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L’Académie des Jeux Floraux, 700 ans d’histoire

Définie comme la plus ancienne société littéraire d'Europe, l'Académie des Jeux Floraux fêtait en 2023 ses 700 ans.
Photographie de l'Hôtel d'Assézat à Toulouse, où siège l'Académie - Didier Descouens | Domaine Public.
Photographie de l’Hôtel d’Assézat à Toulouse, où siège l’Académie – Didier Descouens | Domaine Public.

Les Jeux Floraux sont une tradition littéraire ancrée dans l’histoire de Toulouse. Ils remontent à l’époque médiévale, et trouvent leurs origines dans des pratiques bien antérieures, inspirées par les fêtes romaines.

Créés en 1323 sous le nom de Consistori del Gay Saber, ces concours poétiques visaient à promouvoir la langue d’oc et à célébrer la culture régionale. Au fil des siècles, l’institution a évolué, devenant une Académie sous l’impulsion de Louis XIV en 1694, et traversant diverses périodes de crise, notamment lors de la Révolution française.

Aujourd’hui, l’Académie des Jeux Floraux demeure la plus ancienne société littéraire d’Europe, perpétuant une tradition culturelle et académique unique en France.

Les Jeux Floraux, une inspiration antique

Le concept même des Jeux Floraux est bien antérieur à la création de ladite Académie. De nature bien différente, les cérémonies organisées par cette institution restent toutefois inspirées par les fêtes romaines du IIe siècle av. J.-C., dédiées à certaines divinités.

Flore déesse des fleurs est l’une d’elles. Les jeux qui lui sont associés se déroulent alors au cours du printemps et se définissent par des épisodes de chasses, danses et représentations dramatiques. Du reste Flore, déesses des courtisanes également, est évoquée dans les écrits d’Ovide, qui décrit avec précision les rites qui lui sont dédiés. Ce culte, réactivé, doit ainsi être compris comme une des références de l’Académie sans toutefois en constituer sa genèse

Le Consistoire du Gai Savoir

L’institution médiévale naît véritablement à la Toussaint 1323 est prend le nom de Consistori del Gay Saber, ou Consistoire du Gai Savoir. À l’origine de sa création, plusieurs notables décident de se réunir régulièrement dans un verger de la ville.

Leur but : promouvoir les langues, le savoir et la culture et proposer un concours de poésie dont le lauréat sera récompensé par une violette d’or. Leur volonté s’explique aussi par un contexte politique plus large, puisqu’il s’agit de mettre à l’honneur un “régionalisme” fragilisé par la croisade des Albigeois. 

Les intentions des sept notables à l’origine de sa création peuvent être observées dans Les Lois d’Amour ou Leys d’Amors, œuvre publiée en 1356 et rédigée par Guilhem Molinier, avocat et poète occitan, recensant les principes du Consistoire et dont voici un extrait :

Au temps passé, dans la noble et royale cité de Toulouse, sept vaillants, érudits et distingués Seigneurs,- furent très ambitieux et désireux de connaître noble, excellente, admirable et vertueuse dame Science, afin qu’elle leur communiquât le pour voir de bien dicter, de bien écrire en langue romane, et, par là même, de composer des écrits corrects, pleins de sages conseils et de bons préceptes, pour glorifier notre Seigneur Dieu, sa glorieuse Mère et tous, les Saints du Paradis, pour instruire les ignorants et les incapables, pour corriger les dévoyés et les fautifs, pour donner à la vie humaine la joie et l’allégresse (…), pour chasser la colère et la tristesse, ennemies naturelles du Gai-Savoir.

DE GELIS F., Histoire critique des Jeux Floraux, depuis
leur origine jusqu’à leur transformation en Académie
mie (1323-1694). Toulouse, Éd. Privât, .191
2, p. 14.

Floralia, huile sur toile, 1898 - Hobbe Smith | Domaine public
Floralia, huile sur toile, 1898 – Hobbe Smith | Domaine public

Pour mettre en place ce concours, la méthode est la suivante :

Pour lors, ces dits Seigneurs, afin de trouver plus aisément cette vertueuse dame Science, mirent à exécution un projet qui était l’objet de leurs désirs les plus chers et de leurs voeux les plus ardents : ils firent circuler, à travers les différents pays de langue d’oc, une lettre où ils priaient tous les fins poètes et troubadours de se présenter à eux à jour fixe, afin qu’ils pussent, de visu et auditu, apprécier leur savoir, leur subtilité, leur Bon jugement (…).

DE GELIS F., Histoire critique des Jeux Floraux, depuis
leur origine jusqu’à leur transformation en Académie
mie (1323-1694). Toulouse, Éd. Privât, .1912, p. 15.

En 1324, le premier concours débute après réception des épreuves des poètes reçues préalablement. Une peinture présente dans la salle des Illustres du Capitole de Toulouse permet de se représenter les cérémonies.

Le rôle des Capitouls dans la création et le maintien des Jeux

Les capitouls sont également mentionnées dans les Leys d’Amors. Magistrats, les capitouls administrent la ville au Moyen Âge et à l’époque moderne et représentent chaque quartier de la ville, ou capitoulat. Ces derniers permettent d’assurer une forme de pérennité du concours. Leur rôle est notamment notifié dans les Actes et Délibérations du Collège du Gai Savoir en 1581 :

Les Capitouls, après avoir sagement considéré, que des personnes privées ne pouvoient pas si bien establir le fonds nécessaire à la dépense de ces jeux qu’avec le temps, il ne courût fortune de se dissiper… délibererent avec le conseil et le consentement de ces Habitants, qui faisoient sans doute la meilleure partie de la ville, que les frais et la dépense nécessaire à la célébration des Jeux-Floraux, se payeroit du revenu et des émolumens de la Ville.

Actes et Délibérations du Collège du Gai Savoir, Académie des Jeux Floraux, Hôtel d’Assézat, Toulouse, vol. 1. Intervention du capitoul Rudelle, 1581, f° 347v°.

Livre I des annales (1295-1532), chronique 56. Les portraits des capitouls de l'année 1352-1353 - Archives municipales de Toulouse | Creative Commons BY-SA 4.0
Livre I des annales (1295-1532), chronique 56. Les portraits des capitouls de l’année 1352-1353 – Archives municipales de Toulouse | Creative Commons BY-SA 4.0

Les Capitouls pourvoient également aux dépenses lors des banquets organisés pendant les concours. Néanmoins, l’entente entre ces derniers et les mainteneurs se détériore au fil du temps. La littérature et la poésie deviennent en effet des enjeux à la fois politiques et sociaux. Les historiens Pierre Escudé et Isabelle Luciani ont éclairé cette période de troubles :

Sorte d’antichambre du politique, les Jeux Floraux, alors définis sous le nom de Collège de rhétorique depuis le règne de François Ier, font face à une progressive « homogénéisation culturelle » du royaume. En 1513 par exemple, une ballade en français reçoit sa première fleur. La même année, les capitouls entendent élire un mainteneur en remplacement d’un ancien, décédé. Ce à quoi le Collège s’oppose. À cela s’ajoute de nombreuses mésententes sur la légitimité et les compétences réelles du jury dont les capitouls peuvent faire partis.

En 1539, un nouveau désaccord aboutit toutefois à une entente : la procession des fleurs est assurée par un mainteneur et un capitoul. Des années 1560 aux années 1580, nombreuses sont les tentatives des capitouls destinées à renforcer leur mainmise sur les Jeux. Ces entreprises, à peine déguisées, sont du reste légitimées d’un point de vue juridique par les capitouls eux-mêmes. En 1581, le capitoul Rudelle affirme lors d’une délibération que :

Tous les capitouls doivent assister [à cette délibération], comme pareillement à l’élection des officiers desdits Jeux Floraux, parce que ce sont lesdits capitouls qui en sont les vrais administrateurs.

Ibid.

L’ensemble de ces informations peut être retrouvé dans le Livre rouge, seconde source fondamentale pour qui veut comprendre et connaître l’histoire des Jeux. Rédigé entre le XVIe et le XVIIe siècle, son nom lui vient de l’enveloppe rouge et de la reliure de même couleur qui le composent. Dans cet ouvrage, sont présents les procès verbaux des séances. L’ouvrage témoigne des cérémonies « codifiées par l’usage et régularisées par la tradition » selon les mots de François de Gélis.

Certaines règles posent également problème au fil du temps. C’est notamment le cas de la Semonce, étape du lancement des Jeux où les mainteneurs somment les Capitouls d’organiser les Jeux. Comme le note Isabelle Luciani, ces ordres sociaux, répondant au principe d’une mémoire commune, se heurtent aux intérêts plus personnels des mainteneurs et des Capitouls, conduisant ainsi à une pratique qui même codifiée et ancrée dans le temps et l’espace, tend à évoluer.

En somme, le XVIe siècle, période troublée pour les Jeux Floraux, est finalement le témoin d’un conflit entre des pouvoirs publics qui tentent de s’affirmer et une institution littéraire et poétique qui part à la quête de son autonomie.

La bienfaitrice Clémence Isaure

Le XVIe siècle coïncide avec l’apparition et l’utilisation d’un personnage indissociable des Jeux Floraux.

Au milieu du XVe siècle, le testament d’une certaine Dame Clémence sert d’argument pour les capitouls face aux accusations de pilleries et manipulations financières.

Les capitouls déclarent en effet tenir une partie des fonds d’une généreuse donation de Dame Clémence appartenant potentiellement à la famille des Ysalguier, et qui aurait donné de larges fonds à la ville permettant de maintenir les Jeux et pourvoir aux dépenses.

Dame Clémence Isaure, huile sur toile, Collection privée Fred and Sherry Ross - Jules Joseph Lefebvre | Domaine public
Dame Clémence Isaure, huile sur toile, Collection privée Fred and Sherry Ross – Jules Joseph Lefebvre | Domaine public

Ce testament n’a jamais été retrouvé. L’existence même de Dame Clémence est toujours incertaine.

Fait intéressant, ce personnage semi légendaire est ensuite repris par les mainteneurs des Jeux, qui voient en la bienfaitrice un moyen de gagner en indépendance : Utilisant habilement l’argument du fameux leg de Dame Clémence, devenue Dame Clémence Isaure en 1575, les mainteneurs parviennent à ôter toute forme de paternité des Capitouls sur les Jeux.

Encore aujourd’hui, un éloge lui ai proclamé chaque 3 mai, date d’ouverture des Jeux.

Musée du Vieux Toulouse, représentant l'Académie des Jeux floraux, Clémence Isaure distribuant des fleurs aux troubadours - Félix Saurine | Creative Commons BY-SA 4.0
Musée du Vieux Toulouse, représentant l’Académie des Jeux floraux, Clémence Isaure distribuant des fleurs aux troubadours – Félix Saurine | Creative Commons BY-SA 4.0

Le Collège devient Académie

Le XVIIe siècle constitue une étape fondamentale dans l’histoire des Jeux Floraux. La première moitié du siècle coïncide avec une certaine dégression de l’influence du Collège et la compétition naissante avec les Lanternistes.

L’un d’entre eux, Simon de La Loubère, tente néanmoins de faire coïncider les deux institutions et entame avec l’aide de ses nombreuses relations de profondes réformes. Les lettres patentes signées par Louis XIV en 1694 constituent le point d’orgue de la fin du siècle : le Collège devient Académie. Le préambule des lettres et le résumé des 35 articles qui les compose peut être retrouvé dans l’étude de François De Gélis.

De plus, l’Académie des Jeux Floraux fait partie des première académies de province. Enfin, le français devient la seule langue autorisée pour les poèmes retenus au concours.

Et depuis ?

La Révolution française au siècle suivant bouscule l’Académie, mise en sommeil par la dispersion de ses membres. Il faut attendre 1808 pour que renaisse l’institution.

En 1895, l’Union des académies et des sociétés savantes comprenant les Jeux Floraux s’établit à l’Hôtel d’Assézat, grâce au leg de Théodore Ozenne à la ville de Toulouse. Cet hôtel particulier du XVIe siècle est notamment édifié par l’architecte toulousain Nicolas Bachelier pour le compte de Pierre Assézat, riche négociant de pastel. En 1895 également, l’occitan est rétablit au sein du concours.

Ainsi, l’Académie des Jeux Floraux, définie comme la plus vieille société littéraire d’Europe, parvient à traverser les siècles. La création du Consistoire puis du Collège au XIVe et XVIe siècles constituent les premières grandes étapes de son établissement durable. Enfin, le parrainage de Louis XIV finit de dresser le portrait de cette institution, bousculée toutefois par la Révolution française.

Les Jeux Floraux ne se limitent d’ailleurs pas à la seule de ville de Toulouse ni même à la France, en témoignent les concours organisés en Espagne et en Amérique latine. L’on retiendra de cette académie française quelques célèbres membres et lauréats à l’image d’Edmond Rostand, Victor Hugo, le cardinal Jules Saliège ou Léopold Sedar Senghor. Aujourd’hui, s’ajoutent aux concours annuels certaines séances publiques et cycles de conférences. L’hôtel d’Assézat abrite également la fondation Bemberg, musée reconnu de la ville.

Quelques liens et sources utiles

De Gélis François, Histoire critique des jeux floraux depuis leur origine jusqu’à leur transformation en Académie: (1323-1694), Privat, Paris, 1912.

Escudé Pierre, « Conflits poétiques et politiques au sein des Jeux floraux : pour une histoire de l’humanisme dans le premier XVIe siècle toulousain (1513-1562) », Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, Tome 114, N°238, 2002

Luciani Isabelle, « Une institution littéraire de la conflictualité : les Jeux Floraux dans la seconde moitié du xvie siècle »., La violence, édité par Lucien Faggion et Christophe Régina, CNRS Éditions, 2010.

Nous regrettons de ne pas avoir eu accès à l’ouvrage L’Académie des Jeux Floraux : 700 ans de poésie, paru en 2024 sous la direction de Philippe Dazet-Brun, secrétaire perpétuel de l’Académie et historien, Amandine de Perignon, responsable scientifique du musée du Vieux-Toulouse et maître ès-jeux, et Marie-Pierre Rey, mainteneur et historienne, qui nous aurait sans doute permis d’approfondir davantage.

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