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La Kumari, déesse vivante du Népal

Entre tradition séculaire et controverses modernes, les Kumaris népalaises, jeunes filles déifiées, ne cessent de susciter la curiosité.
Le regard d’une Kumari reflétant des temples hindous lors d’un festival en son honneur - Umesh Sapkota | Creative Commons BY-SA 4.0 DEED
Le regard d’une Kumari reflétant des temples hindous lors d’un festival en son honneur – Umesh Sapkota | Creative Commons BY-SA 4.0 DEED

Au cœur des vallées mystiques du Népal perdure une tradition unique et fascinante vieille de plusieurs siècles : celle des Kumaris. Ces jeunes filles sont vénérées comme des déesses vivantes, étant considérées comme la réincarnation de la déesse Durga pour les hindous et de la déesse Vajradevi pour les bouddhistes.

Ces Kumaris incarnent l’essence même de la spiritualité népalaise, symbolisant à la fois la pureté de l’enfance et la puissance divine, de leur nomination jusqu’à leur puberté. Cette tradition complexe et captivante offre un regard unique sur la croyance népalaise, illustrant le lien entre le divin et l’humain de manière saisissante.

La tradition des Kumaris

La tradition des Kumaris trouve ses origines à l’ère médiévale du Népal, une époque où diverses déesses étaient adorées fréquemment. Ces Kumaris, des jeunes filles prépubères, sont sélectionnées principalement parmi la communauté Newar du Népal, spécifiquement au sein de la caste Vajracharya-Shakya. Les newars constituent un groupe ethnique bouddhiste résidant principalement dans la vallée de Katmandou et ses environs.

Au fil du temps, cette tradition a évolué pour jouer un rôle essentiel dans la légitimation des rois népalais, puis, depuis 2008, des présidents du pays. Cette légitimation se réalise lors du festival appelé le Kumari Jatra, un événement où la déesse vivante, la Kumari, est honorée. Tout comme le défilé du 14 juillet en France, le Kumari Jatra est une célébration nationale emblématique.

Durant ce festival, la Kumari est parée somptueusement et transportée à travers les rues de Katmandou dans une procession grandiose. Ce rituel solennel est devenu un élément essentiel de la tradition hindoue de la monarchie népalaise, symbolisant la connexion profonde entre le divin et le pouvoir politique.

Depuis l’unification du Népal, seules les Kumaris de Katmandou ont conservé ce rôle de Kumari royale, puis nationale, faisant de cette ville le berceau de cette tradition millénaire.

La Kumari étant portée lors d’un festival en son honneur | Manjari Shrestha - Creative Commons BY 2.0 DEED
La Kumari étant portée lors d’un festival en son honneur – Manjari Shrestha | Creative Commons BY 2.0 DEED

Le processus de sélection

Le processus de sélection des Kumaris au sein de la communauté Newar est extrêmement méticuleux, impliquant des critères stricts et précis. Pour être sélectionnée, la jeune fille doit non seulement posséder une beauté physique exceptionnelle, mais aussi démontrer une pureté spirituelle exemplaire, manifestée par des actes de charité et d’humilité, entre autres qualités.

De plus, il est impératif qu’elle ne présente aucun défaut physique majeur, ne souffrant jamais de maladies. Les candidates népalaises appartiennent généralement à la caste Vajracharya-Shakya, ce qui veut dire qu’elles sont de bonne famille, et sont âgées de 2 à 16 ans, période cruciale de leur vie où leur pureté est considérée comme la plus intense.

Pour être sélectionnée, la candidate doit traverser diverses étapes d’évaluation, comprenant des entretiens approfondis avec des prêtres et des astrologues. Avant la fin de la monarchie népalaise, le prêtre royal avait le dernier mot concernant la sélection de la Kumari royale, soit celle de Katmandou. En outre, les candidates sont soumises à des rituels purificateurs lors de leur initiation au titre de Kumari, renforçant ainsi leur lien avec le divin.

Ces critères de sélection, rigoureux et spécifiques, mettent en lumière l’importance capitale de l’origine ethnique, sociale et culturelle dans la perpétuation de cette ancienne tradition.

La vie d’une Kumari

Une fois choisie, la jeune fille élue accède au statut sacré de Kumari, que l’on peut littéralement traduire par “la princesse.” Elle représente alors la réincarnation de la déesse Durga lors de festivals religieux et de cérémonies publiques.

Pendant ces événements, elle confère sa bénédiction au dirigeant de l’état népalais en lui apposant le tikka, une marque rouge sur le front, effectuée de la main gauche. L’utilisation de la main gauche revêt une grande importance. En effet, la Kumari bénit ses fidèles de la main droite tous les jours. Alors, la main gauche de la Kumari demeure la plus pure, n’ayant touché personne d’autre que le chef d’État.

La vie d’une Kumari est régie par des règles strictes.

Elle est confinée au Kumari Ghar, un palais sacré, duquel elle est interdite de sortir sauf pour les 13 festivals auxquels elle se doit de participer, dont le célèbre Kumari Jatra.

Son éducation se déroule exclusivement à domicile.

La Kumari est habillée principalement en rouge, couleur attribuée à ses pouvoirs divins, et son maquillage est appliqué de manière spécifique chaque jour.

Photo d’une Kumari | Nirmal Dulal - Creative Commons BY-SA 3.0 DEED
Photo d’une Kumari – Nirmal Dulal | Creative Commons BY-SA 3.0 DEED

Elle ne porte pas de chaussures, et un prêtre récite quotidiennement une prière spéciale à ses pieds, un rituel effectué derrière un voile, qu’elle ne peut voir.

La Kumari est vénérée par les fidèles et sollicitée pour des conseils spirituels directement dans son palais. Selon la croyance populaire, elle a le pouvoir de bénir ceux qui viennent la vénérer, mais également celui de les punir.

Une légende raconte qu’une Kumari aurait causé la mort d’un homme qui ne l’avait pas respectée correctement lors d’une visite, en le regardant fixement et en refusant l’offrande qu’il lui avait apportée. Cet homme serait décédé sur le chemin du retour vers son domicile, renforçant ainsi la conviction en la puissance divine de la Kumari.

La déchéance de la Kumari

La vie de Kumari est éphémère. Dès qu’elle atteint la puberté, elle perd son statut divin et redevient une simple mortelle. Ce processus, appelé “Gufa”, marque le départ de la déesse de son corps humain. Par la suite, une nouvelle Kumari est choisie pour la remplacer, assurant ainsi la continuité de cette tradition sacrée.

Cependant, avant la pétition initiée par Pun Devi Maharjan contre cette pratique, portée devant la Cour suprême en 2005 et tranchée en 2008, les Kumaris ne bénéficiaient d’aucune éducation. À la suite du rituel marquant la fin de leur expérience en tant que Kumari, les jeunes filles se retrouvaient dans une situation délicate.

Étant dépourvues d’expérience professionnelle et d’éducation, elles avaient du mal à trouver leur place dans la société. Néanmoins, en reconnaissance de leur service en tant que Kumari, les anciennes détentrices de ce titre reçoivent désormais une compensation financière mensuelle.

Signification spirituelle et controverses

Dans la culture hindoue, la naissance d’une fille est souvent perçue négativement en raison de la position sociale inférieure qui lui est assignée par rapport aux hommes. Cependant, la tradition des Kumaris met en lumière l’importance significative de la fille dans la spiritualité et la mythologie hindoue.

Cette pratique agit comme un moyen de contrebalancer cette inégalité en rétablissant la valeur de la naissance des filles, particulièrement au sein de la communauté Newar.

La tradition des Kumaris est profondément ancrée dans la spiritualité népalaise, symbolisant l’union entre le divin et l’humain, tout en conférant une légitimité symbolique au dirigeant du pays. Sur ce point, le Népal est similaire à l’Égypte antique.

Cette signification a pris un nouveau sens pendant la transition du Népal d’une monarchie à une démocratie. D’abord redouté comme un possible déclin de la symbolique des Kumaris, Chiara Letizia souligne dans son article que, malgré la transition de pouvoir ;

Il semble que la Kumari n’ait pas perdu son pouvoir politique. Son autorité demeure tant qu’il y a quelqu’un pour recevoir sa bénédiction.

Chiara Letizia, p. 42.

Cependant, cette pratique unique n’échappe pas aux controverses. D’un côté, le processus de sélection rigoureux et son impact sur la vie des jeunes filles sont vivement critiqués. De l’autre côté, certains estiment que cette pratique est essentielle pour préserver la culture et la tradition népalaises. Cette controverse a été mise en évidence par la pétition menée par l’avocate Pun Devi Maharjan en 2005 évoquant le manque d’éducation et le manque de liberté de ces enfants déifiées.

Les Kumaris continuent d’intriguer le monde entier, offrant un aperçu rare et précieux de la spiritualité et de la culture népalaise. Cette tradition, bien qu’entourée de mystère et de controverse, demeure un témoignage vivant de la complexité et de la richesse du patrimoine spirituel du Népal.

En tant que gardiennes divines de la tradition, les Kumaris continueront de captiver les esprits et de susciter l’admiration à travers les générations, même au milieu des changements politiques et sociaux.

Quelques sources et liens utiles :

Letizia, Chiara. “The goddess Kumari at the Supreme Court, Divine kinship and secularism in Nepal.” Focaal, Vol. 2013, n°67, 2013, pp. 32–46.

Khanna, Madhu. “Here are the Daughters. Reclaiming the Girl Child in the Empowering Tales and Rituals of Sakta Tantra.” The Oxford History of Hinduism: The Goddess, ed. par Mandakranta Bose. Oxford, Oxford University Press, 2018, pp. 173-198.

Beck, Brenda. « Becoming a Living Goddess. » The Oxford History of Hinduism: The Goddess, ed. par Mandakranta Bose. Oxford, Oxford University Press, 2018, pp. 201-227.

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