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Mishima, l’âme déchirée du Japon

La fin tragique et mystérieuse de Yukio Mishima, écrivain de génie, qui mit fin à ses jours par le rituel du seppuku.
Photographie de Yukio Mishima en 1956 - Shirou Aoyama | Domaine public
Photographie de Yukio Mishima en 1956 – Shirou Aoyama | Domaine public

Yukio Mishima, de son vrai nom Kimitake Hiraoka, est un écrivain japonais né en 1925. Figure majeure de la littérature japonaise, il s’est illustré par une œuvre prolifique explorant les profondeurs de la psyché humaine et les enjeux de l’identité nationale.

Fervent défenseur des traditions japonaises, Mishima s’est vivement opposé à la modernisation rapide du Japon d’après-guerre, qu’il percevait comme une menace pour l’âme nationale. Il a ainsi dénoncé avec vigueur l’occidentalisation croissante de la société japonaise, qu’il jugeait au service d’un développement économique au détriment des valeurs culturelles et spirituelles du pays.

En 1970, alors qu’il venait de remettre le manuscrit de son dernier ouvrage à son éditeur, Yukio Mishima mit fin à ses jours, suscitant une immense stupéfaction au sein de son lectorat. En accomplissant le seppuku, un suicide rituel par éventration, Mishima marqua tragiquement l’histoire de son pays par un geste aussi spectaculaire que controversé.

Écrivain en devenir, Yukio Mishima

Élevé jusqu’à ses douze ans par une grand-mère aristocrate, il rejoignit ensuite sa famille. Il tenait de sa mère son goût pour la lecture, car elle l’encourageait à trouver dans les livres une agréable compagnie. Son père, quant à lui, l’éduquait avec rigueur et rudesse, désireux de faire de lui un homme fort.

Yukio Mishima 1931 - Auteur inconnu | Domaine public
Yukio Mishima 1931 – Auteur inconnu | Domaine public

Dès l’âge de 12 ans, Mishima s’adonna à l’écriture. Alors qu’il n’était encore qu’un écolier, il fut remarqué par le magazine local Bungei-Bunka, qui lui proposa de rédiger un feuilleton.

C’est ainsi que son premier roman, Hanazakari no Mori, vit le jour. Il fit ses véritables débuts dans le monde littéraire à seulement 16 ans, avec la publication officielle de son premier ouvrage imprimé.

Sa vie étudiante commença à l’Université impériale de Tokyo. Bien que la situation politique tendue au Japon ait rendu difficile la publication de ses écrits, Mishima n’a jamais cessé d’écrire. Son pays, alors en pleine guerre, s’affaiblissait progressivement face à la puissance économique américaine, qui prenait de plus en plus d’ascendant dans le Pacifique.

L’industrie de guerre étant devenue un facteur déterminant, les conquêtes japonaises furent progressivement repoussées par les forces alliées. Les Américains reprirent les Philippines, tandis que les Britanniques reconquirent la Birmanie. En 1944, il devenait évident que le Japon se dirigeait vers une défaite inéluctable.

Le tremplin après la guerre

C’est sans doute son goût prononcé pour la littérature qui a fait de lui un véritable amoureux des mots. Tandis que le Japon se relevait difficilement des ravages de la Seconde Guerre mondiale, soumis à une occupation américaine et à une constitution imposée, le Traité de San Francisco de 1952 marqua un tournant en rétablissant la souveraineté nippone.

Les années 1970 et 1980 furent marquées par une forte croissance économique du pays. Cette période a également vu l’ascension de l’écrivain Mishima, dont l’œuvre, profondément ancrée dans la tradition japonaise, explore des thèmes tels que la mort et la sexualité. Son attachement aux valeurs traditionnelles l’amena à créer des œuvres littéraires qui questionnent la place de l’individu dans une société en mutation.

La littérature japonaise post-marasme

Marquée par une profonde introspection, cette période fut témoin d’une floraison littéraire interrogeant les séquelles traumatiques de la guerre sur la société. L’année 1950 voit émerger de nombreux écrivains, parmi lesquels Mishima et Ōe Kenzaburō, qui, tout en explorant la question de l’identité nationale, se penchent sur les valeurs traditionnelles japonaises.

Parmi les œuvres incontournables de cette époque, on retrouve Le Pavillon d’or de Yukio Mishima. Ce roman psychologique explore en profondeur les thèmes de l’appartenance et de l’identité, offrant une plongée intense dans la psyché humaine. Il s’impose comme l’une des œuvres majeures de la littérature japonaise du XXe siècle.

C’est donc cette hantise de voir disparaître les valeurs traditionnelles de son pays, ainsi que son rejet de la modernisation occidentale, qui ont nourri les œuvres littéraires de Mishima et lui ont valu cinq nominations au prix Nobel de littérature. Mishima a toujours donné voix à cette frange de la population qui contestait une prospérité nationale au détriment de son identité culturelle.

Répit d’écriture

Bien qu’ayant marqué une pause dans sa production écrite, Mishima n’a jamais renoncé à son combat contre les dérives de la modernisation. Il a exploré d’autres médiums artistiques, comme en témoigne sa participation au film Karakkaze yaro en 1960.

Un portrait de Yukio Mishima, 1955. Pris - Ken Domon | Domaine public
Un portrait de Yukio Mishima, 1955. Pris – Ken Domon | Domaine public

En 1968, Mishima fonda une milice privée nommée « Tatenokai » dans le but de promouvoir un retour aux valeurs traditionnelles japonaises.

Son objectif était de restaurer un Japon nationaliste, où l’autorité impériale serait renforcée. Mishima souhaitait redonner à l’empereur le statut divin qu’il détenait avant la Seconde Guerre mondiale.

La revitalisation de la culture samouraï était au cœur des revendications de la Tatenokai. Pour ses membres, le samouraï, en tant que guerrier, administrateur et modèle moral, incarnait l’essence de la société japonaise traditionnelle. Cette figure historique, bien au-delà d’un simple combattant, représentait un idéal de vertu et de loyauté.

La modernisation rapide du Japon, qui entraîna la création d’une armée nationale moderne sur le modèle occidental, éradiqua progressivement la culture samouraï. Cette transformation profonde de la société japonaise a mit fin à un mode de vie et à un système de valeurs séculaires.

La Constitution pacifiste imposée par les États-Unis fut perçue comme une atteinte à la souveraineté du Japon, exacerbant ainsi le ressentiment de la Tatenokai. Dans sa quête de restauration des valeurs traditionnelles nippones, la milice entreprit une action symbolique de défiance envers le pouvoir en place.

En novembre 1970, les membres de la Tatenokai occupèrent pacifiquement les locaux des Forces d’autodéfense à Tokyo, dans une tentative avortée de coup d’État. Malgré cette action spectaculaire, la milice ne parvint pas à endiguer le processus d’occidentalisation du Japon et se dissout peu après.

L’extrémisme de droite : vestige de la Tatenokai ?

Aujourd’hui, l’idéologie de l’extrême droite japonaise est encore souvent associée à la Tatenokai. En prônant un retour aux valeurs traditionnelles japonaises, l’extrême droite contemporaine perpétue les idéaux défendus par la Tatenokai.

L’occidentalisation est toujours perçue comme une menace extérieure aux fondements de la nation. Le nationalisme et le conservatisme, au cœur des préoccupations de la Tatenokai, ont été popularisés avant d’être brutalement éclipsés par l’occupation américaine.

L’épilogue d’un auteur

Le 25 novembre 1970, Yukio Mishima mit fin à ses jours de manière tragique, provoquant une onde de choc à travers tout le Japon. Optant pour le seppuku, un suicide rituel par éventration, il choisit une mort aussi dramatique que spectaculaire.

Quelques instants auparavant, il avait prononcé un discours enflammé appelant à un coup d’État. Ces paroles, restées lettre morte, n’aboutirent à aucun résultat si ce n’est à rappeler une longue série d’indignations vouées au silence, une nouvelle déception pour l’écrivain qui rêvait d’un renouveau national. Déçu par l’apathie de ses contemporains, Mishima se donna la mort au siège du quartier général des Forces d’autodéfense de Tokyo.

Sa mort tragique ne passa pas inaperçue. Pour un intellectuel, un tel geste, d’autant plus accompli de manière aussi radicale, ne pouvait être le fruit d’une décision anodine. Cet événement a profondément marqué la société japonaise, suscitant une réaction de stupeur. Entre admiration et controverse, Mishima reste une figure complexe. Les plus conservateurs saluent son courage, tandis que d’autres, tout en étant surpris par son acte audacieux, éprouvent une forme d’admiration.

L’héritage majeur de Mishima réside dans son insistance sur le conservatisme des valeurs japonaises traditionnelles. Figure symbolique du nationalisme nippon, Yukio Mishima a consacré sa vie à défendre l’identité nationale et à préserver les préceptes ancestraux de son pays, marquant ainsi l’histoire du Japon.

Quelques liens et sources utiles

Damian Flanagan, Mishima Yukio : un écrivain imbu de sa propre personne, décembre 2017

Irmela Hijiya-Kirschnereit, L’aura de Mishima Yukio dans le monde, novembre 2020

Annie Cecchi, Mishima Yukio (1925-1970)

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