Les traditions funéraires scandinaves, bien avant l’ère viking (VIIIe-XIe siècles), accordaient déjà une place particulière au navire. Symbole de voyage, outil de puissance, moyen d’existence et de communication, il est devenu, au fil des siècles, un élément central dans la relation des peuples nordiques avec la mort et l’au-delà.
Du simple motif gravé dans la pierre à la mise en terre de véritables navires, l’évolution des pratiques témoigne d’un attachement profond au bateau, à la fois pour sa valeur pratique et pour sa dimension spirituelle. Depuis l’âge du Bronze jusqu’à l’âge du Fer, puis à l’âge viking, le bateau-tombe a incarné une passerelle entre le monde des vivants et celui des morts.
Âge du Bronze et Âge du Fer
Dès l’âge du Bronze, c’est-à-dire de 2000/1750 à 500 av. J.-C., plusieurs monuments funéraires furent érigés, comme le navire de pierre du lac Mjösjön. Cela montre que les bateaux étaient déjà très utilisés par les Scandinaves pendant la protohistoire et la préhistoire.
L’art rupestre nordique souligne l’importance des voies navigables pour ces peuples, nécessaires pour subvenir à leurs besoins, comme on le voit avec l’art de la culture Komsa, issue d’une tradition de chasseurs-cueilleurs de l’âge de pierre.
Cette continuité se retrouve dans les pratiques funéraires de l’âge du Fer, qui prolongent celles des siècles précédents : les constructions mégalithiques se transforment peu à peu en véritables navires, objets de voyage vers l’autre monde. En Suède, les pierres d’Ale, monument en pierre vieux d’environ 1 400 ans, ou l’épave mégalithique d’Askeberga témoignent de cette importance symbolique de la navigation.
Le navire est ici l’outil central : commerce, pêche, guerre… mais aussi pouvoir politique et croyance religieuse. Les bateaux-tombes en bois apparaissent dans les siècles suivants. Parfois, il ne reste que des rivets ou des traces de la coque ; parfois, le navire est conservé presque entier. Leur coût en faisait un privilège réservé aux élites, comme en attestent les objets funéraires luxueux retrouvés : armes, bijoux, harnais, ustensiles de cuisine, équipements équestres ou instruments de musique.
Ces sépultures deviennent des messages politiques et spirituels, annonçant les grandes réalisations de l’époque viking, avec des tombes emblématiques comme celles de Gjellestad ou d’Oseberg.
Âge viking
Parmi les navires les plus célèbres de l’âge viking, on retrouve ceux d’Oseberg, de Gokstad et de Gjellestad. Ces sépultures monumentales sont souvent dissimulées sous des collines, tumulus de l’ère viking. À Gjellestad, un bateau de près de 20 mètres de long, daté autour de l’an 800, a été découvert, bien que la tombe ait été pillée.
Le bateau d’Oseberg, long de 22 mètres et daté de 834, contenait les restes de deux femmes accompagnées d’objets raffinés : coffres, tissus de laine et de soie, outils du quotidien, éléments animaux. L’importance et le raffinement des biens funéraires suggèrent que l’une d’elles pouvait être une reine ou une prêtresse, figure influente de la société scandinave.
Le bateau de Gokstad, quant à lui, abritait la dépouille d’un homme de haut rang, probablement un chef, accompagné de ses armes et de son navire de guerre. Le symbolisme de ces navires est fort. Dans la mythologie nordique, certains dieux Vanes, comme Freyr, divinité associée à la fertilité, à la terre et à la prospérité, sont liés aux bateaux.
L’Edda poétique, notamment dans le Lokasenna, mentionne le Skidbladnir, navire magique de Freyr capable de naviguer sur terre et sur mer, construit par les nains Brokk et Eitri. Les tumulus, bâtis dans la terre, pourraient être vus comme une connexion avec les divinités vaniques. Selon certaines traditions, Freyr lui-même aurait été enterré dans un tumulus, renforçant le lien entre sépulture, fertilité et navigation vers l’au-delà.
Un dernier voyage
De l’âge du Bronze à l’âge viking, le bateau-tombe scandinave révèle la permanence d’une idée : la mort n’est pas une fin, mais un voyage. Le navire, outil et symbole universel, incarne à la fois la puissance des vivants et l’espoir des morts.
Qu’il soit gravé dans la pierre, construit en bois ou dissimulé sous un tumulus, il reste un marqueur fort de la culture nordique, unissant traditions maritimes, croyances religieuses et hiérarchie sociale.
Quelques liens et sources utiles
CURRY A., Cet énorme bateau viking vieux de 1200 ans est un tombeau, National Geographic France, 2025.
JESCH J., Ships and Men in the Late Viking Age: The Vocabulary of Runic Inscriptions and Skaldic Verse, Boydell & Brewer, Cambridge, 2001.
NORDEIDE S.W., Late Iron Age Boat Rituals and Ritual Boats in Norway, Maritime Societies of the Viking and Medieval World, Londres, 2015.
PAASCHE K., Gjellestad, and other Norse Viking Ship Burial Sites, Viking 88, 2024.
PRINGLE H., Le mystère du bateau d’Oseberg, navire viking découvert il y a plus de 100 ans, National Geographic France, 2022
