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L’appel à la première croisade selon Robert le Moine

Robert le Moine est un chroniqueur du XIIe siècle. Il n'a pas participé à la première croisade, mais a influencé sa postérité.
Le pape Urbain II prêchant la première croisade sur la place de Clermont, tableau (1835) - Francesco Hayez | Domaine public
Le pape Urbain II prêchant la première croisade sur la place de Clermont, tableau (1835) – Francesco Hayez | Domaine public

Nous vous évoquions dans un article précédent le déclenchement de la première croisade. Les troupes chrétiennes se sont formées pour libérer la Terre sainte, la ville de Jérusalem et réinstaurer le pèlerinage. Dans cet article, nous allons vous présenter une source médiévale, de Robert le Moine, un contemporain de la première Croisade.

L’extrait qui suit évoque l’Appel de Clermont prononcé le 27 novembre 1095 par le pape Urbain II, le lendemain du concile de Clermont. Cet appel signe le déclenchement de la croisade.

Cette source est essentielle, car le discours du pape n’a pas été retranscrit, notamment dans la source Gesta Francorum et aliorum Hierosolimitanorum. Néanmoins, Robert le Moine n’est pas le seul à en donner une version, Geoffroi de Vendôme, Baudri de Bourgueil, et Foucher de Chartres racontent également l’événement, après coup, au début du XIIe siècle.

Le déclenchement des croisades par l’autorité religieuse

Nous ne reviendrons pas sur l’ensemble des éléments qui ont conduit au déclenchement de la première Croisade, notre précédent article retrace la majorité des éléments à connaître. Nous souhaitons dans cet article montrer l’importance de l’Église dans la mise en route de la croisade.

L’Appel de Clermont selon Robert le Moine

Hommes français, hommes d’au-delà des montagnes, nations, ainsi qu’on le voit briller dans vos oeuvres, choisies et chéries de Dieu, et séparées des autres peuples de l’univers, tant par la situation de votre territoire que par la foi catholique et l’honneur que vous rendez à la sainte Église, c’est à vous que nous adressons nos paroles, c’est vers vous que se dirigent nos exhortations : nous voulons vous faire connaître quelle cause douloureuse nous a amené dans vos pays, comment nous y avons été attiré par vos besoins et ceux de tous les fidèles. Des confins de Jérusalem et de la ville de Constantinople nous sont parvenus de tristes récits : souvent déjà nos oreilles en avaient été frappées; des peuples du royaume des Persans, nation maudite, nation entièrement étrangère à Dieu, race qui n’a point confié son esprit au Seigneur, a envahi en ces contrées les terres des chrétiens, les a dévastées par le fer, le pillage, l’incendie, a emmené une partie d’entre eux captifs dans son pays, en a mis d’autres misérablement à mort, a renversé de fond en comble les églises de Dieu, ou les a fait servir aux cérémonies de son culte; ces hommes renversent les autels après les avoir souillés de leurs impuretés; ils circoncisent les chrétiens, et font couler le sang des circoncis ou sur les autels, ou dans les vases baptismaux; ceux qu’ils veulent faire périr d’une mort honteuse, ils leur percent le nombril, en font sortir l’extrémité des intestins, la lient à un pieu; puis, à coups de fouet, les obligent de courir autour jusqu’à ce que, leurs entrailles sortant de leur corps, ils tombent à terre, privés de vie. D’autres attachés à un poteau, sont percés de flèches; à quelques autres, ils font tendre le cou, et, se jetant sur eux, le glaive à la main, s’exercent à le trancher d’un seul coup. Que dirai-je de l’abominable pollution des femmes? il serait plus fâcheux d’en parler que de s’en taire. Ils ont démembré l’empire grec, et en ont soumis à leur domination un espace qu’on ne pourrait traverser en deux mois de voyage. À qui donc appartient-il de les punir et de leur arracher ce qu’ils ont envahi, si ce n’est à vous, à qui le Seigneur a accordé par-dessus toutes les autres nations l’insigne gloire des armes, la grandeur de l’âme, l’agilité du corps et la force d’abaisser la tête de ceux qui vous résistent?

Que vos coeurs s’émeuvent et que vos âmes s’excitent au courage par les faits de vos ancêtres, la vertu et la grandeur du roi Charlemagne et de son fils Louis, et de vos autres rois, qui ont détruit la domination des Turcs et étendu dans leur pays l’empire de la sainte Église. Soyez touchés surtout en faveur du saint sépulcre de Jésus-Christ, notre sauveur, possédé par des peuples immondes, et des saints lieux qu’ils déshonorent et souillent avec irrévérence de leurs impuretés. O très courageux chevaliers, postérité sortie de pères invincibles, ne dégénérez point, mais rappelez-vous les vertus de vos ancêtres; que si vous vous sentez retenus par le cher amour de vos enfants, de vos parents, de vos femmes, remettez-vous en mémoire ce que dit le Seigneur dans son Évangile :  » Qui aime son père et sa mère plus que moi, n’est pas digne de moi. Quiconque abandonnera pour mon nom sa maison, ou ses frères, ou ses soeurs, ou son père, ou sa mère, sa femme, ou ses enfants, ou ses terres, en recevra le centuple, et aura pour héritage la vie éternelle. » Ne vous laissez retenir par aucun souci pour vos propriétés et les affaires de votre famille, car cette terre que vous habitez, renfermée entre les eaux de la mer et les hauteurs des montagnes, tient à l’étroit votre nombreuse population; elle n’abonde pas en richesses, et fournit à peine à la nourriture de ceux qui la cultivent : de là vient que vous vous déchirez et dévorez à l’envi, que vous élevez des guerres , et que plusieurs périssent par de mutuelles blessures. Éteignez donc entre vous toute haine, que les querelles se taisent, que les guerres s’apaisent, et que toute l’aigreur de vos dissensions s’assoupisse. Prenez la route du saint sépulcre, arrachez ce pays des mains de ces peuples abominables, et soumettez-le à votre puissance. Dieu a donné à Israël en propriété cette terre dont l’Écriture dit  » qu’il y coule du lait et du miel « .

Jérusalem en est le centre, son territoire, fertile par-dessus tous les autres, offre pour ainsi dire les délices d’un autre paradis : le Rédempteur du genre humain l’a illustré par sa venue, honoré de sa résidence, consacré par sa Passion, racheté par sa mort, signalé par sa sépulture. Cette cité royale, située au milieu du monde, maintenant tenue captive par ses ennemis, est réduite en la servitude de nations ignorantes de la loi de Dieu; elle vous demande donc et souhaite sa délivrance, et ne cesse de vous implorer pour que vous veniez à son secours. C’est de vous surtout qu’elle attend de l’aide, parce qu’ainsi que nous vous l’avons dit Dieu vous a accordé, par-dessus toutes les nations, l’insigne gloire des armes : prenez donc cette route, en rémission de vos péchés, et partez assurés de la gloire impérissable qui vous attend dans le royaume des cieux.

La première croisade- L'appel de l'Orient

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La première expédition organisée par les Chrétiens pour délivrer les lieux saints de l’occupation musulmane est l’un des épisodes les plus connu de l’histoire du XIe siècle. Pourtant, Peter Frankopan nous offre un panorama largement renouvelé des raisons qui y ont mené et du déroulement des opérations.

En choisissant simplement de placer son enquête dans la capitale impériale, carrefour de l’Orient et de l’Occident : Constantiople.

Le pape Urbain ayant prononcé ce discours plein d’urbanité et plusieurs autres du même genre, unit en un même sentiment tous ceux qui se trouvaient présents, tellement qu’ils s’écrièrent tous : Dieu le veut! Dieu le veut! [ndlr : le célèbre Deus Vult en latin] Ce qu’ayant entendu le vénérable pontife de Rome, il rendit grâces à Dieu, les yeux élevés au ciel, et, de la main demandant le silence, dit :  » Très chers frères, aujourd’hui se manifeste en vous ce que le Seigneur a dit dans son Évangile : Lorsque deux ou trois seront assemblés en mon nom, je serai au milieu d’eux. Car si le Seigneur Dieu n’eût point été dans vos âmes, vous n’eussiez pas tous prononcé une même parole : et en effet, quoique cette parole soit partie d’un grand nombre de bouches, elle n’a eu qu’un même principe; c’est pourquoi je dis que Dieu même l’a prononcée par vous, car c’est lui qui l’avait mise dans votre sein. Qu’elle soit donc dans les combats votre cri de guerre, car cette parole est issue de Dieu : lorsque vous vous élancerez avec une belliqueuse impétuosité contre vos ennemis, que dans l’armée du Seigneur se fasse entendre généralement ce seul cri : Dieu le veut! Dieu le veut! Nous n’ordonnons ni ne conseillons ce voyage ni aux vieillards, ni aux faibles, ni à ceux qui ne sont pas propres aux armes; que cette route ne soit point prise par les femmes sans leurs maris ou sans leurs frères, ou sans leurs garants légitimes, car de telles personnes sont un embarras plutôt qu’un secours, et deviennent plus à charge qu’utiles. Que les riches aident les pauvres, et emmènent avec eux, à leurs frais, des hommes propres à la guerre; il n’est permis ni aux prêtres ni aux clercs, quel que puisse être leur ordre, de partir sans le congé de leur évêque, car s’ils y allaient sans ce congé, le voyage leur serait inutile; aucun laïc ne devra sagement se mettre en route, si ce n’est avec la bénédiction de son pasteur; quiconque aura donc volonté d’entreprendre ce saint pèlerinage, en prendra l’engagement envers Dieu, et se dévouera en sacrifice comme une hostie vivante, sainte et agréable à Dieu; qu’il porte le signe de la croix du Seigneur sur son front ou sur sa poitrine; que celui qui, en accomplissement de son voeu, voudra se mettre en marche, la place derrière lui entre ses épaules; il accomplira par cette double action le précepte du Seigneur, qui a enseigné dans son Évangile:  » Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n’est pas digne de moi. « .

Cet extrait provient de la traduction de René de La Croix de Castries dans La conquête de la Terre sainte par les croisés, ouvrage publié à Paris en 1973 par l’éditeur Albin Michel.

La version de Robert le Moine du discours du pape Urbain II au Concile de Clermont met en avant la conviction que Dieu a choisi les Français pour accomplir son dessein de délivrer Jérusalem des Turcs. Tout au long de son récit, l’auteur glorifie les Français et insiste sur les cruautés et les outrages subis par les chrétiens orientaux et leurs églises. Un point significatif est également mentionné : l’étroitesse des terres, le problème de surpopulation qui engendre des guerres intestines entre eux. De plus, Robert le Moine évoque la fertilité de la Palestine et exhorte les Français à soumettre le pays et à délivrer la ville sainte. Il précise cependant que le voyage est conseillé pour des combattants seulement, des hommes aptes au combat, car la papauté ne veut pas d’une armée de pèlerins non armés. Robert le Moine donne également l’origine du fameux cri de guerre « Dieu le veut » et du port de la croix sur le vêtement.

Qui est Robert le Moine ?

Robert le Moine est un chroniqueur du XIIe siècle. Bien qu’il n’ait pas participé directement à la première croisade, il a eu une influence significative en réécrivant les Gesta Francorum et aliorum Hierosolimitanorum, à la demande de son abbé, qui était choqué par le style « rustique » de la chronique originale.

Sa chronique est une source importante pour l’histoire de la première croisade, car elle contient un compte-rendu détaillé du discours prononcé par le pape Urbain II lors du Concile de Clermont. Bien que le récit de Robert le Moine puisse donner l’impression qu’il était présent lors du discours, il convient de noter que sa chronique n’a été rédigée qu’en 1120, soit 25 ans après le concile. Néanmoins, grâce à sa connaissance approfondie de l’événement, la chronique de Robert le Moine est une source précieuse pour les historiens de la croisade.

Les grands thèmes du discours

Le texte de Robert le Moine met l’accent sur plusieurs éléments. Ils ont pour intérêts de justifier l’intervention chrétienne en Terre sainte, mais aussi de galvaniser les chevaliers et les croisés. Ainsi la question de la souffrance des chrétiens d’Orient est rapidement évoquée et ce depuis la conquête de Jérusalem par les musulmans en 638.

Malgré tout, les pèlerins chrétiens ont été autorisés à accéder à la ville. Cependant, la destruction du Saint-Sépulcre par le calife fatimide Al-Hakim bi-Amr Allah en 1009 suscite des inquiétudes quant à la sécurité des chrétiens d’Orient. Bien que cet événement ait été rapidement résolu par la reconstruction de l’édifice par les artisans byzantins, il sert de détonateur pour la communauté chrétienne d’Orient.

En parallèle, la montée en puissance des Turcs Seldjoukides commence à inquiéter fortement les autorités chrétiennes. Les Turcs ont vaincu les Byzantins en 1071 à Manzikert et ont pris le contrôle de Jérusalem en 1078, massacrant tous les habitants. Le monde chrétien considère que le pèlerinage vers Jérusalem est en danger.

La croyance de l’imminence de l’apocalypse a conduit certains chrétiens à prendre les armes pour défendre leur foi et leur Terre sainte. Cette vision apocalyptique a également contribué à l’idée de la nécessité de sauver le monde chrétien de l’oppression des musulmans, considérés comme des ennemis de la foi chrétienne.

La promesse d’indulgence plénière pour les combattants a été utilisée pour encourager les chrétiens à partir en croisade. Cette indulgence, qui offrait la rémission complète de leurs péchés et une place assurée au paradis, a été utilisée par l’Église pour mobiliser les combattants. Cette promesse a également renforcé l’idée que la défense de la foi chrétienne était une cause noble et justifiée, qui méritait le sacrifice et le sang des combattants chrétiens.

Quelques liens et sources utiles

René de La Croix de Castries, La conquête de la Terre sainte par les croisés, Paris, Albin Michel, 1973

Recueil des historiens des croisades écrit pendant les Croisades et édité à Paris par l’Académie des inscriptions et belles-lettres de 1841 à 1906.

Jonathan Riley-Smith, Les croisades : idéologie, propagande et réalité, Presses universitaires de France, 1997

Jean Leclercq, La première croisade, Éditions du Cerf, 1957

Jacques Heers, La première croisade, Tempus Perrin, 2002

Peter Frankopan, La première croisade, Tempus Perrin, 2021

Max Gallo, Dieu le veut (Hors collection), XO, 2015

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