L’aventure de Magellan et de son équipage est difficilement imaginable pour des Occidentaux modernes. C’est un périple dans des terres inconnues, où l’Homme européen n’a jamais navigué. L’objectif est de découvrir une route vers les Indes portugaises par l’Ouest. Ce tracé est inconnu, et Magellan part pour une aventure dont il ne connait ni les étapes, ni les passages. C’est un voyage de découverte, et d’aventure.
Portugais de naissance, Fernand de Magellan se tourne vers le roi d’Espagne pour mener à bien son expédition, que le souverain portugais a refusé de financer. Ainsi, la promesse qu’il fait au monarque espagnol Charles Ier de Castille et d’Aragon est d’ouvrir la « route des épices », et notamment la route vers les Moluques et le précieux clou de girofle, qui fait la richesse des Portugais.
Puissance et richesse pour la couronne espagnol
L’expédition de Magellan fait écho aux aspirations espagnoles d’avoir une route vers l’Asie sans passer par les territoires portugais. En effet, depuis le traité de Tordesillas conclu le 7 juin 1494, le monde est divisé entre l’Espagne et le Portugal à 370 lieues (1770 kilomètres) à l’ouest des îles du Cap-Vert. Ce découpage intervient après les découvertes de Christophe Colomb en 1492 – 1493.
Néanmoins, cette ligne n’a pas d’équivalent de l’autre côté de la planète, pour le partage notamment de l’Asie. Ainsi, Fernand de Magellan promet que les Moluques sont sur le territoire des Espagnols. Grâce à ça, il est possible pour lui de monter une expédition.
Un précédent voyage, celui d’un autre Portugais passé au service des Espagnols, avait permis la découverte du Rio de la Plata. Juan Díaz de Solís avait tenté en 1515 -1516 une expédition au sud du Brésil pour découvrir une voie vers l’Ouest. L’expédition avait mené à sa disparition.
Découvrir le voyage de Magellan grâce à Antonio Pigafetta
Avant de découvrir les marchandises et vivres nécessaires pour l’expédition, nous vous invitons à découvrir l’ouvrage d’Antonio Pigafetta : Le Voyage de Magellan 1519-1522. La relation d’Antonio Pigafetta du premier tour du monde. Contemporain de Magellan, il est surtout membre de l’expédition et rare survivant de cette première circumnavigation.
Magellan n’a pas accompli le premier tour du monde, mais il est devenu le plus célèbre des navigateurs et son voyage, grâce à la relation d’Antonio Pigafetta, la plus fascinante des épopées maritimes.
Cette édition de poche reprend la transcription établie pour l’édition critique de 2007, qui fait désormais référence.
Elle rectifie de nombreuses erreurs et reformule plusieurs hypothèses sur les énigmes de cette prodigieuse navigation, dont les équipages sont revenus décimés. Des cartes, une chronologie détaillée, un index biographique et des notes permettent de s’approcher au plus près de la vérité historique et de combler les silences de l’auteur.
Qu’est-ce qui est nécessaire pour effectuer un tel voyage ?
Cet article n’a en effet pas vocation à faire le détail des préparatifs, ni même les étapes de l’expédition, mais bien de présenter les préparatifs, et notamment des vivres nécessaires à un tel projet, un voyage de deux ans.
Il faut bien comprendre qu’énormément d’inconnus jalonnent l’expédition, les terres en vue sont inconnues, Magellan ne sait pas quand il pourra se ravitailler, ni même quand il pourra jeter l’ancre. Il est donc nécessaire d’avoir un maximum de vivres, pour survivre, mais aussi assez de marchandises à troquer pour embarquer le trésor tant convoité : les clous de girofle.
L’inventaire des vivres de l’expédition de Magellan
Prévoir plus de deux ans de vivres est une aventure incroyable, tout en sachant que la nourriture est périssable, et que l’Homme doit boire une grande quantité d’eau tous les jours. Ainsi, dans l’inventaire comptable de l’expédition de Magellan, qui se trouve dans les Archivo general de indias, voici quelques éléments qui ressortent :
7000 litres d’huile ;
4000 litres de pois chiche ;
600 kilos de miel ;
1500 kilos de poisson fumé ;
2600 kilos de lard fumé ;
2000 litres de fèves ;
640 litres d’amandes avec leur coque ;
250 tresses d’ail ;
100 cordes d’oignon ;
3 cochons et 6 vaches coupés en morceaux ;
70 boîtes de marmelade ;
3 jarres de câpres ;
2200 litres de farine ;
984 fromages trempés dans l’huile ;
53 litres de moutarde ;
862 kilos de raisins secs ;
736 kilos de figues ;
92 kilos de pruneaux ;
100 kilos de riz ;
3000 litres de vinaigre.
En plus de cette liste, Magellan embarque des biscuits de mer, ainsi que du pain deux fois cuits, qui sont des produits durables en mer. Pour la boisson, l’équipage boit surtout du vin, ainsi, il est prévu un litre de vin par jour pour l’ensemble de l’équipage, pour une durée de 2 ans. Le vin est une denrée plus adaptée que l’eau, en effet, celle-ci croupit et devient impropre à la consommation.
L’armement nécessaire pour une telle expédition
L’inconnu fait peur, et l’Homme reste un être sauvage, ainsi l’expédition nécessite une grande quantité d’armes pour prévenir tout risque d’agression.
7 faucons ;
3 grosses bombardes ;
3 passe-murs (ou passe-muraille) ;
50 arquebuse ;
100 armures complètes ;
200 boucliers ;
60 arbalètes ;
4000 flèches ;
6 lames d’épée pour les capitaines ;
1000 lances ;
200 pics.
Bien évidemment ces éléments nécessitent des pièces de rechange, d’entretien et d’utilisation qui sont également montés à bord : munitions, boulets, balles, grattoirs, mèches et poudre notamment.
La monnaie de troque de l’expédition
L’expédition de Magellan a surtout un but marchand, il est donc nécessaire d’embarquer des marchandises qui pourront être échangées contre des clous de girofle, ou tout autre marchandise intéressante. Pour cela, la majorité de l’espace est réservé au stockage de ces marchandises, qui étaient en très grand nombre :
1 tonne d’argent en lingot ;
2 tonnes de pigment vermillon ;
5 tonnes de plomb ;
10 tonnes de cuivre ;
1000 peignes ;
1000 miroirs (900 petits et 100 grands) ;
500 fers de ciseaux ;
4000 des plus mauvais couteaux d’Allemagne ;
20000 grelots ;
10000 hameçons ;
200 mouchoirs rouges ;
200 bonnets rouges ;
250 kilos de perles de verre ;
2000 bracelets en laiton ;
2000 bracelets de cuivre ;
10000 maillets en métal.
Il faut imaginer qu’en plus de tous les éléments listés précédemment, il faut également les pièces de rechange pour les navires, notamment de la corde, mais aussi des voiles. L’expédition ne pourrait pas s’arrêter à cause d’une voile déchirée. L’équipage, au départ de l’expédition, n’a donc pas du tout de place pour vivre.
Le coût total engagé pour l’expédition, comprenant le prix des bateaux, la mise en état des dis-navires, leur approvisionnement et les salaires de l’équipage est de : 8 751 125 maravedis.
Un équipage secondaire, place aux marchandises
Les conditions de vie de l’équipage sont précaires, avec peu d’espace disponible, pas de couchages (les hamacs ne sont pas encore intégrés dans la marine espagnole). Être marin au XVIe siècle implique de partir des mois entiers, avoir des risques importants de contracter une maladie ou bien de mourir en mer.
Pour l’expédition de Magellan, environ 270 membres d’équipage sont sur le départ. L’Armada del Maluco quitte Séville le 10 août 1519, avec cinq navires : la Trinidad, le San Antonio, la Concepción, la Victoria et le Santiago.
Pour l’anecdote, plusieurs Français sont membres de l’expédition :
Sur la Trinidad (nef amirale, 110 tonneaux) :
- Jean-Baptiste, de Montpellier (Languedoc), canonnier.
- Guillaume Tanguy, de Groix (Bretagne), canonnier.
- Jean Martin, d’Angers (Anjou), supplétif et serviteur de Magellan.
Sur le San Antonio (120 tonneaux) :
- Maître Jacques, de Lorraine, canonnier et connétable.
- Roger Dupret, de Monein (Béarn) ou Menin (Flandres), canonnier.
- Bernard Calmette, de Lectoure (Armagnac), chapelain.
- Jean Mabire, de Rouen (Normandie), marin.
- Colin Baso, de Boulogne (ancienne Picardie), mousse.
Sur la Concepción (90 tonneaux) : aucun Français.
Sur la Victoria (85 tonneaux) :
- Simon Guimard, de La Rochelle (Aunis), calfat.
- Philibert Bodin, de Tours (Lorraine), canonnier.
- Stéphane Bihan (ou Villon), du Croisic (Bretagne), marin.
- Bernard Maury, de Narbonne (Languedoc), mousse.
Sur le Santiago (75 tonneaux) :
- Barthélémy Prieur, de Saint-Malo (Bretagne), contremaitre.
- Richard Deffauldis, d’Evreux (Normandie), charpentier.
- Laurent Corrat, de Falaise (Normandie), canonnier et connétable.
- Jean Massiat, de Troyes (Champagne), canonnier.
- Pierre Allard, de Bordeaux (Guyenne), marin.
- Jean Bras, du Croisic (Bretagne), mousse.
- Pierre Arnaud, d’Auray ou de Groix (Bretagne), mousse.
Selon, Les Compagnons français de Magellan (1519-1522), Chandeigne, 2022, page 59
Le 8 mai 1521, 55 hommes d’équipage rentrent à Séville. Ce sont les marins du San Antonio qui se sont mutinés pour rebrousser chemin lors de l’exploration du détroit de Magellan. Les derniers survivants de l’expédition arrivent à Séville le 6 septembre 1522, ils ne sont que 18 à bord de la Victoria, premier navire à réaliser un tour du monde.
Les hommes ne sont pas tous morts lors de l’expédition, certains ont été débarqués et d’autres capturés, mais la majorité des hommes sont morts de faim ou de maladie, notamment du scorbut.
Une expédition en demi teinte, Magellan l’homme oublié un temps
Malgré tout l’expédition de Magellan est un échec, les Moluques sont une possession portugaise, les désirés clous de girofle sont une marchandise que les Espagnols ne peuvent s’accaparer. De plus, l’expédition a provoqué la mort de Magellan.
La réussite de l’expédition est certaine d’un point de vue technique, c’est en effet le premier circumnavigation, il est maintenant possible par l’Ouest de se rendre en Asie. Un nouvel océan, du nom d’Océan Pacifique, a été découvert, et la cartographie de nombreux espaces est mieux connue.
Pour Magellan, la renommée posthume n’apparaît pas de suite, en effet, il est impossible pour les Espagnols d’introduire un Portugais à leur service comme le premier homme à faire le tour du monde et il en est de même pour les Portugais.
Quelques liens et sources utiles
Romain Bertrand, Qui a fait le tour de quoi ? L’affaire Magellan, Paris, Verdier, 2020.
Xavier De Castro (éd.), Le voyage de Magellan (1519-1522), La relation d’Antonio Pigafetta & autres témoignages, Paris, Chandeigne, 2007.
Antonio Pigafetta, Le Voyage de Magellan 1519-1522. La relation d’Antonio Pigafetta du premier tour du monde, Chandeigne, 2018.
Le partage du monde | L’incroyable périple de Magellan, Arte, 2022
Laurence Bergreen, Over the Edge of the World: Magellan’s Terrifying Circumnavigation of the Globe, Harper Perennial, 2010