Une dizaine de jours après la nomination du troisième gouvernement français de l’année 2024, certains comparent la situation politique à celle du régime de la Quatrième République. On en retient aujourd’hui surtout sa forte instabilité politique, que l’on peut illustrer en un chiffre : vingt-quatre gouvernements se sont succédés en douze ans. Un record dans l’histoire républicaine en France.
Pour autant, cette période est marquée par un fort dynamisme de l’économie nationale, stimulée par les grands travaux de reconstruction. Et, c’est aussi sous la Quatrième République que des avancées sociales structurantes de notre société ont eu lieu, comme le développement de la politique de Sécurité sociale ou la mise en place d’un Salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG), ancêtre du SMIC.
Alors, peut-on parler d’un échec du régime ? Nous allons dans un premier temps voir le fonctionnement et les caractéristiques de la Quatrième République, puis, établir un bilan des œuvres du régime avant de voir ce qui a conduit à sa chute.
Le fonctionnement et les caractéristiques de la Quatrième République
Présidé depuis le 3 juin 1944 par le général De Gaulle, grande figure de la résistance française durant la Seconde Guerre mondiale, le Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF) travaille à l’élaboration d’une nouvelle Constitution.
Après un premier rejet et une modification, cette dernière est approuvée par référendum le 13 octobre 1946 par la majorité des votants, dont les femmes, intégrées au corps électoral depuis alors seulement deux ans.
Un régime dans la continuité de la Troisième
Cette nouvelle Constitution s’inscrit dans la continuité du modèle républicain de la Troisième République. En effet, la Quatrième République est également un régime parlementaire bicaméral. Elle se caractérise par un pouvoir législatif fort, exercé par le Parlement ainsi qu’un pouvoir exécutif plus diminué surtout incarné par le président du Conseil.
Contrairement à l’ancienne République, les deux chambres qui composent le Parlement ne détiennent pas les mêmes pouvoirs. Le Conseil de la République, aussi appelée chambre haute du Parlement, est élu au suffrage indirect par un collège électoral. Il possède un mandat de six ans et a un surtout un rôle consultatif.
L’Assemblée nationale, dite chambre basse, est élue au suffrage universel direct avec un mandat de cinq ans et exerce la majorité du pouvoir législatif, pouvant investir et renverser les gouvernements.
Une dominante parlementaire qui ne fait pas l’unanimité
Cette répartition des pouvoirs est loin de faire l’unanimité. Pendant toute son existence, le régime a du faire face à la défiance du Parti Communiste Français, parti dominant la vie politique de l’époque avec le Parti socialiste (SFIO) et les chrétiens-démocrate (MRP), et à l’hostilité du Rassemblement du Peuple Français (RPF), parti créé par Charles De Gaulle, prônant un renforcement du pouvoir exécutif.
Une coalition gouvernementale appelée la Troisième Force est même créée, rassemblant les principaux partis en faveur du régime dont la SFIO et le MRP, afin de soutenir la Quatrième face à l’opposition communiste et gaulliste.

Une instabilité gouvernementale signe d’un dysfonctionnement politique
Comme introduit, la Quatrième République est caractérisée par une forte instabilité gouvernementale. On s’accorde à dire que les raisons de cette dernière tiennent au déséquilibre entre le pouvoir législatif et exécutif et à l’absence de majorités au Parlement.
Le Parlement a un contrôle important sur le gouvernement. Il peut facilement le mettre en cause et, sous condition de majorité absolue à l’Assemblée, peut le démettre. Du côté de l’exécutif, le Conseil des ministres est doté d’un droit de dissolution du Parlement mais celui-ci est davantage conditionné et n’a été utilisé qu’une fois durant le régime, en 1955.
À la prévalence du pouvoir législatif s’ajoute la chute du tripartisme – soit la domination des trois grands partis politiques nommés plus haut en France à la fin de la Seconde Guerre mondiale – dès les premières années de la Quatrième. En effet, les familles politiques se divisent et la formation d’une majorité ne peut émerger que par la coalition comme le montre l’éclatement des partis à l’Assemblée nationale entre 1951 et 1955, formant cinq blocs aux nombres de sièges équivalents.
Or, la chambre basse doit nommer un président du Conseil, qui lui-même doit choisir une équipe gouvernementale. Dans cette situation, arriver à un consensus sur les représentants du gouvernement entre les divers blocs dominants est très complexe.
Additionné à cela, le mode de scrutin proportionnel choisit pour élire les représentants de l’Assemblée nationale est aussi un facteur de cet émiettement de la représentation politique. En effet, ce mode électoral, ayant l’avantage d’être plus démocratique car reflétant le mieux la diversité des opinions des électeurs, est aussi pointé du doigt pour créer une instabilité gouvernementale. La proportionnelle est moins propice à faire émerger des majorités politiques stables que le mode de scrutin majoritaire par exemple.
C’est dans ces conditions que vingt-quatre gouvernements se sont succédés entre 1946 et 1958.
Une politique coloniale déficiente malgré des avancées politiques, économiques et sociales
Nous avons pu voir que la Quatrième République apparaissait comme un régime fragile du fait du déséquilibre des pouvoirs, de la dissolution des gouvernements en moyenne tous les six mois, de l’effondrement du tripartisme et de l’absence de majorité à l’Assemblée, mais aussi en raison du poids considérable des forces politiques opposées à la Quatrième.
Cependant, nous allons voir qu’au delà de ces défauts, le régime n’était pas ingouvernable.
Des gouvernement qui se suivent mais qui se ressemblent
D’abord, malgré les démissions fréquentes, une certaine continuité est assurée sous la Quatrième. En effet, les gouvernements se suivent mais se ressemblent. On peut par exemple citer Pierre Pflimlin, qui est nommé seize fois ministre dont cinq fois consécutives au ministère de l’Agriculture entre 1947 et 1950, ou encore François Mitterrand, qui devient ministre a onze reprises. Et, en dépit de son pouvoir très restreint, le président de la République est bien moins soumis aux renversements. Seuls Vincent Auriol et René Coty exercent la fonction sur les douze ans du régime.
Sous la Quatrième République, la France n’est pas paralysée pour prendre des décisions. Ce qui la caractérise ce sont davantage des avancées économiques, politiques et sociales majeures qu’un immobilisme politique.
De grandes avancées de la politique intérieure
Avec le gigantesque chantier de la reconstruction post Seconde Guerre mondiale, pour lequel la France bénéficie de l’aide financière étatsunienne à travers le Plan Marshall, les années de la Quatrième sont marquées par une forte croissance. En 1948, l’Hexagone est en situation de quasi-plein-emploi et les taux de croissance annuels du PIB se situent entre 5 et 7 %, là où il est estimé à 0,9 % en 2023 par l’INSEE. Ce sont les premières années de ce que l’économiste français Jean Fourastié nomme les Trente Glorieuses.
C’est au cours de la seconde moitié des années 1950 que le réseau autoroutier français connaît son véritable essor, avec l’adoption du projet de loi Pinay en 1952. Celui-ci prévoit notamment l’installation de péages partout sauf en milieu urbain, le premier voyant le jour sur l’autoroute A8. Et, en 1960, un plan directeur d’aménagement du réseau routier est élaboré, préconisant la construction de 1933 kilomètres d’autoroutes avant 1975.
Les gouvernements de la Quatrième République s’attèlent aussi à la question de la modernisation de l’agriculture, avec l’objectif principal de productivité. Les lois d’orientation agricole de 1960 et 1962 ont été à l’origine d’une transformation des grandes structures agricoles et ont constitué une étape décisive dans le processus de modernisation de l’agriculture française.
Également, c’est sous la Quatrième que le système de protection sociale et d’État-providence se développent. Le régime de sécurité sociale pour tous est instauré. En 1956, le gouvernement de Guy Mollet accorde une troisième semaine de congés payés et créé le minimum vieillesse. Et, six ans plus tôt, le Conseil des ministres établit le premier salaire minimum interprofessionnel garanti – SMIG – à 64 francs de l’heure et 78 francs en Ile-de-France. René Pleven, alors président du Conseil, le défend comme un moyen d’endiguement des idées communistes au-delà de l’objectif primaire de relance de la consommation et de lutte contre la pauvreté.
Une politique internationale au bilan contrasté
En 1949, dans une Europe coupée en deux, la France fait le choix résolu du camp occidental en intégrant l’OTAN. Et, malgré le rejet de la Communauté Européenne de Défense par l’Assemblée nationale en 1954, la construction européenne est lancée. Déjà quatre ans plus tôt, l’idée de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier – CECA – est proposée par le ministre des Affaires étrangères Robert Schuman. Et, le 25 mars 1957, le traité de Rome institue la Communauté Economique Européenne – CEE – à l’origine de l’actuelle Union Européenne.
La politique coloniale est celle jugée la plus déficiente, avec des résultats mitigés. Entre 1954 et 1955, Pierre Mendès France, figure de la Quatrième République et antagoniste politique de Charles De Gaulle, est président du Conseil et ministre des Affaires étrangères. Dans Pourquoi Mendès France publié dans la revue Après-demain, l’ancien ministre de l’Intérieur Pierre Joxe affirme qu’« en six mois, [Pierre Mendès France] fera faire à la France la moitié du chemin de la décolonisation, presque seul… dans une République malade».
En Tunisie, alors qu’une guérilla se développe sur le territoire, Pierre Mendès France promet l’autonomie interne de l’Etat dans un célèbre discours prononcé à Carthage le 31 juillet 1954. Deux ans plus tard, le 20 mars 1956, la Tunisie proclame son indépendance. Il participa également aux négociations dans le cas du Maroc, qui devint indépendant dix-huit jours seulement avant la Tunisie.
Pierre Mendès France s’investit également grandement dans la cessation de la guerre d’Indochine. Après la défaite militaire française face aux forces du Viêt Minh, ce dernier prend le pari d’aboutir à un cessez-le-feu dans les quatre semaines suivant son investiture à la présidence du Conseil, le 18 juin 1954. Un mois plus tard, avec toutes les forces en présence, les accords de Genève sont signés.
D’abord partisan de l’Algérie française, Pierre Mendès France finit par se positionner en faveur de l’indépendance du pays, et cherche rapidement à mettre fin au recours à la torture en Algérie, dont la guerre est déclenchée le 1er novembre 1954 avec l’insurrection armée du Front de Libération Nationale – FLN. Ses tentatives de réforme provoquèrent un désaccord à la fois chez les colonialistes, mais aussi parmi ses soutiens politiques habituelles. Le gouvernement de Pierre Mendès France est renversé et celui-ci quitte la présidence en février 1955.
Avec la guerre d’indépendance en Algérie, la chute de la Quatrième République
Au fil des mois, la lutte armée menée par le FLN s’intensifie. Les autorités françaises n’ont pas l’intention de céder, et le Parlement vote à la demande du gouvernement Guy Mollet la loi sur les « pouvoirs spéciaux » pour l’Algérie. Celle-ci renforce les pouvoirs du gouvernement, pouvant désormais prendre des mesures exceptionnelles à des fins de rétablissements de l’ordre, de la sécurité des personnes et de la sauvegarde du territoire.
Les gaullistes, militant avec ferveur pour le retour du général de Gaulle, encouragent les pieds-noirs à se soulever en les convaincant de sa volonté de maintenir l’Algérie française. Le jour de l’investiture de Pierre Pflimlin à la présidence du Conseil, le 13 mai 1958, les partisans de l’Algérie française lance un assaut à Alger dans le bâtiment du gouvernement général. Ils créent un Comité de salut public présidé par le général Massu.
Sous la pression de ce dernier et face à un appel du Général qui se généralise, Charles De Gaulle est investi par l’Assemblée Nationale avec des pouvoirs spéciaux le 1er juin 1958. Finalement, ce dernier reconnaît le droit à l’autodétermination du peuple algérien l’année suivante, et les accords d’Evian, actant l’indépendance de l’Algérie, sont signés le 18 mars 1962.
Soucieux de réformer les institutions de la Quatrième, il soumet par référendum une nouvelle Constitution le 28 septembre 1958. Celle-ci est approuvée par une grande majorité. De Gaulle devient alors le premier président de la Cinquième République, en vigueur depuis le 4 octobre 1958.
Quelques liens et sources utiles
1946-1958 – Le bilan fécond de la IVe République – Herodote.net. (s. d.)
Leprince, C. (2024, 9 décembre). France ingouvernable : comment l’histoire de la IVe République a été (mal) racontée par la fin. France Culture
Joxe, P. (2011) . Pourquoi Mendès France ? Après-demain, N ° 17, NF(1), 46-48.