Le Tour de France, apparaît en 1903 et s’impose rapidement comme un incontournable du monde sportif. Il est suivi par nombre de journalistes et de médias, comme l’attestent nos deux documents (article Le Petit Parisien et photographie agence Rol), qui sont tous deux des productions journalistiques ou à but journalistique.
L’agence Rol qui est à l’origine de notre second document, suit le Tour de France car elle espère vendre ces clichés à des journaux par la suite.
Une épreuve sportive mais également fédératrice au niveau national.
La couverture médiatique du Tour de France est significative d’un intérêt de la population pour cette épreuve sportive. On assiste même à des affrontements entre journaux afin de couvrir l’événement et de publier les résultats le plus vite possible.
Le Petit Parisien, par exemple, publie les résultats de l’étape du jour le soir même, alors que le journal Auto pourtant à l’origine du Tour ne publie que le lendemain. Tout cela témoigne donc bien d’un certain engouement populaire autour du Tour de France et si les journaux se vendent si bien c’est que l’affaire est suivie. Et c’est bien le marché parisien de l’information qui est visé par ces journaux, le Tour de France est donc populaire dans la capitale.
La France entre campagne et ville
Mais on remarque également à la lecture du premier document qu’il est très suivi et attendu également dans les zones plus rurales. Cette étape a lieu entre Cherbourg et Brest, elle se passe donc dans des régions principalement rurales.
Albert Londres, le journaliste écrivant cet article nous livre ligne 4 et 5 : « Aussitôt la foule, sûre de son affaire, cria », on comprend donc qu’une foule de spectateurs se presse autour de la route pour voir passer les cyclistes. Le passage du Tour de France est une attraction suivie et attendue aussi bien en campagne que dans les villes et dans la capitale.
Cela forme une sorte de cohésion sociale entre la France provinciale et celle des grandes villes, un point commun que beaucoup de français partagent, peu importe leur lieu de résidence ou bien leur activité professionnelle. Cet argument peut être appuyé par une autre des spécificités du Tour de France. Bien sûr, il part et arrive à Paris mais il n’omet pas de passer dans les campagnes et les grandes villes provinciales.
En cela chaque région se sent concernée par le Tour de France : en s’appropriant une partie du Tour, les français partagent un événement commun par le biais du sport et donc du sportif. Le Tour de France fait également un éloge de la France et de ses paysages, en choisissant avec soin les étapes où il se déroulera.
Une jeunesse sportive
Le cliché de l’agence Rol fait d’ailleurs la part belle aux paysages et ne se contente pas de photographier uniquement le coureur. Le gouvernement a également bien saisi cet aspect, il a d’ailleurs dès 1912 fait parvenir une circulaire aux maires afin de les exhorter à ne pas entraver les courses cyclistes, car elles « sont une mise en valeur de la jeunesse française, pour le plus grand profit de l’Armée et du Pays ».
On peut également noter que le Tour de France passe en 1919 par l’Alsace et la Lorraine, région de nouveau française, message assez fort pour la population. Le Tour devient un puissant moteur d’acculturation au sport, en effet, la France n’est pas réputée en ce début de siècle pour le sport. La presse joue donc dans ce premier quart de siècle une importante banderole publicitaire pour le gouvernement, qui souhaite pousser les jeunes au sport, sur le modèle allemand.
Le Tour revêt donc en plus de sa dimension sportive une certaine dimension nationale et sociale, les français se reconnaissent dans cette course cycliste qui passe près de chez eux et qui intéresse autant ouvriers et agriculteurs que bourgeois ou aristocrates.
Émergence de “Star” du Tour.
Le Tour de France est donc suivi par de nombreux français de tous horizons. Des équipes se forment sous la houlette de marques qui font ainsi de la publicité pour leurs produits, mais pour obtenir un maximum de publicité encore faut-il remporter la victoire.
Les frères Pélissier
Le vélo est très répandu dans la France des années 20 et reste un moyen de locomotion peu coûteux et pratique. Il est utilisé par énormément de Français et particulièrement dans les milieux populaires. Les Français se reconnaissent dans ces coureurs cyclistes car ils sont eux même cyclistes, pour la plupart. Mais les cyclistes du Tour de France réalisent des exploits qu’ils seraient bien incapables de reproduire. Ainsi se mettent en place des personnalités que l’on admire et idéalise et qui deviennent de réelles « stars ».
Le document illustre parfaitement cet aspect du Tour de France, aux lignes 5 et 6 on lit : « la foule, sûre de son affaire, cria : -Henry ! Francis ! Henri et Francis n’étaient pas dans le lot ». On comprend bien, avec ces quelques lignes, que les spectateurs attendent le passage de personnes en particulier. Or ces deux personnes ne passent pas devant eux et ils sont en mesure de voir qu’ils ne sont pas passés. Les spectateurs connaissent donc des personnes qu’ils viennent voir spécialement, qu’ils attendent de pied ferme et qu’ils sont déçus de ne pas pouvoir apercevoir.
Les deux personnes que les spectateurs viennent voir sont les deux frères Pélissier. Henri Pélissier est le vainqueur du Tour de France 1923 mais aussi de courses célèbres comme le Paris-Bordeaux ou de courses à l’étranger comme le Tour de Lombardie. Henri est un personnage du monde cycliste qui est déjà très populaire en 1924. On voit, avec le développement de compétitions sportives comme le Tour de France, l’émergence de véritables héros du sport. Cette notoriété est véhiculée et entretenue par les médias, qui rédigent nombre d’articles sur ces personnes.
Des cyclistes, plus que des hommes
Dans le premier document Albert Londres, par exemple, préfère aller interviewer les frères Pélissier que de continuer à suivre la course, lignes 11 et 12 « Nous retournons à la Renault et, sans pitié pour les pneus, remontons pour Cherbourg. Les Pélissier valent bien un train de pneus … ». Les stars du cyclisme sont idéalisées par les journaux et les foules, on les considère comme des surhommes, capables de prouesses physiques et dont le corps a des capacités supérieures à celui du commun des mortels.
Le Tour est perçu comme une épopée, presque mythologique, où les coureurs sont livrés à eux même, doivent à la force de leurs jambes remporter la victoire dans des conditions extrêmes. Ils doivent gravir des montagnes seulement à l’aide de leurs forces physiques. En cas de problème technique ou physique ils sont livrés à eux même : leurs corps et leurs forces sont considérés comme surhumains et leur personne portée aux nues.
De plus, Henri Pélissier est le premier français à remporter le Tour, en 1923. Depuis 1912, il y a un fort soutien national derrière lui. Ces stars du sport et du vélo dans ce cas précis ont quelques avantages en plus de la gloire et du salaire : ils sont entendus et écoutés. C’est pourquoi l’article d’Albert Londres « les forçats de la route » a eu beaucoup de retentissement dans le monde du cyclisme et dans la population.
Quelques liens et sources utiles
Sandrine Viollet, Le Tour de France cycliste : 1903-2005, L’Harmattan, 2007, p60-61
Mignot, Jean-François. « I. L’histoire du Tour de France, reflet de l’émergence d’une culture de masse », Jean-François Mignot éd., Histoire du Tour de France. La Découverte, 2014, pp. 7-26.
Mignot Jean-François, « IV. Le spectacle du Tour de France », dans : Jean-François Mignot éd., Histoire du Tour de France. Paris, La Découverte, « Repères », 2014, p. 71-100
Chapel, Louise. « La fabrication du Tour de France : un réseau en action. (Enquête) », Terrains & travaux, vol. 12, no. 1, 2007, pp. 96-117.
Fumey, Gilles. « Le Tour de France ou le vélo géographique. », Annales de Géographie, t. 115, n°650, 2006. pp. 388-408.
Perera, Éric, et Jacques Gleyse. « Le dopage dans quatre grands périodiques sportifs français de 1903 aux années soixante. Le secret, le pur et l’impur », Staps, vol. no 70, no. 4, 2005, pp. 89-107.
Gaboriau, Philippe. « Les trois âges du vélo en France. », Vingtième Siècle, revue d’histoire, n°29, janvier-mars 1991. pp. 17-34.