En 1749, Buffon publie son fameux ouvrage : Histoire naturelle, générale et particulière. Le premier animal qui y est gravé est le cheval, le classement des animaux dans l’Histoire Naturelle semblant suivre un ordre allant du domestique au cheval, Buffon rendant ainsi hommage à « La plus noble conquête que l’Homme ai jamais fait ».
Plus que toute autre domestication, la domestication du cheval joua un rôle fondamental dans la construction des sociétés au fil des millénaires. Jusqu’à la modernisation suivant la Seconde Guerre mondiale, l’équidé tenait même une place centrale dans de nombreux pays. La logistique militaire de l’Allemagne était par exemple en grande partie organisée grâce aux chevaux.
Pourtant, ce n’est que très récemment que le mystère de sa domestication fut résolu, ou plutôt de ses domestications.
« La part la plus spectaculaire de l’histoire humaine – invasions mongoles, guerres napoléoniennes, conquête de l’Ouest – évoque irrésistiblement les grands mouvements de cavalerie. Mais le cheval était aussi présent, il n’y a pas si longtemps, sur les routes, les chemins de halage, dans les champs, les villes, les usines, au fond des mines. Aucun animal n’a été aussi proche de l’homme, aucun ne l’a autant fasciné. Puissant et fougueux, il ne se laisse contrôler, aujourd’hui encore, qu’au prix de trésors d’attention, d’intelligence, de sensibilité. Loin d’être le serviteur de l’homme, le cheval est sa force. L’un et l’autre sont liés par l’histoire d’une conquête réciproque. »
Jean-Pierre Digard. Le cheval, force de l’homme, Paris, Gallimard, 1994, 159p
Une première domestication du cheval au Kazakhstan
Jusqu’à peu, les études phylogénétiques, c’est-à-dire l’étude des liens de parentés entre espèces (actuelles ou disparues), sont réalisées par comparaison entre fossiles et squelettes. Avant ces dernières années, la théorie d’une domestication du cheval datant de 5500 ans est retenue par tous. Cette domestication s’est effectuée à la transition entre l’Âge de Bronze et l’Âge de Cuivre, par un peuple vivant dans l’actuel Kazakhstan.
Dans cette région nommée le Botaï, les archéologues trouvent les vestiges les plus anciens de la domestication du cheval. Ce site a été mis au jour par l’archéologue Viktor Seibert en 1980 et s’étend sur une quinzaine d’hectares. À cet endroit, des vestiges d’un village ont été dévoilés par les fouilles, et de nombreuses preuves de domestications du cheval sont alors apparus. En effet, dans un périmètre peu étendu, plus de 300 000 os de chevaux ont été retrouvés.
Bien que les peuples vivant dans ces steppes étaient de bons chasseurs, cette densité d’ossements ne peut qu’être révélatrice d’un élevage d’équidés. Cette théorie est confirmée en 2006 lors de la découverte de vestige d’enclos.
Cependant, les Botaï ne se contentaient pas d’élever les chevaux pour leur viande. Sur de nombreuses poteries, des traces de graisses spécifiques du lait de jument sont retrouvées.
Aujourd’hui, les Kazakhs boivent le koumis, une boisson traditionnelle à base de lait de jument fermenté. Il se pourrait que les origines de cette boisson remontent à plusieurs millénaires.
Enfin, la découverte majeure des dernières années sur le site du Botaï est la présence de mors, confirmant l’utilisation des équidés pour le transport.
Sur les mâchoires inférieures, des traces d’usures étaient visibles, prouvant l’utilisation d’un mors, probablement en cuir. Ainsi, le premier foyer de domestication du cheval se trouve au Kazakhstan, dans le Botaï.
Cheval de Przewalski, qui es-tu ?
Pourtant, de récentes recherches génétiques mettent à mal l’hypothèse du cheval du Botaï comme ancêtre de nos chevaux actuels.
En effet, grâce au progrès du séquençage de l’ADN et des calculateurs informatiques, l’équipe du chercheur Ludovic Orlando a pu mettre au jour une surprenante vérité : les chevaux du Botaï ne sont pas les ancêtres de nos chevaux domestiques mais du cheval de Przewalski, encore appelé cheval de Prjevalski ou takh en mongol.
Ces chevaux ont été découverts en 1879 par l’explorateur russe Nikolaï Mikhaïlovitch Prjevalski en Dzoungarie. Ce petit cheval a longtemps été considéré comme une espèce sauvage, mais il s’agit en réalité d’une espèce férale descendante des chevaux du Botaï. La domestication des chevaux au Kazakhstan a donc avorté, les chevaux du Botaï sont retournés à l’état sauvage et constituent aujourd’hui les parents des chevaux de Przewalski.
Au cours de ce retour à l’état sauvage, les chevaux botaïs ont perdu leur robe léopard caractéristique pour se parer de brun. Aujourd’hui, le cheval de Przewalski est considéré en danger d’extinction, notamment en raison de la chasse intense dont il fut l’objet suite à sa découverte.
La découverte de l’équipe de recherche de Ludovic Orlando remet donc deux faits en question : l’origine de notre cheval actuel ainsi que le caractère sauvage du cheval de Przewalski.
La seconde domestication est la bonne
Ainsi, un deuxième phénomène de domestication s’est produit hors du Botaï, probablement ultérieure à celui du Botaï.
Librado et al., ont publié un article dans Nature présentant leurs découvertes suite au séquençage de l’ADN de centaines de chevaux : Il y a 5000 ans, les mouvements de chevaux ne se faisaient pas. Ainsi, une population était cantonnée à un endroit. Et à partir de 4200 ans, il n’y a plus eu de barrière de migration et les génotypes s’homogénéisent. Ainsi, un foyer unique s’est répandu. L’endroit le plus probable est la basse vallée du Don et de la Volga. C’est donc ce cheval qui a conquis le monde, il y a 4200 ans, dans le bassin de la Volga.
Dès lors que l’homme a domestiqué le cheval, « une sorte de globalisation du monde s’est opérée« , indique Ludovic Orlando pour Géo. En 500 ans, le profil génétique de ces animaux s’est disséminé dès lors sur tout le continent eurasiatique.
En Asie, les chevaux ont par ailleurs emmené de nombreuses innovations avec eux, telle que la roue à rayon. Pourtant, les chevaux d’alors n’étaient pas semblables aux chevaux que l’on connaît aujourd’hui. Avec le développement de l’agriculture, les chevaux sont de mieux en mieux nourris et la sélection sur certains critères s’opèrent, notamment comportementaux.
Ainsi, au cours de l’histoire de la domestication du cheval, l’Homme a modifié 125 gènes liés à divers critères morphologiques et sociaux des équidés. C’est ce que montre notamment une étude publiée en 2014 dans la revue PNAS par Schubert et al. Le gène de la peur a notamment muté, ce qui a été déterminant dans l’utilisation de ces animaux par la suite.
Cependant, avec l’arrivée de l’agronomie et de l’intensification de l’agriculture, la diversité génétique du cheval domestique s’est effondrée. De nombreuses sélections sont réalisées et les croisements se font de plus en plus rares. Les chevaux de trait s’alourdissent, les robes se multiplient et les chevaux de selle gagnent en vitesse.
Ces phénomènes conduisent ainsi à la disparition d’une grande variété intraspécifique, puisque 13 à 60 % du génome de l’espèce a disparu.
Régression de l’utilisation des chevaux
Aujourd’hui, la machine a largement supplanté le cheval dans les pays du Nord, notamment dans le système agricole après la Seconde Guerre mondiale en Europe. Animal de loisir, agricole, guerrier, de transport, le cheval a accompagné l’Homme des millénaires durant et sa double domestication a constitué un événement majeur pour le développement humain.
Quelques liens et source utiles
Jean-Pierre Digard, Le cheval, force de l’homme, Paris, Gallimard, 1994, 159p
Ludovic Orlando, La conquête du cheval, une histoire génétique, Odile Jacob, 2023
Conférence de Ludovic Orlando à l’académie d’agriculture [Lien]
The origins and spread of domestic horses from the Western Eurasian steppes [Lien]
Prehistoric genomes reveal the genetic foundation and cost of horse domestication [Lien]