Hérodote, un autre auteur grec, Thucydide, se démarque avec une approche sur l’utilité de l’histoire différente.

Il écrit sur la guerre du Péloponnèse (431-404 a.C), dans le but de servir la politique pour qu’elle s’inspire de l’histoire et des actions passées. Il prend soin d’insérer une quantité importante de discours et de citer des documents divers.

À sa suite, on peut mentionner Polybe, qui écrit au IIe siècle a.C une Histoire romaine, et critique ses prédécesseurs pour avoir écrit des erreurs géographiques, en ayant un parti pris (et donc en s’éloignant de l’objectivité attendue d’un historien) en plus d’avoir produit des discours fictifs.

Il précise que l’historien, en tant que tel, doit avoir un regard critique dans trois domaines : le politique, le militaire et le géographique. L’histoire doit expliquer et analyser les faits et évènements et non se contenter de les raconter. Néanmoins, si sa vision de l’histoire semble rationnelle, elle reste minoritaire chez ses contemporains, et il n’exclut pas l’intervention du hasard dans l’histoire et de la Providence.

Avec ces auteurs grecs qui se démarquent par leur approche scientifique de l’histoire, l’histoire devient utile : comprendre le passé pour agir au présent et prévoir l’avenir. Elle est un outil, un instrument, et non plus seulement une lecture plaisante et divertissante.

L’histoire au Moyen Âge : une histoire ecclésiastique ?

Le Moyen Âge est la plus longue période historique : elle s’étend des migrations barbares, au Ve siècle, aux grandes découvertes de l’époque moderne, à la fin du XVe siècle. Sur les plans politiques et culturels, l’Europe évolue, partagée entre héritages antiques et renouveau.

Si l’empire romain était une civilisation passée à l’écrit depuis longtemps, cette pratique se perd, et les sociétés redeviennent orales. Une institution conserve l’écrit : l’Église, et ce jusqu’aux XIIe-XIIIe siècles, puisque la religion chrétienne se base sur les Écritures. Ainsi, les seuls pouvant écrire l’histoire sont les ecclésiastiques, dont la vie entière est tournée et consacrée à Dieu.

L’histoire devient donc un savoir secondaire : elle existe toujours, mais elle sert d’autres objectifs : le droit, la théologie, la morale… il s’agit d’expliquer ce qui est bon ou mauvais, justifier ce qu’il se passe dans le présent (possessions, hiérarchies…) et mettre en lumière le grand projet de Dieu pour l’humanité.

Désormais, on ne cherche plus vraiment à analyser les causes des évènements : tout est œuvre de Dieu.

Les historiens ecclésiastiques doivent simplement raconter et restituer les faits, sans pousser de réflexion.

Ce ne sont donc pas des spécialistes de l’histoire, mais bien des hommes d’Église qui ont pour devoir de rédiger ces travaux de compilation. Ils sont parfois plusieurs à travailler sur un texte, et puisque modestes et humbles, signent très peu souvent leurs écrits.

L’histoire passe d’une conception classique cyclique, avec Platon et Aristote qui pensaient que le monde était éternel et que des cycles plus ou moins mouvementés se succédaient ; à une conception chrétienne linéaire, où la venue du Christ sur Terre est présentée comme le moment ayant bouleversé l’histoire. A la fin de cette ligne temporelle, le règne éternel de Dieu commencera.

Les médiévaux se concentrent finalement sur une histoire au service de l’Église et de la royauté, avec un certain soin pour la chronologie au sein de chroniques et épopées mettant en scène saints et figures chrétiennes.

L’histoire à la Renaissance

Les publics de l’histoire restent les mêmes : les élites aristocratiques, les familles royales. Néanmoins, les chroniques médiévales paraissent désormais démodées, et les historiens du Moyen Âge ont une image de barbares ignorants.

Le Renaissance se caractérise par une fascination pour les arts, les lettres et la philosophie de l’Antiquité. On replace l’homme au cœur des représentations, et on redécouvre des auteurs et savants antiques, qu’on avait parfois oublié : Plutarque, Thucydide ou encore Polybe. Avec le développement récent de l’imprimerie, on publie des ouvrages en masse qu’on traduit en plusieurs langues vernaculaires.

Les profils d’historiens se renouvellent et ne se limitent plus aux ecclésiastiques : des hommes ayant eu une carrière politique peuvent se consacrer à l’écriture de l’histoire. On remet à l’honneur les causes tout en essayant d’expliquer les évènements contemporains : l’histoire peut être plus proche et expliquer des faits datant d’il y a un siècle ou moins.

L’histoire, qui était très secondaire et auxiliaire au Moyen Âge, devient un savoir respecté. Elle sert à comprendre les hommes, ainsi que le monde dans lequel on vit.

Le XIXe siècle, siècle de l’histoire

La Révolution française marque un tournant dans la façon de penser l’histoire, et donc de l’écrire. Elle représente un moment crucial dans l’historiographie car elle modifie le rapport au passé et, pendant une décennie, les travaux historiques sont fortement réduits, on se concentre sur le présent.

Pendant des siècles, on utilisait l’histoire pour établir des continuités, faire des liens entre les dynasties, on met en avant la tradition : le présent est l’aboutissement du passé. Les évènements de 1789 et des années suivantes marquent donc une rupture nette, et on qualifie directement d’Ancien Régime la période précédente. On change de régime d’historicité, c’est-à-dire le rapport qu’entretient une société avec le temps : autrefois tournée vers le passé, la société regarde maintenant vers l’avenir, qui devient une nouvelle promesse à réaliser[1], un nouveau défi à accomplir.

L’histoire change puisqu’elle n’est plus qu’une histoire des grands rois et de la monarchie, une fois que la République a été proclamée. Même quand la monarchie se renouvelle en 1815, elle est imprégnée des changements et évolutions qui ont lieu depuis plus de 2 décennies. On cherche donc à expliquer ce qu’il s’est passé, à comprendre comment la France en est arrivée là. On cherche à faire de l’histoire de France une histoire cohérente et articulée, malgré les évènements exceptionnels qui se sont produits.

L’histoire se laïcise et se professionnalise : on peut aussi penser à la création des archives nationales en 1790, ou encore la naissance du Musée du Louvre le 10 août 1793, date anniversaire de l’abolition de la monarchie. Aussi, en 1821 par exemple est fondée l’École des Chartes, où des archivistes paléographes qui se ré-intéressent au Moyen Âge s’emploient à étudier des manuscrits qui avaient été confisqués pendant la Révolution. L’histoire se scolarise donc, s’institutionnalise et gagne en légitimité en tant que science à part entière.

L’histoire par les romantiques

Aussi appelée histoire libérale, c’est un courant historiographique majeur des années 1820 à 1860 qui prône l’ouverture du régime politique et l’élargissement du corps électoral ; en bref une histoire qui prend parti et qui est politiquement orientée.

Des historiens majeurs se démarquent : Augustin Thierry (1795-1866), François Guizot (1787-1874) ou encore Jules Michelet (1798-1874).

Le premier, engagé pour la défense des classes inférieures, place son intérêt pour le Tiers-État, et voit la Révolution française comme la consécration de nombreuses luttes antérieures des classes populaires ; tandis que le second voit l’histoire comme le moyen de lutter contre ceux niant la Révolution française tout autant que leurs opposés, ceux rejetant la période monarchiste.

Il cherche à réinscrire la période révolutionnaire dans une histoire de France longue qui découle autant des héritages monarchiques que de l’évolution des régimes.

L’histoire, entre science, art et philosophie

On avance que l’histoire n’est pas qu’une simple compilation des sources et ne consiste pas à reprendre des auteurs, c’est une science qui nécessite de travailler avec des documents originaux, de fréquenter soi-même les lieux de recherche et les citer.

L’histoire est aussi un art consistant à redonner vie au passé, et non seulement le restituer : on utilise figures de style et descriptions pittoresques pour rendre le récit vivant, sans pour autant trop romancer le récit. Michelet par exemple, très lyrique dans ses écrits, refuse d’être qualifié de romancier. Enfin, l’histoire doit être philosophique, car le lecteur doit comprendre ce qui relie les évènements entre eux, et saisir le mouvement de l’histoire.

« Je résolus […] de peindre ce grand événement avec les couleurs les plus vraies, et sous le plus grand nombre d’aspects possible. Ce que je venais de conseiller [dans les Lettres sur l’histoire de France], je voulais le mettre en pratique, et tenter, à mes risques et périls, l’expérience de ma théorie : en un mot, j’avais l’ambition de faire de l’art, en même temps que de la science, de faire du drame à l’aide de matériaux fournis par une érudition sincère et scrupuleuse »

Augustin Thierry, Dix ans d’études historiques (1827)

Ce mouvement a des limites puisque même si on tend vers la science, un véritable espace scientifique n’est pas encore assez délimité. Les positionnements politiques pèsent trop sur l’interprétation historique et finalement, les écrits sont trop proches du roman. Ce courant sera critiqué directement par ses successeurs, les méthodiques. Néanmoins, la discipline historique se sera fortement institutionnalisée et les historiens ont plus clairement défini ce qui les intéressent, et l’effort de méthode liant art, science et philosophie est bien réel.

Le moment méthodique dans l’historiographie

Dans l’historiographie, l’école méthodique se caractérise par une très forte influence de l’Allemagne, où de nombreux historiens y sont formés.

L’influence de l’Allemagne

En effet, après la défaite de la France face à la Prusse en 1870, une véritable refonte intellectuelle s’effectue en France pour comprendre les pourquoi de la défaite. Dans le livre le plus connu de l’école méthodique, Introduction aux études historiques (1898) de Seignobos et Langlois, 1/3 des références sont allemandes.

Les inspirations les plus importantes sont des historiens tels que Wilhelm von Humboldt (1767-1835), qui dans Les Tâches de l’historien (1821) avance que l’histoire doit avoir une méthode et tendre vers le vrai. Plus tard, Léopold von Ranke (1795-1886) affirme la stricte séparation entre histoire, une pratique empirique et ancrée dans le réel, et philosophie, une théorie spéculative. Pour lui, l’histoire doit « montrer comment les choses ont vraiment été », Histoire des peuples romans et germains (1824).

L’insistance sur la méthode

Le courant méthodique s’inscrit dans l’historiographie avec la création en 1876 de la Revue historique par Gabriel Monod, qui dans le premier article affirme que « notre siècle est le siècle de l’histoire ».

Les historiens s’inspirent des sciences expérimentales qui sont un modèle pour toutes les autres, d’où la rupture avec la littérature et la philosophie car l’histoire est une science.

C’est une histoire qui sert dans la construction civique de la nation, en même temps qu’apparaissent les lois Ferry.

L’histoire est politique, et on insiste sur l’histoire nationale avec beaucoup de travaux sur l’époque médiévale.

La discipline se professionnalise encore, avec la réforme de l’agrégation d’histoire en 1894, l’augmentation des chaires ou encore avec la réforme de la licence d’histoire en 1907.

« l’unique habileté de l’historien consiste à tirer des documents tous ce qu’ils contiennent et à n’y rien ajouter de ce qu’ils ne contiennent pas »

Fustel de Coulanges (1830-1889) sur la méthode de l’historien

A la fin du siècle, Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos, tous deux agrégés et docteurs en histoire expliquent dans leur manuel comment l’historien est censé travailler, étape par étape. Ils définissent ce qu’on appelle désormais la critique des sources, avec la critique externe du document puis interne. Il est avancé que l’histoire est l’observation indirecte des faits, et que les connaissances ne sont que partielles. Pour eux, l’histoire n’est pas une science telles que la physique ou la chimie.

Aussi critiquée, on dit de l’histoire méthodique qu’elle insiste trop sur les faits sans les analyser et qu’elle manque finalement elle aussi de scientificité. Elle entrera en concurrence avec une nouvelle discipline naissante du début du XXe siècle : la sociologie, autour de la figure d’E. Durkheim.

Écrire l’histoire au XXe siècle

L’histoire méthodique est frappée de plein fouet par la Première Guerre mondiale et la montée des régimes totalitaires dans les années 1920 et 1930, où une nouvelle façon d’écrire l’histoire apparaît à travers l’École des Annales, portée à partir de la fin des années 1920 par Lucien Febvre et Marc Bloch et qui prône une large ouverture aux autres sciences sociales.

« Qu’est-ce donc que l’histoire ? Je proposerai de répondre : l’histoire est la connaissance du passé humain. »

Henri-Irénée Marrou, De la connaissance historique, 1954

L’histoire est une discipline en constante évolution : elle n’est plus aujourd’hui la même qu’aux temps des guerres médiques, n’est plus imprégnée de foi chrétienne comme au Moyen Âge et connaît désormais des règles disciplinaires différentes des écoles du XIXe siècle. L’histoire s’est placée au fil du temps au cœur des sciences humaines et sociales, et s’est imposée comme une discipline scientifique organisée autour d’une communauté. C’est cela que permet de comprendre l’historiographie, qui peut et doit être utilisée comme un outil à part entière pour l’historien.

Quelques liens et sources utiles :

CARBONELL Charles-Olivier, L’historiographie, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, 2002

CLAIRE-JABINET Marie-Paule, Introduction à l’historiographie, Nathan, coll. « 128 », 2002

OFFENSTADT Nicolas, L’historiographie, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, 2018


[1] Pour en savoir plus sur cette expression apparue dans les années 1980, lire Régimes d’historicités, présentisme et expérience du temps (2003) de F. Hartog

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