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Le Maître de Santiago de Henry de Montherlant

Cette pièce de Montherlant suit Don Alvaro de l'ordre de Santiago, en proie à un conflit intérieur dans une Espagne en expansion coloniale.
Portrait de Giulio Clovio par Le Greco vers 1571-1572 | Domaine public
Portrait de Giulio Clovio par Le Greco vers 1571-1572 | Domaine public

Œuvre particulièrement remarquée lors de sa représentation, Le Maître de Santiago rencontre un certain succès et les critiques à son égard sont assez élogieuses. Par sa fidélité au style classique et son histoire assez austère, Montherlant parvient ici à nous présenter une œuvre qui, bien que surannée au premier regard, s’illustre par une richesse presque philosophique.  

Qui était Henry de Montherlant ?

Henry de Montherlant n’est pas un nom qui reste le plus gravé dans la mémoire des lecteurs, sans être totalement éclipsé non plus. Qu’est-ce qui l’a relégué au second plan ? Une écriture trop classique ? Son ambiguïté pendant la Seconde Guerre mondiale ? Un cortège de scandales trop manifeste pour la postérité ? Vraisemblablement, l’explication résulte de plusieurs facteurs.

Tant et si bien qu’aujourd’hui, s’il est toujours lu, il n’a pas forcément le vent en poupe. On est plus tenté de le trouver sur les brocantes que dans les librairies. Il n’est pas de ses écrivains qui fait aujourd’hui encore la richesse des maisons d’édition et peut-être est-ce ici aussi une piste à creuser.

Tout cela ne lui retire pas ses heures de gloire et la notoriété de son œuvre, qui arpente des thématiques paradoxales et parfois taboues, passant de la religion à l’aristocratie, en passant par les amours homosexuels.

Son inspiration, il la puise dans le passé et il cultive une fascination pour l’Antiquité et ses vertus. Dans son théâtre, on distingue entre les lignes cette influence que les pièces grecques et romaines ont pu avoir sur sa philosophie et son écriture.

Son œuvre est d’ailleurs récompensée par plusieurs prix et surtout par son entrée à l’Académie française en 1960. Finalement, âgé de 77 ans et réduit, notamment par une déficience visuelle, il en vient à se suicider, en justifiant celui-ci d’une certaine manière par sa conception antique de l’existence.

Parution et réception de la pièce

C’est en 1947 que Henry de Montherlant fait publier Le Maître de Santiago.

La pièce, dont l’intrigue est nourrie de christianisme, n’est pas la seule de sa carrière. D’autres suivront, comme Port-Royal ou encore Le Cardinal d’Espagne, publiées en 1954 et 1960. Port-Royal, qui met en scène l’existence des jansénistes en France, peut rappeler à certains égards le Dialogue des Carmélites de Georges Bernanos.

Fidèle à son amour pour le théâtre classique, Montherlant fait en sorte que l’œuvre reprenne la forme conventionnelle, en respectant notamment le fameux triptyque des unités de temps, de lieu et d’action.

Photographie de Henri de Montherlant par Henri Manuel avant 1947 | Domaine public
Photographie de Henri de Montherlant par Henri Manuel avant 1947 | Domaine public

Le Maître de Santiago est représenté pour la première fois le 26 janvier 1948 au théâtre Hébertot à Paris. La satisfaction est palpable chez les critiques et amis de Montherlant, comme le prouve l’écrivain Julien Green, qui affirme que « l’auteur avec tout son génie, touche à des choses très graves avec une sorte d’insolence qui fait peur ».

Que raconte Le Maître de Santiago

Le drame tourne autour du personnage principal, Don Alvaro Dabo, membre de l’ordre de Santiago, dont la personnalité allie dévotion, piété voire cynisme. Sa seule ambition désormais est de se détourner de tout ce qui l’entoure pour se concentrer uniquement sur son âme.

Il se contente de jeter un regard froid et désabusé vers le monde, parfois même vers sa propre fille, Marianna, qui doit choisir entre suivre son père ou s’en émanciper. Le leitmotiv de Don Alvaro peut se résumer en une phrase essentielle de la pièce « Seul est essentiel, ou plutôt seul est réel ce qui se passe à l’intérieur de l’âme ».

D’autres personnages interviennent, en prenant le contrepied de Don Alvaro, notamment Don Bernal. Accompagné d’autres camarades, ils cherchent à convaincre Don Alvaro de partir vers les colonies, l’objectif principal étant de permettre à Marianna d’épouser le fils de Don Bernal, sans ignorer la fortune dont cette dernière peut hériter.

Mais, bien évidemment, pour l’inciter à quitter cette Espagne qu’il méprise, on ne lui vend pas la prospérité qu’il peut découvrir là-bas : cela n’aurait pas d’effet sur un homme qui méprise les ambitions matérielles. Au contraire, on joue sur une corde sensible en insistant sur la chute de ce « Nouveau monde » déjà perdu et dans lequel l’austérité de Don Alvaro peut s’accommoder sans difficulté. On va jusqu’à lui faire croire que c’est le roi qui souhaite sa présence là-bas.  

Bref, ce sont deux conceptions qui s’opposent dans cette Espagne qui savoure son âge d’or, entre ceux qui veulent l’embrasser et ceux qui veulent y renoncer. Don Alvaro ne se limite pas à l’Espagne seule : il cherche aussi à « sauver » sa fille de ce monde et de son impureté car à ses yeux, l’extirper de ce monde, c’est la sauver tandis que pour les autres, c’est la condamner.

Pourquoi lire cette pièce ?

L’intérêt de ce drame assez rapide à lire, c’est d’abord de découvrir un auteur plutôt oublié et de profiter de son écriture classique et des références qu’il a pu convoquer dans cette histoire.

Un clin d’œil aux ordres espagnols

Le Maître de Santiago offre un contexte historique espagnol assez simple à comprendre : la Reconquista est terminée, la course aux colonies est lancée et ses excès avec elle.

Portrait d'un chevalier de l'ordre de Santiago par Juan Pantoja de la Cruz en 1601 | Domaine public
Portrait d’un chevalier de l’ordre de Santiago par Juan Pantoja de la Cruz en 1601 | Domaine public

Dès lors, quelle place accorder à ces ordres nés dans la foulée de cette reconquête ?

Ici, c’est l’ordre de Santiago que Montherlant met en scène. Celui-ci apparaît dans le royaume de León à la fin du XIIe siècle. Comme beaucoup, il est motivé à la fois par une entreprise sociale, religieuse et militaire.

Le territoire espagnol est scindé en deux, entre d’un côté les royaumes musulmans et de l’autre les royaumes chrétiens au sein desquels les ordres se multiplient.

D’un autre côté, quelques conflits naissent entre l’ordre et les autorités en place, qu’elles soient temporelles ou spirituelles, notamment afin de garantir son indépendance. Finalement, une fois le territoire entier récupéré, la couronne reprend progressivement le commandement des différents ordres, dont celui de Santiago. Dès lors, l’ordre décroît et perd en importance. C’est cette période que Montherlant a décidé d’investir pour sa pièce.

Une critique du colonialisme

Un autre point peut nous interpeller dans l’œuvre, c’est la référence au colonialisme et le message de Montherlant à ce sujet dans l’œuvre. La question des colonies occupe l’histoire, nous l’avons vu, et une phrase de Don Alvaro peut attirer notre attention à ce sujet : « Les colonies sont faites pour être perdues. »

Peut-on mettre cette phrase sur le seul dos de l’œuvre ? C’est difficile à croire. Montherlant était effectivement plutôt opposé au colonialisme et il a souvent formulé des critiques envers celui-ci.  Ces réflexions étaient en partie inspirées de ses nombreux voyages qu’il a pu effectuer dans des pays colonisés.

Son ouvrage La Rose des sables, écrit dans les années 1930 mais seulement publié en 1968, met en évidence sa position sur le sujet. Si ça n’est pas là son seul texte où il fait part de son avis sur la question, c’est un des plus importants.

Il y dénonce le mauvais traitement des Français au travers des violences physiques, du mépris, du cynisme… En bref, en 1947, quand Le Maître de Santiago paraît, il est possible d’y voir un parallèle avec les questions coloniales dont le débat ne cesse de s’intensifier.

Quelle rapport à la religion ?

Autre point à questionner : est-ce que ce texte est une critique à demi-mots de la religion catholique ? La rigueur de Don Alvaro offre ici un portrait mitigé.

Il est vrai que l’immobilité du personnage est assez déroutante et peut parfois lasser. Don Alvaro est une ligne constante, du début à la fin de la pièce, son avis n’évolue pas, quoi qu’on puisse lui opposer. Montherlant a voulu en faire, consciemment ou inconsciemment, un homme dont les convictions sont tellement inébranlables que même sa propre fille ne peut le déstabiliser.

Ce qui a beaucoup intéressé les critiques c’est de comprendre jusqu’où il s’est décrit dans Don Alvaro. Quand son personnage dit avoir soif « d’un immense retirement » par rapport au monde, qui parle ? Même chose quand il dit être « affamé de silence et de solitude » ? À quel point Montherlant s’est immiscé dans Don Alvaro ?

Montherlant a fait de Don Alvaro un chrétien imparfait. On peut critiquer Alvaro en cela qu’il manque à son devoir de bon chrétien à cause de sa solitude, son mépris, son souhait de préserver son âme, tout cela l’obligeant à renier des engagements chrétiens. Dès lors, ce chrétien imparfait que Montherlant a composé ici était précisément ce qu’il recherchait. Dans ses notes, il nous dit, en paraphrasant sa personnalité :

« J’ai toujours souligné que d’abord il rejetait le monde, et que c’est ensuite seulement qu’il y mettait Dieu. Je crois que c’est là l’unique raison pourquoi son christianisme n’est pas parfait : une question de priorité, si je puis dire. »

En bref, cette pièce est intéressante à lire ou bien à regarder dans ses adaptations. Sans être l’œuvre la plus connue de Montherlant, elle nous autorise une parenthèse et une réflexion sur la question essentielle de notre investissement dans le monde et de notre ambition dans celui-ci, tout en rappelant, à l’inverse de Don Alvaro, que

« Ce qui est humainement beau, ce n’est pas de se guinder, c’est de s’adapter ; ce n’est pas de fuir pour être vertueux tout à son aise, c’est d’être vertueux dans le siècle, là où est la difficulté. »

Don Bernal, Le Maître de Santiago

Quelques sources et liens utiles

MONTHERLANT (Henri de), Le Maître de Santiago, Paris, Gallimard, coll « Folio », 1972.

ROBERT (Sébastien), Montherlant, Grez-sur-Loing, Pardès, coll. « Qui suis-je ? », 2019.

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