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Le Front populaire et le monde agricole

1936, la gauche du Front populaire accède au pouvoir en France. Mouvement urbain, il s'est également déployé dans les campagnes.
Gouvernement de Léon Blum en 1938, Georges Monnet est alors ministre de l'agriculture - Henri Manuel | Domaine public
Gouvernement de Léon Blum en 1938, Georges Monnet est alors ministre de l’agriculture – Henri Manuel | Domaine public

Au soir des élections européennes de 2024, François Ruffin appelle ses homologues de gauche à s’unir pour contrer la montée de l’extrême droite en France. Les références au Front populaire de 1936 se multiplient, allant jusqu’à nommer cette coalition le Nouveau front populaire.

L’image du Front populaire de 1936 a marqué la politique française du XXème siècle et continue de susciter espoirs et craintes aujourd’hui. Ce mouvement est associé aux urbains et aux masses ouvrières, et l’histoire se souvient des grèves des ouvriers. Mais dans les campagnes, comment s’est passé l’émergence et la gouvernance du Front populaire ? Quelles politiques ont été appliquées pour les agriculteurs ?

La campagne du Front populaire

L’historiographie n’est pas foisonnante sur le sujet, et la paysannerie occupe une place secondaire dans les récits de cette période. Pourtant, la France est encore majoritairement rurale, près de la moitié de sa population y vivant. Les fermes sont pour la plupart petites et il y a de nombreux ouvriers agricoles, la modernisation de l’agriculture et sa motorisation n’ayant pas encore fait disparaître le besoin de main d’œuvre. Depuis le début de la décennie, le secteur agricole est en crise.

Une du journal Le Populaire sur le Front populaire – Le Populaire | Domaine public
Une du journal Le Populaire sur le Front populaire – Le Populaire | Domaine public

Lors de la campagne du Front populaire, et malgré des divergences notables entre les trois partis de l’accord (SFIO, Radicaux et Communistes), les zones rurales sont largement investies.

Les socialistes doivent cependant répondre aux accusations de la droite sur le caractère « partageux » du programme. Il faut entendre ici une soi-disant volonté de démanteler la petite propriété agricole.

C’est réfuté par l’ensemble des candidats socialistes, qui renouvellent leur attachement à la petite propriété, tout en arguant vouloir constituer des Offices nationaux et professionnels afin de lutter contre la spéculation.

Au final, une majorité de mesures des socialistes concernent les ruraux, comme le témoigne le discours de Vincent Auriol le 16 avril :

« Ces travaux, vous les attendez dans vos campagnes, pour compléter votre réseau électrique, pour vous apporter l’eau et l’hygiène, réparer vos bâtiments publics, construire écoles et foyers scolaires, améliorer vos chemins, égayer votre labeur ».

Vincent Auriol, le 16 avril 1936 à Toulouse

La victoire du Front populaire

Le 3 mai 1936, la victoire est totale pour la gauche, qui obtient une majorité absolue de 386 députés sur 608. Les campagnes ont voté pour la gauche, notamment pour la SFIO et le PC qui ont su profiter du glissement du centre vers la gauche de certains électeurs ruraux.

Pour autant, le vote paysan est resté majoritairement lié aux personnalités locales, les débats d’idées ayant une part moins prégnante dans le vote paysan que dans le vote ouvrier. À la suite de ce scrutin, de grandes grèves éclatent dans le pays, et le nouveau gouvernement Blum prend dans un premier temps des mesures favorisant la France des villes.

Dans les campagnes baignées à la valeur travail, bien que cette notion n’apparaisse que plus tard, les grévistes sont souvent vus avec dédain ou mépris.

Ainsi, dans les campagnes du Calvados le Front populaire reste un phénomène urbain qui oppose ville et campagne, comme le montre Jean Quellien.

D’ailleurs, de nombreux affrontements éclatent durant l’année 1936 hors des centres urbains, opposant les ouvriers grévistes à des franges de droites, souvent plus rurales.

Léon Blum en 1927 – Agence de presse Meurisse | Domaine public
Léon Blum en 1927 – Agence de presse Meurisse | Domaine public

Par ailleurs, ces grèves entravent dans certains cas l’export de marchandises et même les moissons de l’été 1936, certains ouvriers agricoles refusant de reprendre le travail.

La mise en place des vacances et du tourisme de masse par le Front populaire n’est pas très bien perçue par les agriculteurs, de nombreux touristes arrivant à la campagne lors des travaux d’été, période chargée.

Si l’ensemble de la population agricole n’est pas hostile au gouvernement Blum, bien au contraire, l’aspect réactionnaire, réfractaire au changement, de nombreux agriculteurs entraîne des réactions mitigées dans le monde rural.

Monnet, ministre des mondes agricoles

Pourtant, l’action du Front populaire envers la campagne est concrète. C’est Georges Monnet, un proche de Léon Blum (il était présent Boulevard Saint-Germain lors de l’agression de ce dernier) qui est intronisé ministre de l’Agriculture.

D’origine auvergnate, Monnet est issu de la bourgeoisie parisienne de centre droit. Il s’engage lors de la Première Guerre mondiale, et en revient meurtri. Dès lors, il achète une ferme près du Chemin des Dames et entame la reconstruction de cette grande exploitation picarde.

Son parcours politique débute en 1925 lorsqu’il devient maire, avant de militer pour la SFIO en 1928. Monnet évolue rapidement au sein du parti, et devient incontournable sur les questions agricoles.

Georges Monnet, Ministre de l'agriculture du Front populaire – Agence Rol | Domaine public
Georges Monnet, Ministre de l’agriculture du Front populaire – Agence Rol | Domaine public

Sa nomination n’a rien d’une surprise, et il se fait dès lors le défenseur des petites et moyennes exploitations privées, les rassurant par rapport à la crainte de la socialisation des biens privés.

Il défend une vision de modernisation de l’agriculture qui doit nourrir le pays mais également porter l’économie, puisqu’il souhaite que l’agriculture française soit exportatrice.

Monnet participe à la création de l’Office des Blés, mais également à l’émancipation des paysans et des paysannes, en promouvant la culture et en faisant passer des lois augmentant les droits des ouvriers agricoles.

Les progrès sont rapidement constatés, notamment par Tanguy-Prigent. Monnet est longtemps présenté comme le ministre des humbles et l’héritier de Blum, mais son abstention sur le vote des pleins pouvoirs à Pétain ainsi que son refus de s’engager dans la Résistance, contrairement à d’autres, le discréditent à la Libération après la Seconde Guerre mondiale.

L’office du blé

La création majeure du Front populaire concernant l’agriculture est l’Office national interprofessionnel du blé, créé le 15 août afin de stabiliser les cours. L’objectif est d’étendre cet office aux autres productions, mais le blocage du sénat l’empêche. Cet office permet d’avoir une politique dirigiste des prix et reçoit le monopole de l’exportation et de l’importation du blé. Il est l’ancêtre de FranceAgriMer.

Ce système de régulation des marchandises agricoles et de rétribution aux producteurs s’inscrit dans les prémices de logiques plus conséquentes qui mèneront notamment à la création de la Politique Agricole Commune.

Le débat a été houleux mais se conclut par une publication au journal officiel le 18 aout 1936. Fort de 35 articles, cette Loi fixe les limites de l’Office, qui restera mal perçue dans les campagnes opposées au Front populaire, dans un premier temps, l’interventionnisme de l’état étant mal jugé. Pour autant, de nombreux paysans semblent avoir été soulagé de la constitution de l’Office selon les sources historiques, en particulier les rapports préfectoraux.

Ainsi, le Front populaire a été portée par un soutien relatif des campagnes, qui ont dans certains cas été hostiles aux changements rapides menés par la coalition. Pour autant, de nombreuses bases de notre système agricole, en particulier l’Office national interprofessionnel du blé ont été posées lors de cette courte période.

Quelques sources et liens utiles

Lynch, Édouard. (2002). Chapitre VII. Un Front populaire paysan ? (1936-1937). In Moissons rouges (1‑). Presses universitaires du Septentrion. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.52333

Bensoussan, D. (2012). 9 – L’UNSA face à l’Office du blé (1936-1939). Dans : Alain Chatriot éd., Organiser les marchés agricoles: Le temps des fondateurs (pp. 201-216). Paris: Armand Colin. https://doi.org/10.3917/arco.chatr.2012.01.0201

Chatriot, A. (2016). Chapitre IV. Une rupture politique. In La politique du blé (1‑). Institut de la gestion publique et du développement économique. https://doi.org/10.4000/books.igpde.4187

Monnet G. (1936) Allocution de M. Monnet, Ministre de l’Agriculture. In: Bulletin de l’Académie Vétérinaire de France tome 89 n°10, pp. 491-493.

Vigreux, J. (2016). Histoire du Front populaire, Tallandier

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