La République de Turquie a célébré, le dimanche 29 octobre 2023, son centième anniversaire. Néanmoins, en raison de l’escalade du conflit israélo-palestinien, un grand nombre de festivités ont été annulées. Un anniversaire en toute discrétion qui soulève des questions et des divisions inconfortables au sein de la société.
Après la mort du célèbre Atatürk il y a 80 ans, Erdogan est accusé aujourd’hui par ses détracteurs de vouloir effacer l’histoire. Le président de la République de Turquie a ainsi contesté la nature des débats.
Une République Turque née des cendres de l’Empire ottoman
En 1918, avec une armée épuisée, sous-approvisionnée et affligée de maladies, l’Empire ottoman est ébranlé. Il ne peut faire face à la domination coloniale et aux ambitions impérialistes des puissances européennes et russes.
De plus, il est secoué par les États nationalistes qui s’éveillent et expriment leur désir d’indépendance. Ainsi, au cœur des minorités chrétiennes de la péninsule balkanique, mais aussi des États arabes, kurdes, albanais et arméniens, la révolte gronde. C’est dans un climat d’instabilité croissante et de multiplication des conflits que le traité de Sèvres est signé le 10 août 1920, marquant la fin de l’emprise ottomane.
Les pays arabophones sont alors détachés de la domination ottomane et deviennent théoriquement indépendants. L’Empire ottoman se voit ainsi amputé d’une grande partie de son territoire et sa souveraineté est fortement limitée. En déclin, il se transforme donc, au lendemain de la Première Guerre mondiale, en la République de Turquie.
C’est ainsi qu’après la Grande Guerre, un État démocratique voit le jour. Il émerge des décombres d’un des empires les plus prospères et puissants de l’histoire. Cette nation est le fruit de la volonté d’un homme : Mustafa Kemal Atatürk.
En tant que père fondateur d’une république parlementaire, il s’efforce de construire un État moderne affranchi de toute tutelle étrangère. La Turquie, créée sous l’impulsion d’Atatürk, reste à ce jour un pays musulman qui a réussi à se moderniser et à s’industrialiser grâce aux réformes révolutionnaires du kémalisme. Cependant, dans ce pays, l’histoire et les bouleversements géopolitiques ont constamment suscité des questions sur l’identité nationale et la quête de puissance.
Le Père fondateur d’une démocratie turque
Il y a un siècle, Mustafa Kemal Atatürk a dirigé le mouvement nationaliste et a résisté, stoppant ainsi l’avancée des Alliés sur le territoire. Après le traité de Sèvres, la montée du nationalisme s’est intensifiée, et Atatürk a mobilisé le peuple pour résoudre le conflit gréco-turc.
Refusant le démembrement de son pays, il a mené la guerre d’indépendance, reprenant la partie colonisée par les Grecs avec l’armée nationaliste. Cet homme proche du peuple a conçu un projet ambitieux pour un État laïc, s’éloignant de la domination de l’islam. Avec ses yeux bleus et sa grandeur physique et intellectuelle, il est resté une icône. Il a été un général sans égal et un législateur inspiré. Alors que l’Empire ottoman s’effondrait et que des décennies de guerre avaient appauvri le pays, Atatürk a réformé la Turquie en faisant une nation moderne, en plaçant l’indépendance turque au cœur de sa mission. Il a mis en place des politiques progressistes kémalistes.
Favorisant des doctrines économiques et sociales, il s’est engagé à élever la nation. Ainsi, il a fait construire au cœur de l’Orient une démocratie chère au cœur de nombreux Turcs. Il a également restauré l’honneur et la fierté du peuple, guérissant les blessures infligées par des siècles d’histoire. En tant que nouveau président, il a su regarder vers l’avenir et établir un gouvernement séculier. Cependant, des tensions ont émergé entre les fervents défenseurs de la nation et les partisans d’une influence religieuse, créant ainsi des conflits.
Erdogan et l’héritage d’Atatürk
Dimanche 29 octobre 2023, Erdogan a déposé une couronne de fleurs au mausolée de Mustafa Kemal Atatürk, le vénéré père fondateur de la Turquie. Dans son discours à Ankara, il s’est dit optimiste quant à l’avenir de la Turquie et a déclaré :
« Nous sommes déterminés à couronner le deuxième siècle de la République qui sera le siècle de la Turquie. Notre pays est entre de bonnes mains. Vous pouvez reposer en paix et nous tenons à vous féliciter à l’occasion du centenaire de la République. »
— Recep Tayyip Erdogan, Président Turc
Cet événement exceptionnellement rare, qui ne se produit qu’une seule fois par siècle, a été restreint en raison de la situation alarmante à Gaza. Erdogan, bien qu’ayant un parcours et une vision diamétralement opposés à son prédécesseur Atatürk, rêve de devenir un puissant unificateur de la nation.
Il forge ainsi une société avec une identité à la fois musulmane et éthiquement turque. Atatürk et Erdogan ont tous deux aspiré à une République de Turquie fondée sur le nationalisme et l’impérialisme. Le souvenir de l’Empire ottoman demeure présent dans la conscience du pouvoir, bien que l’islam soit un vecteur d’engagement pour l’un et de désengagement pour l’autre.
« Apporter à notre pays une nouvelle Constitution, le produit de la volonté nationale, est l’un des premiers objectifs de notre vision du Siècle de la Türkiye », a-t-il affirmé.
Ainsi, Erdogan, qui préside depuis 20 ans, a instauré une vision politique opposée à celle d’Atatürk. Cependant, il continue de promouvoir l’idée de construire une puissance autonome, basée sur les fondements de l’islam.
Erdogan souhaite laisser sa marque dans l’histoire de la Turquie et faire de son pays une puissance influente dans le monde. Avec une nouvelle constitution, il aspire à marquer l’entrée de la République de Turquie dans son deuxième siècle et à consolider l’héritage d’Atatürk.
Quelques liens et sources utiles
« Mustafa Kemal, l’homme qui fit naître la nation turque », GEO, 2019
« LE SIÈCLE DE LA TURQUIE. RETOUR SUR UN SIÈCLE D’HISTOIRE RÉPUBLICAINE DE LA TURQUIE ENTRETIEN AVEC BAYRAM BALCI ET NICOLAS MONCEAU » SciencesPo, 2023