Une fenêtre sur l’intimité des couples
Nous avons réalisé une étude de cette lettre, sur le site Revue Histoire : Étude d’une lettre d’un mari frustré à l’abbé Viollet.
Extrait de cette lettre adressée à l’Abbé Viollet
Monsieur l’Abbé, [s. d.]
Je vous serais très obligé de vouloir me donner conseil par l’intermédiaire du bulletin Pour les parents, car mon cas ne doit pas être le seul.
Je me suis marié il y a un peu plus de trois ans avec une jeune fille qui avait été pendant sept ans dans un couvent. Et je crois que cette éducation est pour beaucoup dans le désaccord que nous avons et que dans les couvents on élève les jeunes filles beaucoup plus pour en faire des bonnes sours que pour en faire des épouses, des mères de famille.
Ma femme a toujours eu une répugnance pour les rapports sexuels, bien qu’elle fût avertie avant nos fiançailles de l’acte de mariage. Au début de notre mariage, je n’osais pas demander souvent car, d’après l’avertissement du médecin (Dr Abrand), elle était « étroite » et je ne voulais pas lui être une source de souffrance. Mais, depuis, elle a eu un enfant et elle en attend un deuxième dans deux mois. Chaque fois qu’elle me reçoit ce n’est qu’après des supplications réitérées et après un nombre respectable de refus D’après elle, elle est en droit de me refuser quand cela lui plait – même lorsqu’elle se sent « décidée » (portée à ces rapports) elle ne me pas savoir [sic). « J’en mourrais d’envie, me dit-elle, tu pourrais attendre cent sept ans, que je ne demanderais jamais. » Il faut donc que je devine ces moments-là ?.. Ou alors par une malice de sa part elle ne me le ferait savoir que cinq-dix minutes avant que je parte pour le travail, souvent à midi. Cette répulsion n’est donc pas permanente (cependant elle les redoute, elle se croit souillée) puisqu’elle me fait comprendre qu’elle y serait disposée quand elle sait que je ne peux pas, que je ne puis manquer mon travail. Par fanfaronnade, sans doute, elle se vante à qui veut l’entendre de sa frigidité, donc par autosuggestion, elle renforce encore son état d’esprit. Et de fait, si je ne serais pas marié [sic] que pour le lit, j’aurais été volé et bien volé. Il paraît, c’est elle qui me le soutient, que l’on met différents ingrédients dans la nourriture au couvent et qui à la longue amènerait l’anaphrodisiaque ?…
La grande excuse aussi, c’est «je suis fatiguée » (on est toujours fatigué, sans goût, quand il s’agit de faire ce qui ne plaît pas), ceci pour le soir; la nuit et le matin avant le lever je l’empêche de dormir. Souvent pour s’en débarrasser elle promet à plus tard « à midi ou ce soir », etc. Quoiqu’elle sait bien que dans la journée ce n’est guère facile puisque nous avons un petit garçon de vingt-cinq mois très observateur, par pudeur pour l’enfant, ce n’est donc pas possible. Notez qu’elle ne prend aucune précaution pour éviter ces désirs chez moi ; soit dans l’intimité de la chambre (nous sommes déjà étroitement logés, nous ne pouvons faire chambre à part) ni dans la nourriture trop forte et trop épicée. Et lorsque je lui reproche ceci, essaie de lui faire comprendre son illogisme, elle me répond : « Tu n’as qu’à aller te soulager ailleurs » ou encore « te soulager avec ta sœur » ou bien «: « te soulager seul ». Et comme je proteste, elle de répondre : « comment font les curés ? » Se doute-t-elle qu’ils ne sont pas placés dans les mêmes conditions que les hommes mariés ? Pour moi, la lutte est terriblement dure. Je me trouve devant un imprévu que je ne voyais pas étant jeune homme, car je n’ai jamais connu d’autres femmes que ma femme. Etant jeune homme j’étudiais beaucoup afin de me perfectionner dans ma profession et lorsque l’idée des femmes me venait en tête, j’évoquais surtout l’idée de la peur des maladies vénériennes. Maintenant encore je cultive cette idée des maladies pour ne pas tomber, mais c’est bien dur, surtout qu’à l’usine j’ai l’exemple (triste exemple) et les provocations. Avant mon mariage je me soutenais encore avec cette pensée « qu’une fois marié, l’acte du mariage me sera permis ». Et ce « plus tard cela te sera permis » m’échappe et les années s’écoulent. Voilà au fond la secrète pensée qui me harcèle. Ajoutez à cela les réflexions entendues parmi mes relations sociales et à l’usine surtout (les trois-quarts de ma vie se passent là) où être fidèle à son épouse est de la niaiserie et que pour eux la maîtresse se délégitimise quand l’épouse devient inapte à partager ces plaisirs. Ces diverses réflexions à la longue se transforment en suggestions et influencent beaucoup. Étant jeune homme il m’était dix fois plus facile de résister puisque, ne connaissant pas un plaisir, je n’avais pas à regretter d’en être privé. Certainement que, si ma femme était malade, l’idée d’impossibilité arriverait à s’imposer dans mon esprit, je me sentirais moins sollicité et je souffrirais avec elle. C’est précisément cette possibilité qui n’a pas lieu par suite de sa mauvaise volonté qui me tourmente.
Je crois que cette idée que, dans les rapports, elle se trouve souillée, qui agit le plus chez elle, puisque même dans les périodes de sa première et de sa deuxième grossesse elle me refuse (le mois qui précède et qui suit l’accouchement mis à part). Maintenant il vient s’ajouter une nouvelle raison : « Je ne veux plus avoir d’enfants ; deux enfant oui, mais pas trois ». Ceci un peu parce que nous sommes gênés (surtout par un loyer de maison neuve ; 4500 francs par an). Elle aime les enfants ; nous avons un enfant plutôt précoce qui fait la joie de sa mère. Ainsi me voilà prévenu après la naissance du deuxième, c’est la restriction totale ou la fraude… Comment sortir de cette impasse? Si encore elle prenait tous les moyens qui peuvent agir comme dérivatifs et si je pouvais avoir quelque compensation intellectuelle avec elle. Voilà de quoi faire plusieurs articles dans la revue Pour les parents, surtout si j’ajoute cette question : moralement combien de fois par mois, par semaine une femme doit-elle recevoir son mari, à partir de quel nombre ce droit devient-il une faveur ? Ceci naturellement dépend de la santé des deux conjoints et de leur âge. Ces deux questions peuvent être traités d’un point de vue moral et médical. Si ce serait une chose si ignoble [sic], si mal, Dieu ne l’aurait pas imposé au genre humain pour perpétuer la race. Je crois que cette restriction de sa part va à l’encontre de son souhait de ne plus avoir d’enfants : une femme qui a peur de rapports a plus de chance d’être prise qu’une autre qui en a très fréquemment. La peur d’avoir des enfants ou simplement se croire souillée par son mari, accompagnée de refus, pousse bien des hommes à aller chercher « à côté ». De là, la source d’une grande partie de l’immoralité publique et de la prospérité de la prostitution. […] Beaucoup d’honnêtes femmes mariées sont ainsi indirectement causes de l’esclavage de leurs sœurs et de leur inconduite. Assurément une épouse chrétienne ne saurait être un outil de plaisir, ni une machine à fabriquer des enfants.
Lorsque nous nous boudons, car parfois ma bonne humeur s’en ressent, nous sommes obligés de n’en rien laisser paraitre devant notre petit garçon de deux ans qui commence à comprendre tout. Ce n’est pas toujours facile de cacher son mécontentement lorsqu’on s’entend sanctionner : « je te tiendrai tête pendant un mois » et que l’on a trente ans en pleine force de l’âge. Si j’avais eu une vie de débauche étant jeune homme, je pourrais me dire : « Dieu te punit de ton inconduite passée. » Mais parce que je suis arrivé en homme neuf au mariage me voilà puni. Mieux aurait valu ne pas se marier. Cependant je ne pouvais traiter toutes ces questions-là étant fiancé puisque je n’avais pas goûté au plaisir de la chair. Voilà une raison qu’invoquent les partisans du mariage à l’essai.
Enfin, cette répugnance me fait poser ces questions : Ma femme est-elle normale ?… N’aurait-elle pas quelque habitude dérivative ? Il y a aussi l’ambiance, l’influence des amies et des voisines qui déclarent elles aussi que c’est « une sale corvée » que d’aller avec son mari. « Ce serait à recommencer de me marier, je me suiciderais », lui aurait dit une voisine (cette voisine était-elle sincère lorsqu’elle lui a dit cela ?), et que « les enfants coupent les bras, coûtent cher ». Naturellement tous ces boniments ne font que l’appuyer dans sa façon d’agir vis-à-vis de moi.
Comme je l’ai dit plus haut, je crois que ces questions gagneraient à être traitées dans la revue Pour les parents pour le plus grand bien de tous, à moins que vous ne pensiez qu’il soit préférable de les traiter individuellement ? Quels conseils me donnez-vous pour m’aider à traverser cette crise ? Ce n’est pas tant maintenant, ce mois ou le suivant, que je redoute, c’est l’avenir que j’appréhende, après la naissance de ce deuxième enfant et je crains que sa façon de procéder me soit fatale.
En apprendre plus sur la source originale
Vous pouvez retrouver l’ensemble du travail de Martine Sévegrand avec cet ouvrage : L’Amour en toutes lettres. Questions à l’abbé Viollet sur la sexualité (1924-1943).