L’année 1962 semble débuter sous de mauvais augure pour le Tanganyika, pays depuis devenu une partie de la Tanzanie, alors qu’une épidémie de fou rire secoue les collèges et les écoles de la région de Kagera pendant près de six mois.
Les préludes de l’épidémie de fou rire
Le 30 janvier 1962, trois élèves d’un collège de Kashasha se sont mises à rire sans pouvoir s’arrêter. Rentrant chez elles dans le même état, ces dernières transmettent leur rire à d’autres jeunes filles.
L’épidémie de fou rire, nommée de cette manière non pas par sa qualité de maladie mais pour sa contagiosité, se propage alors jusqu’à environ 80 kilomètres du lieu de départ. Crises de rire, mais aussi de pleurs, se succèdent alors par intermittence pendant au moins 6 mois.
3 mois après la première occurrence de ce phénomène, plus de la moitié des élèves de l’établissement scolaire de Kashasha sont en proie à ces crises intempestives. Les jeunes filles affectées par ce phénomène sont ingérables, lors des crises celles-ci sont inarrêtables et font parfois même preuve de violence lorsqu’une personne tierce tente de les arrêter.
C’est pourquoi, le 18 mars, soit un peu moins de deux mois après le début de l’épidémie, l’école ferme ses portes et ce jusqu’au 21 mai.
L’épidémie, qui est endiguée dans les 6 mois suivants son départ à Kashasha, s’est propagée dans d’autres collèges et l’on ne peut alors vraiment acter la fin de ce phénomène dans le pays que vers le début de l’année 1963.
C’est donc une épidémie déconcertante qui aura bouleversé le Tanganyika pendant près d’un an et qui sera devenue le parfait exemple de ce qu’ils appellent en Tanzanie l’omumnepo, mot qui renvoie d’après Inès Pasqueron de Fommervault à « tout comportement insensé et temporaire dont les causes sont inconnues. »
L’hypothèse privilégiée de l’hystérie collective
Évidemment, des chercheurs se sont penchés sur la véracité de cette épidémie de fou rire et, au vu de rapports identiques ailleurs dans le pays, ceux-ci se sont vus vérifiés. La piste d’une intoxication alimentaire a tout d’abord été étudiée.
Une raison souvent à la source de situations particulièrement excentriques, en effet cette histoire n’est pas sans nous rappeler celle du petit village français de Pont-Saint-Esprit. Une cause qui pourrait paraître plausible en effet, mais à la suite d’examens scientifiques, la piste de la maladie physique fut entièrement rejetée.
Les premiers à être arrivé à une hypothèse concluante sont A. M. Rankin et P. J. Philip, qui dès 1963 pensent à la piste de l’hystérie collective, hypothèse qui reste encore aujourd’hui la plus privilégiée.
L’hystérie vient du mot utérus et a été nommée comme telle car la majorité (et non la totalité) des victimes de cette névrose sont des femmes. L’hystérie est une maladie nerveuse aux nombreux symptômes et qui peut changer du tout au tout d’une personne affectée à une autre. Pour de nombreux chercheurs, la cause de l’épidémie de fou rire ayant touché ces jeunes filles entre 12 et 18 ans au Tanganyika en 1962 serait probablement le stress.
L’un des chercheurs s’étant intéressé à ce cas, Christian Hempelmann, explique d’ailleurs que
« la raison de la prédominance féminine de la population affectée n’est pas parfaitement certaine, mais il est supposé que la privation générale des femmes dans la plupart des cultures mène à un stress psychologique plus conséquent. »
En effet, en janvier 1962, le Tanganyika venait tout juste d’obtenir son indépendance de la tutelle britannique et se trouvait alors dans une situation instable qui, toujours d’après Hempelmann, serait probablement l’une des causes de cette hystérie collective qui a touché les adolescentes du pays.
Cette situation instable était d’ailleurs assez mal vécue par les plus jeunes qui étaient anxieux quant à leur avenir et les troubles politiques ainsi que la refonte du système scolaire de la région de Kagera ont certainement accentué ce stress.
Les hystéries collectives comme celles-ci sont des phénomènes rares, bien que l’on puisse en noter d’autres et même en France comme la « manie dansante » de 1518. Il est donc difficile d’être sur place lors d’un de ces cas et d’en étudier le phénomène, et ce encore moins si le cas se passe dans un pays à la situation instable et ce avant l’avancée technologique de la communication instantanée.
La conclusion de l’hystérie collective restera la seule et unique concernant cette histoire et aucune autre information, ni quant à de possibles victimes, ni quant à la cause exacte de cette épidémie, ne verra le jour.
Quelques sources et liens utiles :
Pasqueron de Fommervault, Ines. « Du fou rire au rire fou : Analyse historico-anthropologique d’une « épidémie de rire » en Tanzanie », Politique africaine, Vol. 145, No. 1, 2017, pp. 129-151.
Hempelmann, Christian F. « The laughter of the 1962 Tanganyika ‘laughter epidemic’ », Humor, Vol. 20, No. 1, 2007, pp. 49-71.
A. M. Rankin et P. J. Philip. “An Epidemic of Laughing in the Bukoba District of Tanganyika”, Central African Journal of Medicine, Vol. 9, No. 5, 1963, pp. 167-170.
Freud, Sigmund. « Hystérie », Psychanalyse, Vol. 14, No. 1, 2009, pp. 95-110.