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Rachat de F-16 par l’Argentine au Danemark

L'Argentine officialise la signature du rachat au Danemark de vingt-quatre avions F-16 pour la modique somme de 650 000 de dollars
Luis Petri au Danemark - Auteur inconnu | Ministère de la Défense argentin
Luis Petri au Danemark – Auteur inconnu | Ministère de la Défense argentin

Le 16 avril 2024, l’Argentine officialise la signature du rachat au Danemark de vingt-quatre avions de combat, modèle F-16, pour la modique somme de 650 000 dollars par unité, soit un peu plus de 600 millions d’euros au total.

Le F-16 est un avion de combat multifonctionnel, de conception américaine, développé dans les années 1970. C’est l’avion de combat le plus utilisé au monde. En 2020, le nombre total d’appareils en service est estimé à environ 2300, soit 16% de la flotte mondiale de combat. Efficace et polyvalent, sur 200 000 sorties recensées, il aurait été abattu seulement huit fois, tous conflits confondus.

F-16 Fighting Falcon - Jakub Alan [Pseudo Wikipedia] | Creative Commons by SA 4.0 Deed
F-16 Fighting Falcon – Jakub Alan [Pseudo Wikipedia] | Creative Commons by SA 4.0 Deed

Dépourvue de flotte de combat depuis la déprogrammation des Mirages III (de conception française) en 2015, l’Argentine tentait depuis lors de renforcer l’épine dorsale de son système de défense aérien par l’obtention d’avions supersoniques.

Plus importante acquisition militaire en cinquante ans, ce contrat s’inscrit dans la volonté de réarmement stratégique de l’Argentine. Néanmoins, le pays faisant face à une dure crise économique et sociale, cet investissement est très impopulaire auprès des Argentins qui préféreraient investir cette somme dans des politiques sociales. Intéressons-nous dans cet article aux raisons ayant motivé cet achat.

La posture du gouvernement argentin

Interrogé, le président argentin élu en décembre 2023, Javier Milei, reconnaît que l’Argentine doit répondre à plusieurs priorités, mais insiste pour dire que les forces armées en font partie.

Profitant du renouvellement par des F-35 de la flotte d’appareils aériens de combat du Danemark, le gouvernement argentin négocie le rachat de seize F-16 monoplaces et de huit F-16 biplaces. Sur la quarantaine de F-16 opérationnels que le Danemark dispose, 19 sont à destination de l’Ukraine, le reste est donc acheté par l’Argentine.

Les livraisons devraient commencer en 2025 et s’étaler jusqu’en 2028 avec la remise de six appareils par an. Le contrat signé par le ministre de la défense argentin Luis Petri comprend deux volets.

  • Un premier avec le Danemark, portant sur l’obtention des vingt-quatre appareils modernisés, des pièces de rechange garanties pour cinq ans, de quatre simulateurs, de huit moteurs et de la formation des pilotes et mécaniciens, s’élève à hauteur de 318 millions d’euros.
  • Le second volet, signé quant à lui avec les États-Unis, traite de l’achat des munitions à hauteur de 290 millions d’euros, par le biais d’un crédit offert par les États-Unis à un taux fixe de 2%.

Face aux critiques de “dilapidation d’argent public”, le gouvernement rétorque et défend sa posture. Selon lui, cette décision favorise l’effort de modernisation militaire de l’Argentine et permet d’agir de manière dissuasive en disposant des moyens nécessaires à la défense du territoire national pour une durée minimale de vingt-cinq ans.

Nous nous préparons pour que la paix règne, non pas parce que nous souhaitons la guerre

affirme Luis Petri lors de la signature de la lettre d’achat

Autre argument avancé, la facilité d’approvisionnement des systèmes d’armes et des pièces de rechange. Utilisé dans plus de 30 pays, le F-16 dispose d’un cycle logistique très important qui permet un ravitaillement simplifié.

Enfin, le plan de paiement échelonné en cinq versements sans intérêts et un prix d’achat estimé au tiers de sa valeur réelle ont terminé de convaincre le gouvernement de Buenos Aires.

Un investissement nécessaire ?

L’immense étendue territoriale de l’Argentine, ainsi que la large extension de son littoral maritime, demande de fait une capacité de réaction et de projection rapide et de longue portée en cas de menaces sur le territoire national.

Cet achat représente un tournant pour l’Argentine après plus de dix ans de “jeûne supersonique” et sonne le retour à une défense de sa souveraineté plus complète. Considérés comme un vrai changement de génération, ces chasseurs font entrer les forces aériennes argentines dans le XXIe siècle et mettent fin à l’utilisation d’une technologie vieille de trente ans.

En effet, depuis le retrait des Mirages III, le pays assure sa défense aérienne avec des A-4 Skyhawks (avions de combat léger) achetés dans les années 1970 et aux compétences plus que limitées.

Ce renouvellement ne fut pas une mince affaire et posa de nombreuses difficultés à l’Argentine. Le premier problème majeur est bien évidemment la crise économique catastrophique qui sévit depuis le début des années 2010. La faillite du pays et les difficultés à remonter la pente ne favorisent pas l’octroi de budget aux forces armées. Deuxième problème majeur, l’embargo britannique sur le matériel militaire, conséquence de la guerre des Malouines. En place depuis 1982, cet embargo empêche la vente de tout composant d’utilité militaire britannique à l’Argentine.

Cette mesure pose problème car la majorité des avions de combat occidentaux sont équipés de sièges éjectables britanniques, bloquant de fait leur vente. Par exemple, en 2017, après avoir sélectionné les avions de combat coréens FA-50 Golden Eagle pour équiper le pays, l’Argentine s’est vue refuser la vente des appareils par un veto du gouvernement de Londres.

L’aval américain, bonté ou service intéressé ?

Pour faire face aux contraintes citées précédemment, l’Argentine avait envisagé l’acquisition du JF-17 Thunder, de conception sino-pakistanaise. Une demande de crédit à hauteur de 664 millions de dollars avait même été faite lors du budget 2022.

Toutefois, avec l’élection de Javier Milei, le projet des JF-17 finit définitivement enterré. Bien qu’étant des avions particulièrement efficaces, Milei considère les États-Unis comme des alliés privilégiés et naturels. Il désire, a contrario de ses prédécesseurs, s’aligner sur la politique d’endiguement américaine menée envers la Chine.

Il est clair que l’achat d’appareils chinois n’aurait fait que conforter la position et l’influence déjà grandissante de Pékin en Amérique latine au grand dam des États-Unis.

Hasard de calendrier ? C’est lors de la visite à Pékin de l’ancien président argentin Alberto Fernandez pour le forum des nouvelles routes de la soie que le gouvernement américain fait le choix de rendre public son autorisation et les conditions très avantageuses de vente du F-16 à l’Argentine.

Preuve supplémentaire que ces préoccupations sont prises très au sérieux, de nombreux officiels américains sont envoyés en déplacement en Argentine, comme par exemple le directeur de la CIA William Burns.

Au programme des discussions, l’accroissement de la collaboration militaire entre Washington et Buenos Aires, l’accès aux terres rares du sol argentin, l’intégration de l’Argentine comme “partenaire mondial” de l’OTAN, et la station d’observation spatiale chinoise de Neuquén. Cette dernière, étendue sur plus de deux cents hectares cédés à la Chine pour cinquante ans, préoccupe fortement les États-Unis. Pékin y a déjà investi plus de 50 millions de dollars et y militarise ses infrastructures.

En contrepartie, Washington a affirmé l’envoi par le biais du Foreign Military Financing d’une aide de plus de 40 millions de dollars pour renforcer la sécurité nationale du pays et contribuer à la rénovation des forces armées argentines.

Base spatiale chinoise à Néuquen - NEUQUEN GOVERNMENT | HANDOUT/EPA/MAXPPP
Base spatiale chinoise à Néuquen – NEUQUEN GOVERNMENT | HANDOUT/EPA/MAXPPP

Que doit on en retenir ?

L’acquisition par l’Argentine d’une flotte de F-16 s’inscrit dans un contexte géopolitique, économique et sécuritaire particulier. Elle met en lumière la terrible crise économique du pays par les critiques reçues en interne ; révèle les lacunes de l’appareil militaire argentin par sa vétusté et trahit le jeu d’influence que se livrent les deux superpuissances que sont la Chine et les États-Unis.

Président Milei et le Secrétaire d'Etat américain M. Blinken - Casa Rosada | Government Open Data license - Argentine
Président Milei et le Secrétaire d’Etat américain M. Blinken – Casa Rosada | Government Open Data license – Argentine

La décision du gouvernement de Buenos Aires soulève donc des questions fondamentales sur la sécurité nationale, la souveraineté et les choix stratégiques des nations dans un monde en constante évolution.

Enfin, il est intéressant de se demander si l’Argentine de Javier Milei réussira réellement à être considérée comme un partenaire privilégié de Washington, ou si celle-ci sera perçue comme une succursale américaine, simple outil dans les mains de la diplomatie américaine.

Quelques liens et sources utiles

Argentina compra a Dinamarca 24 aviones de combate F-16 “modernizados”. Voz de America. 16 avril 2024.

Ramiro Vélez. El gobierno oficializó la adquisición de 24 aviones caza F-16 y declaró la compra como “secreto militar”. Palabras de Derecho. 29 avril 2024.

Laurent Lagneau. L’Argentine est sur le point de finaliser l’achat de 24 F-16 d’occasion auprès du Danemark. Zone militaire. 23 mars 2024

La Fuerza Aérea respondió a las críticas tras la compra de los aviones de combate F-16 : “Un hito que no ocurre hace 50 años”. La Nación, 16 avril 2024.

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