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Pourquoi la France ne doit pas livrer de char Leclerc à l’Ukraine ?

Le char Leclerc français pourrait être envoyé à l'Ukraine, si les pressions européennes se multiplient, mais est-ce une bonne idée ?
Le 1er Régiment de Chasseurs de France effectue le couloir d'opérations défensives en utilisant le Leclerc pendant le Strong Europe Tank Challenge, qui s'est tenu sur la zone d'entraînement de Grafenwoehr du 7th Army Training Command, le 4 juin 2018 - 7th Army Training Command | Creative Commons BY 2.0
Le 1er Régiment de Chasseurs de France effectue le couloir d’opérations défensives en utilisant le Leclerc pendant le Strong Europe Tank Challenge, qui s’est tenu sur la zone d’entraînement de Grafenwoehr du 7th Army Training Command, le 4 juin 2018 – 7th Army Training Command | Creative Commons BY 2.0

L’actualité géopolitique de janvier tournait autour de la livraison de chars lourds à l’Ukraine. En pleine réflexion et poussée par la Pologne, l’Allemagne a accepté la livraison du modèle Leopard 2. Un élément qui se veut être moteur pour les futures offensives ukrainiennes. La livraison de ce char lourd, intervient après l’annonce de la livraison du Challenger 2 britannique et du M1 Abrams américain. Alors que fait la France ? Pourquoi ne livre-t-elle pas de char Leclerc à l’Ukraine ?

Un besoin de chars lourds sur le front ukrainien

Les forces s’organisent dans l’attente d’un moment propice à d’importantes offensives, qu’elles soient russes ou ukrainiennes. Pour réaliser de telles manœuvres, il faut pouvoir aligner des éléments lourds, notamment des chars.

Le char lourd fait partie des trous capacitaires que j’ai évoqués en Ukraine, moins pour des raisons de pertinence qu’en raison du nombre de plateformes. Il reste l’un des outils indispensables au combat des trente années à venir.

Dans l’offensive initiale russe, censée être une opération rapide qui devait probablement faire s’écrouler le système adverse, les chars lourds ont été mis en échec suite à de mauvaises appréciations tactiques : la fonte des neiges précoce et la concentration des chars ont rendu ceux-ci vulnérables aux fantassins, qui ont pu mener des attaques contre les colonnes de blindés à partir des zones forestières et urbaines. Il n’en demeure pas moins que cette capacité est primordiale pour rompre un dispositif et exploiter ensuite l’avantage en profondeur.

La complexité de l’engagement au sein du milieu terrestre requiert une préparation exigeante. Il ne suffit pas à un soldat de détenir une arme ou de piloter un engin blindé, il doit savoir l’employer en coordination avec les autres unités. C’est l’enjeu du combat dit interarmes. Les capacités des armes de mêlée sont limitées sans appui ni soutien

Le chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Pierre Schill en juillet 2022 devant l’Assemblée nationale
Exemple d’une vidéo OSINT en provenance du front (mars 2022), un char lourd russe explose sur une mine ukrainienne

Les grandes manœuvres du début de la guerre ont durablement marqué l’équipement ukrainien – malgré les prises de guerre – rendant difficiles des opérations offensives contre les positions russes. La livraison d’un char occidental surpassant la majorité des équipements présents sur le front pourrait permettre aux Ukrainiens de prendre l’avantage. Néanmoins, un char lourd ne sert à rien si les lignes d’approvisionnement sont mauvaises et l’entrainement des équipages inexistant.

Le Leopard 2 un choix stratégique

Les Occidentaux possèdent plusieurs modèles de chars lourds, notamment le Challenger 2, le Leopard 2 et ses dérivés comme le Stridsvagn 122 suédois, le M1 Abrams et le dernier, plus récent, le Leclerc, néanmoins la disponibilité n’est absolument pas la même et les lignes d’approvisionnement non plus.

ModèleChallenger 2Leopard 2M1 AbramsLeclerc
Conception1986 – 19941969-19791972-19791978-1990
Exemplaire44632009000876
Dernière livraison2002En coursEn cours2008
Comparatif entre les différents chars d’assauts occidentaux proposés pour l’armée ukrainienne.

Grâce aux données du tableau précédent, nous pouvons remarquer la disproportion d’unités pour le Leopard 2 et le M1 Abrams. Ils ont été très largement distribués en Europe et dans le monde permettant d’obtenir des unités rapidement, mais également des pièces de rechange. Le Leopard 2 est notamment en service dans l’armée finlandaise, portugaise, espagnole, danoise, grecque ou encore turque. Pouvoir en livrer rapidement à l’Ukraine est possible tant son nombre est important.

Ces éléments placent le char allemand et le char américain en lice pour être livrés en masse à l’armée Ukrainienne. Les usines sont toujours actives, les pièces peuvent être livrées, des stocks opérationnels peuvent être réduits pour répondre à la demande – avec possiblement un remplacement par des chars neufs de dernières générations. En somme, ce choix est intelligent et cohérent.

L’Ukraine privilégie également la livraison du char Leopard 2 pour uniformiser ses livraisons, faciliter ses lignes d’approvisionnement, industrialiser la formation des équipages et surtout augmenter les donations de ses alliés. Sur les plus de 3000 chars Leopard 2 produits, 2000 se trouvent en Europe, auprès de 14 pays différents. Un choix pragmatique de la part des autorités ukrainiennes.

Un manque cuisant de char Leclerc en France

Au total 406 exemplaires du char Leclerc ont été mis en service pour l’armée française, néanmoins depuis, il en reste beaucoup moins. Selon les derniers chiffres 222 chars sont disponibles, mais pas considérés comme opérationnels. Certains éléments sont actuellement modernisés par Nexter, d’autres en maintenance, etc. Prendre dans ce stock stratégique est dangereux et pourrait remettre en cause notre doctrine militaire.

Aucune ligne d’approvisionnement disponible pour l’Ukraine

Les chars Leclerc ont été livrés à la France au début des années 2000, après la livraison des commandes aux Émirats Arabes Unies, aucune autre n’a été passée. Les lignes d’assemblage ont été arrêtées puis reconverties. Nexter ne pouvant assurer continuellement la production d’un équipement qui ne s’exporte pas.

Il est maintenant impossible de relancer la production de cet équipement. Les pièces sont devenues rares et précieuses. L’armée française faire survivre son parc de blindés grâce à la cannibalisation de pièces sur les chars Leclerc entreposés.

En somme, la France n’a pas la capacité de livrer des chars Leclerc à l’Ukraine. Réalité bien triste, pour un pays aux dimensions mondiales. Le secteur militaro-industriel a trop longtemps été abandonné par les autorités politiques, le déstabilisant profondément. Malgré les efforts effectués par les derniers gouvernements, notamment avec des hausses budgétaires et des commandes aux industriels, le secteur a besoin de temps pour se remettre sur pied. Effectuer une livraison irremplaçable placerait la France et nos armées dans une situation complexe.

Une quantité livrée trop faible

La France pourrait livrer une petite dizaine de chars à l’Ukraine, à l’instar de la livraison britannique. Ils ont livré 14 Challenger 2 à l’Ukraine, notamment pour pousser les Allemands à accepter la livraison du char Leopard 2. Cette livraison est plus d’ordre symbolique qu’utile, une dizaine de chars permet tout juste de créer un escadron.

Il est impossible et contre-productif de créer des systèmes mixtes, avec plusieurs modèles de char. La chaîne logistique et l’interopérabilité du matériel sont des éléments essentiels et à prendre en compte.

Envoyer une douzaine de Leclerc entamerait la crédibilité de la composante blindée française. En envoyer une cinquantaine la sacrifierait.

Stéphane Audrand, consultant spécialisé dans l’armement à franceinfo

La France peut difficilement se rendre utile en Ukraine à cause de son incapacité opérationnelle à livrer une grande quantité de chars Leclerc. Il est préférable pour nous de nous limiter à livrer des véhicules blindés de type véhicule de l’avant blindé (VAB), ou des chasseurs de chars comme l’AMX, déjà livrés à l’Ukraine.

Quelques liens et sources utiles

« Quatre choses à savoir sur le Leopard 2, char convoité par l’Ukraine », LesEchos, 2023

« Guerre en Ukraine : pourquoi la livraison de chars Leclerc pose un sacré dilemme à la France », FranceInfo, 2023

Laurent Tirone, De l’AMX 13 au Leclerc: Les chars français de la Guerre froide, Caraktère éditions, 2021

Pierre Chiquet, La Gabegie. Le scandale du complexe militaro-industriel français, Albin Michel, 1997

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