La France est définitivement libérée du joug nazi, le 7 mai 1945, lorsque l’amiral Hans von Friedeburg et le général Alfred Jodl signent une reddition inconditionnelle de l’Allemagne dans une école à Reims.
La suite nous la connaissons, la capitulation est signée à Berlin le 8 mai 1945 avec les alliés. La France doit maintenant se relever et reconstruire le pays, notamment son économie, le corps social et les institutions.
Dans l’euphorie de la victoire la carte de rationnement est supprimée dès mai 1945, mais rapidement la situation économique est telle, que le gouvernement doit l’instaurer à nouveau.
Un rationnement sous l’occupation nazie
Le rationnement est un élément devenu essentiel depuis la Première Guerre mondiale dans l’effort de guerre, en conséquence directe la création de la loi Paul-Boncour le 11 juillet 1938. Elle encadre la réquisition, la collecte et la distribution de denrées agricoles et alimentaires durant un conflit.
En 1939, le ministère du Ravitaillement est institué en France en prévision de la guerre qui s’amorce en Europe. Cette précaution fait sens, durant la Première Guerre mondiale, il a fallu attendre 32 mois de guerre avant la création d’un ministère du Ravitaillement, en mars 1917. Néanmoins le rationnement généralisé n’est pas proclamé pour ne pas affecter le moral de la population.
Après un hiver rigoureux, un décret du 10 mars 1940 encadre le ravitaillement en France tout en fournissant les cartes de rationnement. La débâcle ne permit pas l’instauration effective de ce décret et les cartes de rationnement ne purent être distribuées.
Une production destinée à l’Allemagne
La débâcle française provoque l’armistice du 22 juin 1940, l’arrêt des combats, la proclamation du régime de Vichy et le partitionnement de la France en quatre zones :
- La zone militaire littorale (« Mur de l’Atlantique« ), entrée interdite ;
- Deux départements du Nord sous administration militaire de la Belgique et du Nord (Bruxelles) ;
- La zone d’occupation militaire allemande (zone occupée) ;
- La zone libre sous le régime de Vichy.
À partir de novembre 1942 le partitionnement de la France évolue, les forces allemandes occupent l’ensemble du territoire, ainsi que les troupes italiennes qui s’accaparent des territoires dans le Sud Est. En octobre 1943, l’ensemble du territoire est occupé par les forces allemandes. Le régime de Vichy est fantoche.
« Art. 2. — Pour assurer les intérêts du Reich allemand, le territoire français situé au nord et à l’ouest de la ligne tracée sur la carte ci-annexée sera occupé par les troupes allemandes. Les territoires qui ne sont pas encore aux mains des troupes allemandes seront immédiatement occupés après la conclusion de la présente convention. »
La vie des Français évolue sur ces périodes, passant d’un rationnement limité dans les zones sous le régime de Vichy, à un rationnement très strict pour les territoires de la zone occupée.
L’occupation militaire allemande est un véritable pillage de la production française au profit des vainqueurs. Le pillage ne se limite pas à la production agricole et alimentaire, les Français sont envoyés dans les usines allemandes, les matériaux réquisitionnés pour l’effort de guerre allemand. En somme la population française est en manque de tout et se bat pour survivre.
Ainsi, le pillage et la division du territoire coupent les approvisionnements, obligeant le régime de Vichy à instaurer le rationnement et l’approvisionnement des marchés urbains afin de partager équitablement les ressources disponibles restantes.
Une liste des produits limités pour les Français
Dès la défaite le régime de Vichy applique le rationnement, mais il faut attendre le 23 septembre 1940 pour que les cartes d’alimentation soient instituées dans toute la France. Avec 1200 à 1800 calories réservées par jour et par personne – en fonction de plusieurs critères, notamment l’activité, le lieu de résidence, le sexe ou l’âge – le rationnement est strict. À titre d’exemple la carte de rationnement pour un parisien donne le droit à :
- 275 grammes de pain par jour, un produit essentiel pour l’alimentation pendant et après la guerre ;
- 350 grammes de viande avec os par semaine ;
- 100 grammes de matière grasse ;
- 70 grammes de fromage ;
- 200 grammes de riz par mois ;
- 500 grammes de sucre par mois ;
- 250 grammes de pâtes par mois.
Cette liste de produits n’est pas exhaustive, mais surtout n’intègre pas un élément essentiel, la disponibilité des produits. En effet, malgré une carte de rationnement si des pénuries ont cours, l’affamé ne pourra avoir de pitance.
La situation n’est pas la même pour les Français urbains ou ruraux. En campagne, il est possible de survivre de ses productions, notamment de son jardin, un espace essentiel pour les ruraux depuis des siècles, mais aussi grâce aux animaux et produits sauvages.
Cette limitation est dans un premier temps bien perçue par la population, qui voit en ces règles strictes un moyen de répartir équitablement les denrées alimentaires. L’augmentation croissante des prix ayant causé une paupérisation de la population.
Un rationnement qui échoue, vers une illégitimité du régime
Néanmoins, la situation tourne rapidement au désavantage du régime, qui perd pied devant la charge colossale de travail que demande l’approvisionnement des centres urbains. La logistique est complexe, la communication entre les espaces est compliquée voire impossible et la gestion des tickets de rationnement chaotique… cette situation provoque une perte de confiance de la population.
C’est notamment le cas pour le monde agricole, qui voit l’instauration du rationnement comme une punition imposée par l’occupant, plus qu’un moyen de subvenir aux besoins de la population française.
« La réglementation agricole inspire des craintes aux agriculteurs qui la croient inspirée par les autorités d’occupation. Je m’efforce de leur faire comprendre qu’elle a été établie dans un but essentiellement national. Il serait nécessaire d’organiser des conférences pour expliquer la nécessité de l’organisation agricole. »
Le préfet du Puy-de-Dôme en novembre 1940
Enfin, toute une partie de la population (comprenant les ouvriers, les employés, les petits fonctionnaires et les retraités urbains notamment) subvient à ses besoins essentiellement grâce à l’aide du ravitaillement officiel et se sent maintenant lésée par la mauvaise répartition alimentaire.
« Pour les Parisiens, le premier facteur expliquant les difficultés du ravitaillement résidait simplement dans l’incapacité des pouvoirs publics à mettre en place un système efficace. L’opinion opérait ainsi un renversement complet en rendant les difficultés du ravitaillement responsables de la pénurie alimentaire, alors qu’elles en apparaissaient en fait davantage comme la conséquence, et non la cause. »
Selon le travail de Fabrice Grenard dans : « Les implications politiques du ravitaillement en France sous l’Occupation »
Les dysfonctionnements sont imputés à l’incapacité des autorités à remettre la machine sur les rails, causant une véritable perte de légitimité pour le régime de Vichy, qui voyait en ce mécanisme un bon moyen de faire la promotion de la Révolution nationale.
L’euphorie de la fin de la guerre
Le débarquement du 6 juin 1944 et l’avancée toujours plus forte des troupes alliées en France ouvrent la voie à un espoir, celui d’être libre et de ne plus vivre dans la misère et la faim. Lors de la fin de la guerre en Europe, en mai 1945 les autorités réduisent le rationnement, puis suppriment la « carte de pain » le 1er novembre 1945.
Instauration de la « carte de pain »
La situation économique n’étant pas du tout au beau fixe en France et les finances de l’État complètement vides, les autorités sont obligées de rétablir la « carte de pain » en décembre de la même année, avec une réduction de la ration, passant de 350 grammes à 300.
Les autorités avaient souhaité améliorer les conditions de vie des Français en stoppant le rationnement, puis en le rétablissement mais de manière moins stricte, pour au final rétablir des conditions de vie similaires voire pires que sous l’occupation.
Cette situation provoque une accélération du marché noir. Des individus, comme André Loiseau par exemple, se spécialisent dans l’édition de faux tickets de rationnement, provoquant la circulation de millions de tickets contrefaits.
Le plan Marshall
L’aide accordée par les États-Unis à 16 pays européens* sous forme du plan Marshall est une aubaine. La France participe à ce programme et obtient sur la période du 3 avril 1948 au 30 juin 1952 plus de 2,7 milliards de dollars (de l’époque) d’aides.
Cette aide n’est pas une simple donation américaine, mais bien un moyen politique pour les États-Unis d’assoir leur domination sur le monde pour les 50 prochaines années – encore aujourd’hui le soft power américain peut prendre ses racines dans cette aide aux pays européens. Le plan Marshall permet de contrer les velléités de l’URSS en Europe, mais aussi d’écouler les produits et la culture américaine.
En France, l’arrivée du plan Marshall permet d’importer des produits agricoles et alimentaires réduisant considérablement le rationnement, mais aussi de reconstruire et d’investir dans des secteurs économiques, en somme relancer l’économie de la France, alors complètement à l’arrêt.
Cette aide a été essentielle dans la reconstruction européenne, et a notamment accéléré considérablement la relance de l’Europe.
*Les pays obtenant l’aide du plan Marshall sont : Allemagne de l’Ouest, Autriche, Belgique, Danemark, France, Royaume de Grèce, Irlande, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suède, Trieste et la Turquie.
Fin du rationnement en France
Le 1er décembre 1949, les derniers tickets de rationnement disparaissent définitivement en France. Leur fin marque également la suppression par la IVe République du haut-commissariat au ravitaillement.
L’arrivée des dollars américains via le plan Marshall avait déjà grandement réduit les produits rationnés. En effet, depuis le 1er février 1949, la « carte de pain » ne rationnait que le sucre, l’essence et le café.
La fin du rationnement ouvre l’ère à la société de (sur)consommation en France, mais aussi dans le reste de l’Europe. Avec l’agriculture très productive et l’ouverture des premiers supermarchés (dès 1958), la société se transforme et transforme pour toujours notre planète.
Quelques liens et sources utiles
Fabrice Grenard, « Les implications politiques du ravitaillement en France sous l’Occupation », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. no 94, no. 2, 2007
Marcel Déat, « Saboteurs du Ravitaillement », L’Œuvre, 29 décembre 1940
Azéma Jean-Pierre, Wieviorka Olivier, Vichy, 1940-1944, Paris, Perrin, coll. « Tempus », n° 68, 2004
Rousso Henry, Les Années noires, Vivre sous l’Occupation, Paris, Gallimard, coll. « Découvertes Gallimard. Histoire », n° 156, nouvelle édition, 2009
Claude Quétel, L’Impardonnable Défaite, Paris, Perrin, coll. « Tempus », 2012