« Ô combien de braves hommes, combien de belles dames prennent le petit déjeuner avec leurs proches et dînent la même nuit avec leurs ancêtres dans l’au-delà. »
Giovanni Boccaccio, à propos de la Peste Noire (Œuvre : La mort noire, 1348).
La peste noire, dénommée ainsi pour les taches noires sous-cutanées caractéristiques de la maladie, ravage l’Europe entre 1347 et 1353.
Le continent connaît de nombreuses pandémies de peste à travers son histoire, mais aucune n’atteint la même ampleur que la peste noire qui met fin aux vies d’environ 40% de la population européenne au XIVe siècle. D’ailleurs, l’Europe n’est pas la seule région affectée par cette pandémie qui finit par toucher différentes régions du globe.
La peste noire touche également l’Asie (l’Inde, la Chine, le Moyen-Orient et la Russie) et l’Afrique du Nord. Le nombre total de victimes de l’épidémie s’élevant, selon certaines sources, à 200 millions personnes à travers le monde (avec une population mondiale de 500 millions à l’époque).
Origines et étapes de la propagation
La peste noire trouverait ses origines dans la route de la soie. Ces réseaux commerciaux s’établissant entre l’Asie, l’Europe et l’Afrique du Nord au cours du XIVe siècle auraient facilité la propagation de la peste. Selon les historiens, ce serait précisément au sein de la cité européenne de Caffa en Crimée (en Ukraine actuelle) que la peste commence sa propagation en Europe en provenance de l’Asie central.
Pendant cette époque, la cité de Caffa devient un point de passage incontournable des navires provenant de différentes régions européennes, méditerranéennes et asiatiques. De plus, entre les années 1346 et 1347, elle serait le siège d’une bataille entre les Tartares envoyés par le Khan des mongoles et les Génois venant se réfugier dans la ville. Ces derniers auraient probablement apporté avec eux la bactérie responsable de la peste (à travers les rats noirs et les puces très répandus pendant cette époque).
Depuis 1345, la maladie commence à se propager en Chine et Inde et ravage des régions entières. Une année plus tard, la peste atteint la cité de Caffa pendant la bataille susmentionnée entre les Tartares et les Génois.
Selon certaines sources, afin de se débarrasser des cadavres de leurs soldats morts de la peste, les Tartares les lancent dans la cité de Caffa pendant des semaines, infectant ainsi les habitants également. En 1347, la majorité des soldats tartares autour de Caffa décèdent des suites de la peste et les survivants de la Cité s’échappent à d’autres régions transportant avec eux la bactérie de la peste dans leurs carrosses.
De plus, les navires provenant de Caffa propagent la peste à Constantinople où elle finit par ravager la ville et tue plus que la moitié de la population. Ensuite, les villes voisines subissent le même sort. La peste continue sa propagation à d’autres régions européennes plus lointaines (comme les villes italiennes) et asiatiques (comme les villes perses). L’épidémie atteint la France, à travers Marseille, en 1348 et arrive jusqu’en Lybie, en Tunisie, en Algérie et même au Maroc dans l’Afrique du Nord.
Il est à noter que la peste provoque des milliers de décès, avec un taux de mortalité se situant entre 30% et 60% dans chaque ville. Ce taux de mortalité très élevé serait associé à une période d’incubation courte (oscillant entre un jour et une semaine) au cours de laquelle l’individu infecté reste asymptomatique bien que positif, pouvant ainsi contaminer son entourage sans le savoir.
La bactérie responsable de la peste Yersinia pestis (découverte des siècles plus tard, au XIXe siècle) s’attache d’abord à des puces se nourrissant des rats noirs et dès que ces derniers meurent des suites de la peste, les puces cherchent de nouveaux hôtes, à savoir les êtres humains. La peste peut également être transmise par la voie respiratoire d’un individu à un autre.
De plus, étant donné les ressources très limitées et l’état des connaissances de l’époque, les médecins ne disposent pas des moyens nécessaires pour traiter la peste et recourent à des méthodes peu efficaces voire contre-productives. La peste étant aussi considérée par la majorité des habitants comme une punition divine, ces derniers tournent vers la religion pour trouver la paix. D’autres se tournent plutôt vers des minorités et les massacrent sous le prétexte de la purification de la ville.
Au bout de quelques années douloureuses, l’épidémie de la peste touche à sa fin à partir de l’année 1353 sans pour autant être éradiquée. Toujours sans cure et d’origine méconnue à l’époque, la peste noire disparaît pendant des dizaines d’années et finit par revenir plus puissante et mortelle que jamais.
Ce n’est qu’avec l’apparition de la médecine moderne et la découverte de la bactérie Yersinia pestis que les chercheurs réussissent à fabriquer un traitement antibiotique efficace contre la peste. Cette maladie existe jusqu’à nos jours, avec quelques milliers de personnes contaminées chaque année, mais ne représente plus un danger majeur pour l’humanité.
Conséquences de l’épidémie de la peste noire
Comme tout événement tragique de cette ampleur, la peste noire impacte non seulement les vies des habitants des villes qu’elle traverse, mais aussi l’économie, la société et la politique. Suite à la perte des milliers de ses habitants, certaines cités restent complètement désertes, d’autres doivent faire face à de nouveaux problèmes tels que l’augmentation du taux de criminalité, la famine, la pénurie et le manque de mains d’œuvre. Néanmoins, tout n’était pas sombre au cours du moyen-âge comme l’atteste un de nos précédents articles : “le Moyen Âge était-il une période si sombre ?“.
En effet, cette épidémie accélère certains changements nécessaires comme l’amélioration de l’hygiène et l’instauration de la mise en quarantaine adoptée jusqu’à nos jours. C’est précisément dans la ville de Ragusa en Italie que cette mesure d’isolement pendant 40 jours (30 jours au début) est appliquée, pour la première fois, par les autorités locales pour s’assurer que les équipages des navires entrants ne souffrent pas de peste avant de les laisser accéder au port. Cette méthode s’avérant très efficace, d’autres régions finissent par l’adopter pour faire face à cette épidémie.
Pour conclure, la peste noire marque les esprits pendant des siècles et bien que d’autres épidémies touchent l’Europe plus tard, cette dernière reste ancrée dans la mémoire collective pendant des siècles.
Quelques liens et sources utiles
Aberth, J. (2020). The Black Death: A New History of the Great Mortality in Europe, 1347-1500. New York and Oxford: Oxford University Press.
Barry, S., & Gualde, N. (2008). La Peste noire dans l’Occident chrétien et musulman, 1347–1353. Canadian bulletin of medical history, 25(2), 461-498.
Benedictow, O. J. (2021). The Complete History of the Black Death (NED-New edition). Boydell & Brewer.