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Highjump, une opération militaire en Antarctique

L’opération Highjump dirigée par l'US Navy en 1947 est à ce jour la plus vaste opération militaire en Antarctique.
USS Burton Island durant l'operation Highjump - US Navy | Domaine public
USS Burton Island durant l’operation Highjump – US Navy | Domaine public

Par son éloignement et sa découverte tardive, le septième continent, l’Antarctique, n’intègre que récemment la liste des régions où les différentes armées se sont déployées.

L’opération Highjump, dirigée par l’US Navy en 1947, fait partie de ces déploiements, qui est – et doit rester tant que le traité sur l’Antarctique demeure – la plus vaste opération militaire en Antarctique.

L’Antarctique, un continent méconnu entre opérations militaires et démilitarisation. 

Comme l’Arctique, l’Antarctique suscite de nombreux fantasmes et tient une place importante dans l’imaginaire collectif. Éloigné, inconnu, et difficilement accessible, le pôle Sud a eu un rôle historiquement limité dans le domaine militaire, contrairement au pôle Nord dont la guerre froide en est indissociable. Cependant, malgré cette apparente absence de conflits armés, certains événements significatifs méritent d’être mentionnés dans l’histoire militaire de cette région polaire.

Tout d’abord, au XIXème siècle et au début du XXème siècle, plusieurs expéditions polaires furent chargées d’explorer les limites de ce continent et y trouver le pôle Sud géographique. Ces expéditions polaires étaient bien plus que de simples quêtes scientifiques : elles étaient marquées par une rivalité nationale et patriotique, où la conquête du pôle Sud avait une signification stratégique importante. Cet objectif, ainsi que les conditions d’explorations, faisaient que ces expéditions étaient souvent d’origines militaires.

Un exemple notable est l’expédition Terra Nova (1910-1913), dirigée par le capitaine britannique Robert Scott, dont tous les membres décédèrent sur le retour après avoir atteint le pôle Sud… déjà atteint pour la première fois un mois avant par le Norvégien Roald Amundsen

À la suite de ces expéditions, l’Antarctique n’eût que peu d’importance dans les guerres mondiales, tandis que la Guerre froide suscita un intérêt renouvelé après la bipolarisation du monde : l’Antarctique doit-il être Occidental ou Soviétique ? L’opération Highjump (1946-1947) se voulut être la réponse américaine à cette question. Officiellement présentée comme étant une mission scientifique dirigée par l’amiral Richard Byrd, des doutes ont persisté quant à la possibilité d’objectifs militaires liés justement à la toute récente Guerre froide.

Par la suite, plusieurs pays ont établi des bases militaires temporaires ou permanentes en Antarctique, principalement dans le but de faciliter les opérations logistiques et les recherches scientifiques. Ces bases, bien que sous le contrôle des forces armées de leurs pays respectifs, ont principalement servi de soutien aux missions scientifiques et aux activités civiles.

Ainsi, la prédominance scientifique a continué de marquer la présence militaire dans cette région isolée. Un tournant majeur s’est toutefois produit en 1959 avec le Traité sur l’Antarctique, qui a établi ce continent comme une réserve naturelle consacrée à la paix et à la science. Signé par 56 pays, ce traité a instauré un régime international interdisant explicitement les activités militaires en Antarctique, mettant ainsi l’accent sur la coopération scientifique et la préservation de ce territoire unique.

L’opération Highjump et la quête d’hégémonie états-unienne en Antarctique.

Entreprise peu après la Seconde Guerre mondiale, l’opération Highjump coïncidait avec l’émergence de la Guerre froide, période de rivalités entre les deux puissances mondiales. Alors en quête de devenir une superpuissance, les États-Unis cherchaient à étendre leur influence et leur présence militaire à travers le monde. Dans ce contexte géopolitique, l’Antarctique est devenu un enjeu stratégique potentiel, attirant l’attention des États-Unis pour d’éventuelles opérations militaires.

Le drapeau américain planté en Antarctique pendant l'opération Highjump - USMC Archives | Creative Commons Attribution 2.0
Le drapeau américain planté en Antarctique pendant l’opération Highjump – USMC Archives | Creative Commons Attribution 2.0

Lancée officiellement le 26 août 1946, l’opération Highjump était dirigée par l’amiral Richard E. Byrd. Le prétexte officiel de cette mission était la recherche scientifique et l’exploration de l’Antarctique afin de mieux comprendre cette région isolée. Pour ce faire, trois groupes furent formés : un groupe terrestre, un groupe aérien et un groupe naval.

Les effectifs engagés dans l’opération étaient significatifs, avec treize navires, dont le porte-avions USS Philippine Sea, ainsi que vingt-deux avions et hélicoptères. Au total, près de 4 700 hommes étaient mobilisés, composés de militaires, de scientifiques, de personnel logistique et d’équipages.

La mission principale de l’opération Highjump était de mener des études scientifiques approfondies dans divers domaines, tels que la géophysique, la météorologie, l’océanographie et la glaciologie. Des relevés topographiques ont également été effectués pour mieux comprendre la géographie de la région.

Quoi qu’il en soit, les Etats-Unis firent une véritable démonstration de force en opérant dans un tel cadre, envoyant un message fort au monde : nous sommes les premiers à demeurer militairement aussi longtemps sur ce continent méconnu. La suite l’est bien plus : après la course américaine au pôle Sud, la course à l’espace s’annonçait.

Les difficultés d’un déploiement militaire en Antarctique.

Les défis rencontrés par l’armée américaine lors de l’opération Highjump étaient multiples et complexes, en raison des conditions hostiles de l’environnement antarctique et de la logistique exigeante de l’expédition. Les conditions climatiques extrêmes de l’Antarctique, caractérisées par des températures glaciales, des vents violents et des tempêtes fréquentes, rendaient les opérations de vol, de navigation et de débarquement extrêmement périlleuses. La complexité logistique de l’opération Highjump, exigeait une gestion minutieuse du ravitaillement, de la maintenance et de la coordination à distance dans un environnement aussi impitoyable.

L’Antarctique était à l’époque une région largement inexplorée, avec des cartes et des relevés topographiques limités, ce qui compliquait davantage la navigation et l’exploration. Les conditions géographiques comme le terrain accidenté, les côtes glacées et les barrières de glace imposantes, rendaient également les débarquements et les déplacements terrestres difficiles. La résistance et la durabilité des équipements et des infrastructures étaient mises à rude épreuve par les conditions extrêmes de l’Antarctique, nécessitant une maintenance constante.

L’isolement et l’éloignement de l’Antarctique ajoutaient une dimension supplémentaire de complexité. L’équipe de l’opération Highjump se trouvait loin de tout soutien extérieur, rendant les secours en cas d’urgence difficiles et augmentant le risque d’isolement en cas de problème. Les communications avec le reste du monde étaient également entravées par la distance et les conditions météorologiques, entraînant des retards et des problèmes de coordination. La combinaison de ces facteurs coûta la vie de quatre hommes – trois dans un crash d’hydravion, et un, à la suite d’un accident maritime – et en blessa plusieurs autres, dont les engelures et autres blessures liées au froid étaient répandues.

Crash de l'hydravion George I durant l'opération Highjump - US Navy | Public domain
Crash de l’hydravion George I durant l’opération Highjump – US Navy | Domaine public.

L’impact de l’opération Highjump sur l’histoire, la science, et la culture populaire.

Malgré son caractère officiel de mission scientifique, des spéculations ont persisté sur d’éventuelles missions militaires secrètes dissimulées derrière l’expédition. Certains historiens ont avancé l’hypothèse que les États-Unis cherchaient à localiser des bases secrètes allemandes ou japonaises en Antarctique, susceptibles d’avoir survécu à la fin de la Seconde Guerre mondiale. D’autres théories ont évoqué la possibilité que l’opération Highjump visait à établir des sites de lancement de fusées ou de missiles en prévision de la guerre froide naissante. Certains témoins de l’opération ont alimenté des rumeurs sur des événements paranormaux survenus lors de l’expédition. Cette période est marquée par de nombreux flous sur les agissements des États-Unis, évoquons également le cas de Pont-Saint-Esprit en France…

Des récits mystérieux de rencontres avec des objets volants non identifiés et des phénomènes inexpliqués ont émergé, suscitant l’intérêt du public et alimentant les théories du complot. Ces histoires ont fait l’objet de débats et de controverses, certains suggérant que l’opération Highjump aurait découvert des secrets cachés sur la présence d’extraterrestres en Antarctique.

Bien que ces événements paranormaux n’aient jamais été confirmés ou vérifiés par des sources officielles, ils ont ajouté une dimension mystérieuse et fascinante à l’histoire de l’opération Highjump, contribuant à sa légende et à son impact sur la culture populaire. Ces récits de rencontres étranges et inexplicables ont perduré au fil des ans, ajoutant une touche d’énigme à cette expédition historique dans les mémoires des générations suivantes. Pour seul exemple, le film de John Carpenter The Thing (1982). Celui-ci fait état de la découverte par les membres d’une station scientifique en Antarctique d’une espèce non identifiée piégée dans la glace. Ce film est sans doute l’un des plus connus à mettre en avant cet imaginaire de l’Antarctique.

Cependant, en dépit de ces spéculations, l’opération Highjump a été considérée comme un succès scientifique, fournissant des données et des connaissances précieuses sur l’Antarctique. Cette expédition audacieuse a suscité une fierté nationale parmi les Américains, mettant en valeur la puissance militaire et scientifique des États-Unis. Les missions scientifiques de l’opération ont également suscité un nouvel intérêt pour les sciences et la recherche dans cette région inexplorée. Cette influence s’est répercutée dans la culture populaire américaine, avec la production de livres, de films et de documentaires qui ont raconté l’histoire captivante de l’expédition.

Sur la scène internationale, l’opération Highjump a eu un impact géopolitique en alimentant les tensions entre les grandes puissances. La présence d’une expédition militaire d’envergure dans l’Antarctique a suscité des inquiétudes, notamment en URSS, accentuant les suspicions et les interrogations sur les véritables intentions de cette mission. En même temps, cette expédition a renforcé l’image des États-Unis en tant que leader mondial prêt à s’engager dans des missions ambitieuses et à affirmer son leadership sur la scène internationale. Cette expédition a ouvert la voie à d’autres missions internationales dans la région, encourageant la recherche scientifique et favorisant la coopération internationale en Antarctique.

En somme, l’opération Highjump a laissé un héritage durable, combinant fierté nationale, intérêt scientifique et enjeux géopolitiques. Elle a contribué à façonner la perception de l’Antarctique dans l’imaginaire collectif, et elle continue de fasciner. Véritable reflet de la quête d’hégémonie des États-Unis dans cette région polaire méconnue, cet épisode historique demeure un témoignage de l’audace et de la détermination de l’homme à explorer les contrées les plus reculées de la planète pour en connaitre ses secrets, même si les dérives ne sont jamais très lointaines.

Quelques liens et sources utiles

Carpenter John, The Thing, 1982.

Dull Orville O., The Secret Land, 1948.

Rose Lisle A., Assault on eternity: Richard E. Byrd and the exploration of Antarctica, 1946-47, 1980.

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