Il est difficile aujourd’hui de s’imaginer un monde avec des livres censurés et interdits à la vente. Néanmoins, et pendant longtemps, le pouvoir politique et le pouvoir religieux ont été amenés à créer des listes de livres et auteurs interdits à la vente et/ou à la lecture. L’Index librorum prohibitorum, dans son nom complet Index librorum prohibitorum juxta exemplar romanum jussu sanctissimi domini nostri est une liste d’ouvrages proscrits, instaurée dans le monde catholique à partir du Concile de Trente (1545 – 1563).
Le contexte de création de cet Index
Le Concile de Trente est à l’initiative des demandes de Jean Calvin et Martin Luther vis-à-vis des nombreuses interrogations soulevées par la réforme protestante. Cette période marque une importante réformation de l’Église dans l’ensemble de l’Europe.
Le concile débute à partir du 13 décembre 1545 sous le pontificat de Paul III (3 en chiffres romains). Il se termine dix-huit ans plus tard, après vingt-cinq sessions et la gouvernance de cinq pontificats (Paul III, Jules III, Marcel II, Paul IV et Pie IV) le 4 décembre 1563. Des questions théologiques sont évoquées, notamment le péché originel, les sacrements, les saints, ou encore le dogme de la transsubstantiation (changement du pain et du vin en la substance du corps du Christ) .
Ce concile est très important dans l’histoire religieuse, il marque une véritable séparation entre l’Église médiévale et l’Église des temps classiques (selon Régine Pernoud, Pour en finir avec le Moyen Âge, Seuil, 1977, p. 159).
Depuis, il n’y a eu que deux conciles, le premier étant le Concile de Vatican I, entre 1869 et 1870, qui a brutalement été arrêté pendant la guerre franco-prussienne, puis Vatican II entre 1962 et 1965.
Contenu et fonctionnement de cet Index
En 1559, le premier Index est publié à la demande de l’Inquisition. Il est confirmé en 1564 et une nouvelle institution, la congrégation de l’Index, est en charge de vérifier les livres et de les inscrire sur cette liste en cas de non-respect des règles religieuses.
Ce n’est pas simplement une liste punitive, il est possible pour les auteurs de venir défendre leur ouvrage devant la congrégation. Il est conseillé de venir le présenter en amont de la publication, ou bien de venir avec une nouvelle réédition d’un livre déjà publié.
Nous évoquions dans un précédent article la publication du livre Malleus Maleficarum, publié à suite de la bulle papale Summis desiderantes affectibus de 1484. Ce livre codifie la chasse aux sorcières. Dans un premier temps plébiscité par l’Église, le livre se trouve être dénigré puis inscrit dans l’Index à partir de 1545.
L’Index a été maintenu jusqu’en 1966, la dernière mise à jour de cette liste a été effectuée en 1948, avec plus de quatre mille références censurées par le monde religieux. Cela implique des centaines et des centaines d’auteurs de toutes les époques, dont notamment des auteurs très célèbres ; Montaigne, Diderot, Rousseau, Descartes, Montesquieu, Laurence Sterne, Voltaire, Daniel Defoe, Balzac, Larousse pour son Dictionnaire du XIXe siècle, André Gide (pour l’ensemble de son œuvre, en 1952), ainsi que le sexologue hollandais Theodor Hendrik van de Velde, auteur du manuel sur la sexualité Le Mariage parfait.
Presque tous les philosophes occidentaux ont été inclus dans l’Index – même ceux qui croyaient en Dieu, tels que Descartes, Kant, Berkeley, Malebranche, Lamennais et Gioberti. Les athées, tels que d’Holbach, le marquis de Sade, Schopenhauer et Nietzsche, ne sont pas inclus en raison de la règle tridentine que les œuvres hérétiques (qui contredisent le dogme catholique) sont ipso facto interdites.
« Parmi tous les écrits présents dans l’Index, la Bible avec ses adaptations, ses commentaires et les études bibliques, est de loin le livre le plus censuré jusqu’à la suppression de l’Index. Les éditions de la Bible en latin, en grec, dans les langues vulgaires en tout ou en partie, ainsi que des commentaires bibliques figurent nombreux dans le premier index roman. L’interdiction, maintenue pendant deux siècles, d’adapter la bible en langue vulgaire finit par assimiler dans l’imaginaire collectif les traductions bibliques aux livres hérétiques, dit Gigliola Fragnito. Plusieurs raisons justifiaient ces interdictions aux yeux des censeurs, principalement l’existence d’éditions altérées et commentées par des hérétiques, et la méfiance à l’égard d’une interprétation personnelle du texte révélé, que seule l’Église pouvait interpréter d’une façon authentique. Le contact direct avec les sources de la foi pouvait provoquer des remises en question et altérer la doctrine, la morale, et l’organisation de l’Église »
Jesus-M. de Bujanda et Marcella Richter, Index librorum prohibitorum: 1600-1966, éditions Librairie Droz, 2002, p. 41, extraits en ligne.
L’Index a été définitivement supprimé le 14 juin 1966 par le pape Paul VI. Aujourd’hui, cette liste reste un guide moral pour les catholiques.
Quelques liens et sources utiles
Jesús Martínez de Bujanda (compilé par Marcella Richter), Université de Sherbrooke – Centre d’études de la Renaissance, Index librorum prohibitorum – 1600-1966 (vol. 11 de Index des livres interdits), éditions Librairie Droz , 2002
Pierrette Lafond, « Lire et laisser une trace : ex-libris, lectures interdites et collections particulières », Conserveries mémorielles. Revue transdisciplinaire, 2008