Les Graciés de l'Histoire de Marlène Sándor, un livre à découvrir !

Angélique du Coudray, l’enseignement de l’obstétrique en France

Les XVIe et XVIIe siècle sont marqués par un développement important des théories obstétriques mais un manque dans l'enseignement.
La naissance de la Vierge - Giulio Romano | Domaine public
La naissance de la Vierge – Giulio Romano | Domaine public

Les XVIe et XVIIe siècle sont marqués par un développement important des théories obstétriques, comme le montre l’ouvrage de Justine Siegemund. Malgré cette érudition, la pratique est peu adaptée et reflète un manque de connaissances et de formation des matrones, qui sont les principales accoucheuses.

Angélique du Coudray (1712-1794), fait partie de celles qui prennent conscience de ce manque d’enseignement et qui tentent de pallier les différents problèmes.

Angélique du Coudray, la volonté de développer un enseignement pour toutes

Après avoir été formée auprès d’Anne Bairsin, jurée sage-femme, et avoir obtenue ses grades en 1739, Angélique Marguerite Le Boursier du Coudray devient sage-femme à Paris.

L’instruction des sages-femmes, une nécessité

En 1754, elle décide de partir de la capitale pour aller enseigner en Auvergne le métier de sage-femme et pour aider à accoucher des pauvres femmes. À travers ses discussions avec les femmes qu’elle aide, elle remarque les nombreuses conséquences du manque de formation, avec les infirmités développées après des accouchements mal réalisés.

Elle observe par ailleurs que de nombreuses négligences touchent les enfants, et cela, à cause du manque de savoir, de l’utilisation de nombreux objets du quotidien et du délaissement des enfants par les matrones, une fois l’accouchement terminé. Elle prend également conscience que les sages-femmes en campagnes n’ont reçu qu’une formation minimale, souvent par l’oral, et qu’elles ont obtenu ce rôle par leur position de femmes de confiance au sein de la paroisse.

Madame du Coudray souhaite trouver des solutions, passant par l’instruction de ces matrones. Elle tente d’appliquer la pédagogie reçue à Port-Royal, mais elle perçoit rapidement la nécessité d’apporter une mise à jour de la formation.

Angélique du Coudray, une expérience du métier reconnue

En parallèle, la France est marquée par un déclin démographique que le roi Louis XV souhaite compenser afin d’augmenter sa capacité militaire. Pour solutionner ce problème, le roi décide de faire appel à Madame du Coudray. Elle est ainsi chargée d’enseigner dans toute la France la pratique des sages-femmes pour réduire la mortalité infantile et les morts prénatales.

Pour ce faire, elle obtient de nombreux privilèges reconnaissant son expérience et lui permettant d’agir grâce aux divers soutiens qu’elle valorise.

Ses échanges avec le contrôleur général des finances et son protecteur Bernard de Ballainvilliers lui permettent de porter son projet jusqu’au roi.

Portrait d’Angélique Marguerite Le Boursier du Coudray– Villain, Lecler | Domaine public
Portrait d’Angélique Marguerite Le Boursier du Coudray– Villain, Lecler | Domaine public

Ainsi, elle obtient de la royauté l’autorisation exclusive d’imprimer son ouvrage Abrégé. De plus, en 1759, Louis XV lui accord un premier brevet lui reconnaissant ses compétences et lui permettant de dispenser légalement ses enseignements.

La pédagogie d’Angélique du Coudray se révèle être une réussite et elle reçoit, en 1762, un second brevet qui ajoute l’autorisation de tenir des cours publics, et renouvelle sa protection avec la gratification de « maîtresse sage-femme » et la pension de 8 000 livres par an qui lui est accordée.

Au-delà du roi, elle obtient un soutien de l’Église qui se révèle utile pour son entreprise. Elle aborde elle-même la nécessité de l’ondoiement et du baptême, ce qui pousse les curés à agir en sa faveur, et l’aide à recevoir un bon accueil en campagne.

Un enseignement dans toute la France

Avec ses brevets, Madame du Coudray peut réaliser son objectif : former les sages-femmes en campagnes, et principalement celles des provinces les plus défavorisées.

Dans les années 1760, des revendications se font entendre pour qu’elle dispense ces enseignements au-delà des villes, qui ont plus de moyens pour accueillir les cours, afin de permettre aux sages-femmes de rester dans leur campagne pour des raisons pratiques.

Elle met donc en place un tour de France traversant toutes les provinces dans lesquelles elle dispense des cours sur plusieurs mois. À partir de 1759, elle passe dans les provinces du centre du royaume qu’elle parcourt en dix ans.

Elle intervient ensuite dans les années 1770 en Aquitaine, dans le Dauphine, la Flandre, l’Anjou, le Maine, la Bretagne, la Normandie et la Touraine et finit ses différentes étapes dans les années 1780.

Une renouveau des techniques d’enseignement

Pour toucher un public plus large et pour permettre aux sages-femmes d’avoir accès à un enseignement permanent, Angélique du Coudray, rédigé en 1759 le manuel Abrégé de l’art des accouchements, une transposition de ses cours.

L’Abrégé, un manuel pédagogie

Une nouvelle version voit le jour, les modifications s’appuyant sur les commentaires et le manque de compréhension de ses élèves. Composé de 38 chapitres cours, son ouvrage relate les différentes étapes de l’accouchement.

Elle aborde dans un premier temps les qualités requises pour être une bonne sage-femme. Par la suite, elle décrit avec le plus de précisions possibles l’anatomie de la femme, considérant que la connaissance du corps est primordiale pour une pratique correcte. Elle explique les différents procédés gynécologiques qui permettent d’analyser la situation d’une grossesse, puis explique ce qu’elle appelle les cinq phases de l’accouchement : situation naturelle du fœtus dans la matrice, préparation de l’accouchement, l’accouchement naturelle, la ligature du cordon, la manière de délivrer la femme.

Ce qui est particulier dans son manuel, est l’importance accordée aux soins et aux notions d’hygiènes comme le nettoyage de l’enfant. Elle prend le temps de détailler chaque geste de la procédure pour guider les sages-femmes dans leur pratique. Elle développe enfin les techniques pédagogiques à maîtriser lors des accouchements à risques, en travaillant sur les différentes positions de l’enfant dans le ventre.

Son Abrégé est enfin agrémenté de planches de gravure représentant des bassins de femmes et des nourrissons pour appuyer ses propos dès la seconde édition.  Elle souhaite ainsi à travers son ouvrage enseigner à des milliers de femmes, et ce dans toute la France.

La « Machine », un outil pour l’enseignement pratique

Madame du Coudray va plus loin que la rédaction d’un ouvrage. Pour rendre ses cours plus concrets et permettre l’étude de cas pratiques, elle utilise un mannequin obstétrique appelé la « Machine ».

Planche représentant l’appareil génital féminin avec un fœtus assis dans la matrice – J. Robert | Domaine public
Planche représentant l’appareil génital féminin avec un fœtus assis dans la matrice – J. Robert | Domaine public

Cette invention est soumise en 1756 à l’approbation de l’Académie des Chirurgies, afin de montrer son utilité dans les démonstrations des accouchements, et est reconnue en 1758.

L’idée d’utiliser un mannequin dans l’enseignement des sages-femmes n’est pas nouvelle ; la première mention d’une de ces machines est attestée dans le manuel de Johan Van Hoorn.

Toutefois, ce qui change avec la machine d’Angélique du Coudray est son réalisme et sa maniabilité.

Le mannequin reprend en taille réelle l’anatomie d’une femme, dont les veines sont représentées par des fils de couleurs.

De plus, ce mannequin est accompagné de divers accessoires qui permettent l’étude de nombreux cas. Plusieurs sets de mannequins de fœtus sont inclus avec un nouveau-né, un fœtus de sept mois, mais également des jumeaux. Cette « Machine » est conçu avec une grande précision et peut ainsi être utilisée dans plusieurs cas pratiques.

Sa légitimité d’enseigner mise en cause

Toutefois, malgré la reconnaissance de Madame du Coudray et les améliorations qu’elle a apportées, elle reçoit de nombreuses critiques de ses détracteurs. Elle se voit confronter tout d’abord à l’opposition des sages-femmes plus âgées, inéduquées qui ne sont pas sensibles au changement d’approche.

Les fondations scientifiques et médicales, exclusivement masculines, n’acceptent pas l’idée qu’une femme peut pratiquer convenablement la science, et en dépit de sa nature féminine comme le dit Rousseau. Elle se heurte aussi aux critiques expliquant qu’elle sort de son rôle de femme : elle est fière de sa réussite, faisant d’elle une femme orgueilleuse et tire profit de ses cours avec une rémunération alors qu’elle dit vouloir aider les sages-femmes.

Parmi ses opposants, Alphonse Leroy, professeur de gynécologie, la dénigre en disant qu’elle n’enseigne qu’avec des poupées. Pour tenter d’aller à l’encontre de ces critiques, elle prend les devants dans son ouvrage avec deux avant-textes. Elle dédicace son livre à son protecteur, montrant ainsi qu’elle n’agit pas seule. Elle s’excuse aussi d’écrire, justifiant ce besoin par le fait qu’elle s’adresse aux femmes, elle s’auto-dénigre avec un capatio benevolentia pour rappeler la primauté masculine.

Planche représentant les temps de l’accouchement - Auteur inconnu | Domaine public
Planche représentant les temps de l’accouchement – Auteur inconnu | Domaine public

Angélique du Coudray voit son enseignement devenir plus compliqué après la Révolution française ; l’administration s’effondre et l’instruction des sages-femmes est reléguée au second plan alors que Mme de Coudray est privée en parallèle de son brevet.

Elle se distingue tout de même dans sa modernisation de la pédagogie et de l’enseignement de l’obstétrique. Elle met en avant une approche pratique de l’apprentissage de l’accouchement en donnant aux sages-femmes de nombreux documents et accessoires sur lesquels s’appuyer, et permet ainsi le début d’une amélioration des pratiques.

Quelques sources et liens utiles

Abramovici Jean-Christophe, « Mme du Coudray, sage-femme des sciences ? », in Femmes de science. Quatre siècles de conquêtes, entre langue et littérature, 2022,

Le Lous Maela et alii, « Madame Angélique du Coudray: Pioneer of medical simulation and unsung hero », Journal of Gynecology Obstetrics and Human Reproduction, vol. 52, 2022, p. 102529,

« Angélique du Coudray, première sage-femme enseignante : épisode • 2/4 du podcast Un destin pour le soin : quatre figures de l’histoire du soin et de la médecine », France Culture

Rejoignez
la Newsletter Revue Histoire !

Sujets exclusifs, récapitulatifs, coups de cœur et vidéos à retrouver une à deux fois par mois.

Articles populaires

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Rejoignez notre Newsletter !

Sujets exclusifs, récapitulatifs, coups de cœur et vidéos à retrouver une à deux fois par mois.