« Maîtresse, il est où le vidéoprojecteur ? » demande un élève en CE2 devant un tableau noir fraîchement épousseté. La question prête à sourire, mais elle dit quelque chose de profond sur notre époque. Jadis, le silence régnait dans les classes, rythmées par les craies et les leçons apprises par cœur.
Aujourd’hui, les supports se sont multipliés, numérisés, animés, jusqu’à parfois faire oublier qu’enseigner fut longtemps un exercice oral, austère, et profondément matériel.
Des origines antiques aux premiers écrits
L’histoire des supports pédagogiques commence bien avant l’invention de l’école telle qu’on la connaît. Dans la Grèce antique, les leçons se transmettaient à l’oral. Socrate interrogeait ses élèves sur l’agora, sans écrire.
Son disciple Platon, lui, couchera les enseignements sur des rouleaux de papyrus. À Rome, le codex – l’ancêtre du livre – s’impose peu à peu. Les élèves, assis sur des bancs de bois, utilisent des tablettes de cire pour tracer à l’aide d’un stylet des lettres qu’ils effacent ensuite en chauffant la cire.
Ces instruments rudimentaires n’étaient pas uniformes. Les enseignants de l’époque – souvent esclaves lettrés – improvisaient, adaptaient leurs moyens au public. Aucun manuel, aucune affiche murale : le support principal restait la mémoire.
L’enseignement médiéval : de l’oral au manuscrit
Avec le Moyen Âge, l’enseignement se recentre dans les monastères, puis dans les écoles cathédrales. Là encore, la récitation joue un rôle central. Les élèves apprennent par cœur la Bible, le latin, les premiers rudiments d’arithmétique. Les rares supports sont des manuscrits copiés à la main, jalousement conservés dans les bibliothèques monastiques.
Dans les universités naissantes, comme à Paris ou à Bologne, les maîtres dictent leurs cours. Les étudiants prennent des notes à l’encre sur des feuilles de parchemin. L’oral prime toujours, mais le livre manuscrit devient un repère pour l’élève lettré. Les images, souvent marginales, ne servent pas à enseigner mais à orner.
Renaissance et imprimerie : la révolution du livre
Le tournant décisif vient au XVe siècle avec l’imprimerie de Gutenberg. Les livres deviennent plus accessibles. Les maîtres humanistes de la Renaissance en profitent pour diffuser leurs idées pédagogiques. Des ouvrages destinés à l’enseignement primaire ou secondaire apparaissent, souvent accompagnés de gravures explicatives.
Ces livres s’imposent peu à peu comme des outils centraux dans l’apprentissage, même si leur coût reste élevé. Dans certaines écoles, on utilise des planches murales, en bois ou en tissu, pour montrer des alphabets ou des cartes du monde connu. Ce sont les ancêtres directs de nos posters pédagogiques.
Du tableau noir au cartable : l’école se structure
Au XIXe siècle, l’école publique prend forme avec la scolarisation obligatoire. Dans les classes des lois Ferry, l’enseignant dispose enfin de supports standardisés. Le tableau noir devient un élément indispensable de la salle de classe. On y écrit à la craie, on y trace des cartes de France ou des règles de grammaire.
Le manuel scolaire, en série, fait son apparition dans les mains des élèves. Il contient des textes, des images et des exercices, conçus pour répondre aux exigences des programmes. La lecture, l’histoire, la morale, tout y passe. Les gravures du Tour de la France par deux enfants deviennent aussi connues que les fables de La Fontaine.
Des ardoises individuelles sont distribuées aux élèves : elles permettent d’écrire et d’effacer à l’infini, avant de passer aux cahiers en papier. Le cartable, bourré de fournitures, devient le symbole de l’écolier studieux.
Un détour par le Japon : entre tradition et adaptation
L’enseignement japonais, très influencé par le confucianisme, mise longtemps sur la répétition et la calligraphie. Jusqu’au XXe siècle, les écoliers japonais utilisent des pinceaux pour recopier les kanji, caractères issus du chinois. Là aussi, le support principal reste le livre, mais l’attention portée au geste d’écriture est au cœur de la pédagogie.
Au XXe siècle, l’école japonaise intègre les outils occidentaux – tableau noir, manuels illustrés, cartes géographiques –, tout en conservant une rigueur traditionnelle. Encore aujourd’hui, l’élève japonais passe par des carnets de calligraphie, à côté des tablettes numériques présentes dans les écoles pilotes.
L’audiovisuel et les nouveaux médias
Dans les années 1960 à 1980, les classes françaises découvrent la télévision éducative. Le magnétoscope entre timidement dans les écoles. On diffuse des documentaires, des films historiques, parfois même des animations. Ces nouveaux outils intriguent, mais ne remplacent pas le tableau noir (qui devient blanc).
Puis viennent le rétroprojecteur, les cassettes audio, le lecteur CD. Le support pédagogique se diversifie. L’enseignant devient peu à peu un chef d’orchestre du contenu, parfois en tension avec la machine. Malgré tout, la craie (ou le marqueur) tient bon, et le manuel reste une référence.
Le numérique et ses promesses
Les années 2000 bouleversent encore l’enseignement. Les TNI (tableaux numériques interactifs), les ENT (espaces numériques de travail), et les tablettes apparaissent. On projette des cartes animées, on partage des documents, on donne des devoirs en ligne.
Pourtant, le lien entre enseignant et élève reste fondamental. L’outil numérique ne remplace pas le geste du professeur, ni la parole adressée à la classe. Comme l’écrit Claude Lelièvre : « L’école n’a jamais été qu’un outil ; ce qui importe, c’est ce que la société en fait. »
Dans certaines classes rurales, le tableau noir côtoie encore les affiches pédagogiques accrochées aux murs : les temps se superposent. Les élèves passent de l’ardoise Velleda au diaporama, de la récitation à la recherche en ligne. L’enseignement devient hybride.
Rester fidèle à la main qui enseigne
L’histoire des supports de classe montre une lente transformation des moyens au service de la transmission. De la cire à la tablette, du parchemin à l’écran tactile, les outils ont changé. Mais l’essentiel demeure : enseigner, c’est créer un lien entre un savoir et un élève.
Dans un monde numérique, où les supports sont légion, il faut redonner leur place aux objets simples mais puissants : le tableau, le poster, le marqueur, la feuille. Car ils incarnent une temporalité lente, celle de l’attention, du regard, de la main qui trace.
Et si l’avenir n’était pas dans le tout-écran, mais dans l’équilibre des supports, à la fois modernes et concrets ? À l’heure des tablettes et de ChatGPT, un bon vieux poster d’histoire accroché au mur n’a pas dit son dernier mot.
Quelques liens et sources utiles
Claude Lelièvre, L’École d’aujourd’hui à la lumière de l’histoire, Odile Jacob, 2021
Marc Le Cœur, « La chaire et les gradins », Histoire de l’éducation, 130 | 2011, 85-109
Julien Arbois, L’École d’autrefois, City édition, 2016
Philippe Meirieu, Apprendre, oui mais comment, ESF, 2017
Jean Hébrard, « L’école et ses supports d’écriture », Revue française de pédagogie, 1994, 108, 63-72