Avec le grand désenclavement planétaire survenu à l’époque moderne, les voyages transatlantiques se sont considérablement développés. L’histoire des croisières a connu une évolution qui fut marquée par les changements économiques, technologiques et sociaux à travers les siècles.
Ce mode de voyage, qui était réservé à une élite fortunée au XIXème siècle, s’est progressivement ouvert à un public plus large au XXème siècle, s’intégrant dans le tourisme de masse qui engendre de nouvelles problématiques.
Cet article explore donc l’histoire et l’évolution des croisières depuis le XIXème siècle, des premières initiatives aux défis contemporains, mettant en lumière non seulement l’évolution des navires et des destinations, mais aussi les enjeux environnementaux et sécuritaires d’aujourd’hui.
La naissance des voyages de loisir
Malgré les avancées techniques offertes par la navigation à vapeur, permettant une régularité sans précédent, les voyages en paquebot au XIXème siècle et durant la première moitié du XXème siècle étaient principalement utilitaires. Ils répondaient à des obligations familiales ou professionnelles et restaient éprouvants.
Ces traversées étaient souvent longues, comme le trajet de Marseille à Yokohama qui, au début des années 1880, durait plus de six semaines avec des inconforts et des aléas climatiques qui rendaient ces voyages pénibles pour beaucoup de passagers.
Les premiers voyages
L’une des premières initiatives de croisière organisée est attribuée à Thomas Cook, qui en 1869 a commercialisé un voyage sur le Nil. Malgré tout, des compagnies comme la Black Ball Line assuraient dès 1818 des liaisons régulières entre New York et Liverpool, marquant le début des voyages maritimes réguliers pour passagers.
En 1840, la Cunard Line introduisit des éléments de confort innovants, comme la présence d’une vache à bord du Britannia pour fournir du lait frais lors d’une traversée de 14 jours. Le tourisme n’était cependant pas structuré comme aujourd’hui.
Toutefois, en 1853, le Guide des voyageurs des paquebots-poste de la Méditerranée proposait une nouvelle conception du “voyage d’agrément” qui s’intégrait dans les lignes régulières avec des passagers comprenant des artistes, écrivains, et aristocrates britanniques en quête de formation, ainsi que des commerçants, hommes d’affaires, et diplomates de première classe. Un voyage similaire à ce qui se fera quelques années plus tard sur les rails, avec notamment l’Orient-Express.
Ce guide fournissait des informations détaillées pour chaque escale, facilitant ainsi le séjour des voyageurs pressés ou ceux ayant le temps de s’arrêter dans plusieurs ports.
La naissance de la croisière de luxe
Avec les évolutions techniques permises grâce à la révolution industrielle, les croisières que l’on connaît aujourd’hui ont pu voir le jour dans les années 1880-1890, permettant d’accroître le confort des passagers. La période allant de la Belle Époque aux années folles a vu l’essor d’un tourisme de luxe, notamment à travers le développement des palaces, des trains, et des grands paquebots.
Les compagnies maritimes ont alors transformé leurs services en conséquence pour s’adapter à cette clientèle, passant de simples lignes régulières à des croisières luxueuses, afin de garantir le confort et le plaisir des passagers.
Les Messageries Maritimes, compagnie française, ont inauguré leurs premières croisières en Méditerranée en 1896 avec le Sénégal. Durant cette période, les voyages étaient souvent organisés en collaboration avec des entités culturelles comme la maison Hachette et la Revue des Sciences.
Par exemple, en 1899, un voyage en Égypte a été organisé pour célébrer le trentième anniversaire du canal de Suez, il s’agissait alors de voyages dans le cadre d’événements particuliers. Albert Ballin, directeur de la compagnie Hapag, a également joué un rôle crucial en introduisant les séjours en Méditerranée durant les mois d’hiver.
Les compagnies maritimes, telles que la Cunard Line avec ses navires comme le Mauritania ou le Lusitania, ont développé ces concepts de luxe et de divertissement à bord. Par la suite, des compagnies prestigieuses comme la French Line et la White Star Line ont construit des navires de plus en plus somptueux rendant les croisières populaires auprès des femmes aisées, souvent conseillées par leurs médecins pour des raisons de santé.
L’évolution des espaces à bord des navires a également contribué au confort et à la sociabilité des passagers, avec l’introduction de salons, bibliothèques, et autres lieux de divertissement. Ainsi, les pionniers de la croisière ont non seulement transformé le voyage maritime en une expérience de luxe, mais ont également jeté les bases d’une industrie touristique prospère qui continue de se développer aujourd’hui à grande échelle.
Toutefois, l’âge d’or des grands paquebots a été marqué par le naufrage du Titanic en 1912, qui a mis en lumière l’importance de la sécurité maritime. Cependant, ce drame a paradoxalement stimulé l’intérêt pour les croisières, renforçant leur mythe et attirant une clientèle en quête de luxe..
Les croisières au lendemain des deux guerres
Les deux guerres ont mis à mal l’industrie des croisières. Le développement des navires est interrompu et les paquebots sont réquisitionnés. À la suite du Traité de Versailles réclamant des réparations, l’Allemagne est dans l’obligation de donner ses navires transatlantiques à la Grande-Bretagne et aux États-Unis.
Toutefois, il y a un court regain d’activité dans les années 1920-1930 qui prend de nouveau fin avec la Seconde Guerre mondiale.
L’après première guerre mondiale
Les Messageries Maritimes reprennent l’organisation de croisières au lendemain de la Première Guerre mondiale. En 1923, la compagnie inaugure les “voyages des ports de France”, proposant des croisières de 18 jours. Ces croisières, bien que ponctuelles, restent souvent liées à des événements culturels ou mondains.
Les années 1930 représentent un retour à un âge d’or, mais la crise de 1929 impose des défis aux compagnies. Les Messageries Maritimes se diversifient en affectant des paquebots au transport de passagers en quête de loisirs, notamment durant la saison hivernale. Des croisières de vacances sont aussi organisées en été, intégrant des séjours dans des hôtels luxueux.
Pendant cette période, les compagnies maritimes connaissent d’intenses transformations. Les Allemands, exclus du marché jusqu’en 1929 à cause des dommages de guerre, reviennent avec la construction du navire Bremen.
Cette décennie voit aussi la naissance de la classe dite “touriste”, une nouvelle catégorie de passagers plus modeste, située entre la deuxième et la troisième classe. Mais malgré la crise, le luxe atteint son apogée sur les paquebots des Messageries Maritimes. Ces navires sont construits dans un style rappelant l’art des pays desservis.
Par exemple, le Champollion (1925) et le Mariette Pacha (1926) arborent un style égyptien rappelant les temples antiques, tandis que le Félix Roussel s’inspire des fresques d’Angkor.
Paradoxalement, la crise économique de 1929 stimule l’essor des croisières car la réduction des flux transatlantiques entraîne un déficit de rentabilité, ce qui pousse les compagnies à innover. Par exemple, en 1932, les compagnies s’adaptent en proposant des croisières plus courtes et accessibles, comme les “week-end croisières” en France, destinées à un public moins fortuné.
Ainsi, les années 1930 voient cohabiter deux types de voyages : les voyages de style ancien et les nouvelles croisières courtes. Cette diversification permet de toucher une clientèle plus large.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale
L’évolution des cabines sur les paquebots connaît un tournant notable dès les années 1930, mais c’est après la Seconde Guerre mondiale que les véritables innovations apparaissent puisque les cabines de luxe se transforment en petits appartements qui intègrent un salon, une chambre et une salle de bain.
C’est durant les années 1960 que l’industrie de la croisière subit une véritable révolution, principalement due à l’essor du transport aérien.
La traversée de l’Atlantique, qui était auparavant une entreprise de plusieurs jours en paquebot, se réduit à un vol de huit heures, laissant place à un désintérêt certain pour les voyages maritimes. Cette période marque la fin d’une époque pour les compagnies, qui voient nombre de leurs navires finir à la casse.
Ainsi, si les années 1960 apportent de nouveaux défis à l’industrie de la croisière, elles posent aussi les bases pour une redéfinition future du voyage en mer, poussant les compagnies à innover une nouvelle fois. Une nouvelle expérience à bord était donc indispensable.
L’ère du tourisme de masse
Après la crise des années 1960, les compagnies maritimes rebondissent en innovant dans leurs offres, ouvrant la voie à l’insertion de ce secteur dans le tourisme de masse qui entraine de nouveaux défis.
L’expansion des croisières
Des entrepreneurs comme Ted Arison et Knut Kloster révolutionnent le secteur en lançant des croisières courtes depuis la Floride vers les Caraïbes, ce qui permet aux passagers d’atteindre rapidement des destinations ensoleillées, en évitant le long voyage depuis New York.
Ce succès inspire la création de la Royal Caribbean Cruise Line en 1967, avec Miami comme port de départ. Les congés payés en France permettent aux Français de partir en vacances, ouvrant ainsi la croisière à une clientèle plus large.
Les prix deviennent plus abordables, permettant aux salariés de la classe moyenne, ayant des congés, de se permettre des séjours en mer. La télévision contribue également à populariser les croisières avec des émissions comme “The Love Boat” dans les années 1970 et 1980.
Ted Arison fonde Carnival Cruise Lines en 1972 et lance les “fun-ships”, des navires entièrement dédiés au divertissement avec des installations comme des piscines, des spas, des casinos et des salles de cinéma. Ces paquebots sont conçus pour s’adapter au tourisme de masse puisque le nombre de croisiéristes explose, passant de 1,4 million en 1980 à 25,8 millions en 2017.
Les croisières continuent d’attirer une clientèle aisée, avec des navires plus petits offrant une expérience premium, souvent sur des yachts privés avec des suites luxueuses, une gastronomie raffinée et un service personnalisé, y compris des séjours en Antarctique, faisant monter les prix jusqu’à 25 000 euros pour une croisière de dix jours.
Les défis et perspectives pour l’avenir
Cependant, le développement de ces paquebots de croisière, aujourd’hui de véritables villes flottantes, a entraîné une augmentation des risques environnementaux et sécuritaires. Accueillant plusieurs milliers de passagers, ces navires posent de nombreux problèmes de pollution, de collisions, d’incendies et même de menaces terroristes, comme avec la prise d’otage de 1985 sur l’Achille Lauro.
Les impacts environnementaux des croisières sont au cœur des débats : par exemple, les croisières en Europe ont vu une augmentation de 17 % des émissions de CO2 en 2022 par rapport à 2019, en partie due à une augmentation de 26 % du nombre de navires. L’utilisation du gaz naturel liquéfié (GNL) comme source de propulsion, bien que réduisant certaines formes de pollution, introduit de nouveaux problèmes avec les émissions de méthane (CH4).
De plus, les systèmes de filtration des gaz d’échappement, censés améliorer la qualité de l’air, contaminent les océans avec de l’eau chargée de métaux lourds et d’autres polluants.
La sécurité des passagers sur les grands paquebots reste un autre défi. Depuis le naufrage du Titanic, la réglementation de la sécurité maritime s’est renforcée, mais les risques demeurent élevés avec des navires pouvant accueillir jusqu’à 9 000 passagers.
Malgré ces défis, l’industrie de la croisière continue de croître, avec une capacité d’accueil mondiale prévue en augmentation de près de 20 % d’ici 2028. Les compagnies maritimes investissent dans des technologies pour réduire l’empreinte écologique de leurs navires et améliorer la sécurité à bord.
Adaptation et évolution
Les croisières ont, à travers les siècles, adapté les offres de voyages aux différentes clientèles, permettant de s’intégrer pleinement dans le tourisme de masse. Toutefois, cela ne se limite pas à l’évolution technologique et au luxe à bord. Les défis environnementaux et sécuritaires posent des questions quant à l’avenir de cette forme de voyage, c’est pourquoi l’industrie de la croisière cherche des solutions plus durables, tout en continuant d’attirer des passagers du monde entier.
Quelques liens et sources utiles
DE MARIGNAN.C, « La croisière, une invitation au rêve » dans : Études, 2018, p. 17-28
BERNERON-COUVENHES.M.F, « La croisière : du luxe au demi-luxe. Le cas des messageries maritimes (1850-1960) » dans : Entreprises et histoire, 2007, n°46, p. 34-55
RESCHE.A, « Des voyages élitistes aux croisières de masse : la croisière à l’épreuve des années 1930 » dans : Aden, 2022, n°19, p. 13-24
MAYER.N, Pollutions et nuisances : découvrez la face cachée des paquebots de croisière, Futura Science, 2023