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Tracer une ligne, nommer un lieu, effacer une montagne, déplacer un fleuve. La carte n’est jamais neutre. Elle prétend montrer, mais elle organise. Elle donne à voir, mais elle impose aussi un point de vue. Depuis l’Antiquité, la cartographie ne se contente pas de représenter l’espace : elle structure les empires, oriente les conquêtes, légitime les frontières. Derrière chaque carte, il y a une intention.
L’histoire de la cartographie est celle d’un regard posé sur le monde. Ce regard varie selon les époques, les cultures, les ambitions. Il dit comment une société se perçoit elle-même, et comment elle perçoit les autres. Cartographier, c’est hiérarchiser, sélectionner, simplifier. Ce n’est jamais un acte purement scientifique. C’est aussi une construction mentale, politique, parfois idéologique.
Dans l’Europe médiévale, les cartes sont souvent circulaires, symboliques. La célèbre mappa mundi d’Hereford, au XIIIe siècle, place Jérusalem au centre, l’Orient en haut, et mêle des éléments bibliques, zoologiques et géographiques. Elle n’est pas faite pour naviguer, mais pour rappeler un ordre cosmique. Le monde y est moins un espace qu’un message.
Avec les portulans, au XIVe siècle, le ton change. Ces cartes nautiques, apparues autour de la Méditerranée, sont des outils concrets pour les navigateurs. Elles privilégient les côtes, les ports, les caps. Le détail remplace le symbole. On passe d’une carte-monde à une carte-pour-aller. C’est un basculement silencieux, mais décisif.
À partir du XVe siècle, les grandes découvertes bouleversent la cartographie. Le monde connu s’agrandit à chaque expédition. Mais les cartes, elles, ne suivent pas seulement les découvertes. Elles les accompagnent, parfois même les devancent. Les géographes dessinent ce que les marins pressentent. Des côtes approximatives deviennent des certitudes sur le papier.
La carte devient alors un outil de légitimation impériale. Elle permet de revendiquer un territoire sans avoir à l’occuper. Elle fixe des noms sur des terres inconnues. Elle efface parfois les populations locales, réduit une montagne à un simple triangle, transforme un désert en zone blanche.
Les puissances coloniales investissent dans des bureaux de cartographie, des académies navales, des missions géographiques. En France, la carte de Cassini (XVIIIe siècle) marque une tentative d’ordonner l’espace national de façon rationnelle. Chaque commune, chaque forêt, chaque rivière est relevée, mesurée, placée sur une trame. Le royaume devient lisible, donc gouvernable.
Au XIXe siècle, la cartographie atteint un niveau de précision inédit. Mais cette précision sert aussi à faire la guerre. Les cartes militaires se multiplient, les reliefs sont codés, les chemins secondaires notés. Lors de la Première Guerre mondiale, chaque offensive s’appuie sur des plans détaillés des tranchées, des forêts, des villages. La carte devient le support d’une stratégie, mais aussi d’une désillusion. Elle montre le terrain, mais elle ne dit rien de la boue, du froid, du feu.
Les frontières, elles aussi, se redessinent sur le papier. En 1919, lors du traité de Versailles, les puissances victorieuses tracent de nouveaux États en Europe centrale et au Moyen-Orient. Ces lignes, souvent tirées à la règle, négligent les réalités ethniques, linguistiques, culturelles. Les cartes façonnent alors les conflits futurs.
Dans les salles de classe de la Troisième République, les cartes murales occupent une place centrale. Le fameux tableau Vidal-Lablache orne les murs des écoles primaires : la France agricole, la France industrielle, la France coloniale. L’enfant apprend à situer les fleuves, les massifs, les colonies. Il retient que « la France a quatre façades maritimes » et que « nos possessions d’outre-mer sont aussi vastes que la métropole ».
La carte est ici un outil pédagogique, mais aussi un vecteur d’adhésion à une vision du monde. Elle structure l’imaginaire républicain. Elle ancre l’idée d’un territoire unique, ordonné, stable. Elle efface les variations régionales, les dialectes, les frontières mouvantes. Elle fabrique une France cohérente.
Mais toute carte est aussi un mensonge par omission. Elle ne montre que ce qu’elle choisit de montrer. Elle ignore les frontières vécues, les zones floues, les lieux de passage. Les cartes administratives dissimulent parfois les tensions locales. Les cartes coloniales ne montrent pas les résistances. Les cartes touristiques effacent les bidonvilles. Le réel déborde toujours la représentation.
Dans les années 1970, les géographes critiques dénoncent cette illusion d’objectivité. Yves Lacoste, dans La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre, montre que la carte peut aussi être un instrument de domination. Elle n’est pas neutre, elle est au service de ceux qui l’utilisent.
Aujourd’hui, de nouvelles pratiques cartographiques émergent. Des cartes participatives, construites par les habitants eux-mêmes. Des cartes sensibles, qui montrent les émotions liées à un lieu. Des cartes féministes, décoloniales, autochtones. Ces initiatives ne rejettent pas la carte, mais elles interrogent sa prétention à l’universalité.
Elles rappellent que dessiner le monde, c’est aussi choisir un centre, une échelle, une orientation. Que mettre le nord en haut n’est pas neutre. Que colorier certains pays en gris, d’autres en bleu ou en rouge, n’est pas anodin.
La cartographie est devenue un champ de débat, de lutte, parfois de réparation. Elle n’est plus réservée aux seuls experts. Elle redevient ce qu’elle a toujours été : un langage, une promesse, un outil de pouvoir.
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