Parmi les innombrables figures qui peuplent la mythologie grecque, certaines sont plus marquantes que d’autres. C’est le cas des Néréides, nymphes marines de la mythologie grecque antique qui se sont imposées comme des figures majeures de la culture contemporaine. Filles de Nérée et de Doris, ces cinquante divinités aquatiques qui formaient le cortège de Poséidon dans l’Antiquité trouvent désormais une nouvelle vie dans des domaines aussi variés que la nomenclature scientifique, la joaillerie de luxe ou simplement l’art muséal. Retour sur l’évolution de ces muses dont l’influence n’a jamais cessé de s’étendre malgré les années.
Origines mythologiques
Si l’on en croît la tradition hésiodique, les Néréides sont les cinquante filles du dieu marin Nérée, surnommé “le vieillard de la mer”, et de Doris, une Océanide. Le terme “Néréides” est évidemment lié au nom de leur père, qui pourrait s’apparenter au verbe νέω (néō), qui signifie “nager”.
Parmi les plus célèbres des Néréides, l’on peut retrouver Amphitrite, connue pour être épouse de Poséidon, Thétis, qui est la mère d’Achille, Galatée, qui est aimée du cyclope Polyphème, ainsi que Psamathée, qui est la mère de Phocos, qu’elle a eu avec Eaque. De manière globale, chacun des noms reflète un aspect particulier de la mer ou de ses phénomènes. Cymothoe signifie par exemple “qui court sur les vagues”, tandis que Galatée est associée à “laiteuse comme l’écume” et Amphitrite à “qui entoure”.

Les Grecs anciens apportaient de manière globale une grande importance aux Néréides. Elles sont en effet associées dans les récits mythologiques aux émotions humaines, et sont perçues de ce fait comme plus proches des humains que les dieux olympiens. A titre d’exemple, dans l’Iliade d’Homère, l’apparition des sœurs Néréides de Thétis pour la consoler lorsqu’elle pleure la douleur de son fils Achille suite à la mort de Patrocle symbolise la solidarité familiale et l’empathie. Elles sont aussi connues pour leur fierté légendaire, piquée au vif lorsque Cassiopée, reine d’Ethiopie, a osé prétendre que sa fille Andromède surpassait leur beauté.
Symbolique et représentations artistiques dans l’Antiquité
Les Néréides ont été représentées dès l’Antiquité comme de belles jeunes filles peu vêtues à la chevelure entrelacée de perles, qui chevauchaient les dauphins et les hippocampes avec à la main des objets aussi variés qu’un trident, une couronne ou bien une branche de corail. Un mélange de beauté féminine et de pouvoir aquatique qui se rapportait évidemment à leur double nature divine et marine. Les artistes antiques avaient également tendance à montrer les Néréides sous une forme hybride, mi-femmes mi-poissons, et les associaient fréquemment aux tritons dans les peintures et sculptures de l’époque.
La mosaïque de Neptune et des Néréides conservée au Musée du Bardo en Tunisie montre bien ce choix stylistique, ainsi qu’à quel point les artistes antiques percevaient finalement ces nymphes comme des êtres à la fois doux et bienveillants.
Par ailleurs, l’association des Néréides avec le cortège de Poséidon était aussi courante. Cela symbolisait le mouvement perpétuel de la mer ainsi que ses différentes humeurs, allant des eaux calmes à la violence des tempêtes. Leur usage était ainsi courant dans l’Antiquité, car il permettait d’illustrer la complexité des relations entre les humains et l’élément marin.
Les Néréides sont par la suite tombées partiellement dans l’oubli, leur image ayant tendance à fusionner au Moyen-Âge et à la Renaissance avec celle des sirènes et des tritons. Elles ont toutefois fini par connaître un renouveau au XVII et XVIIIe siècles dans les arts visuels et la poésie néoclassique, en témoigne notamment le tableau de François Boucher L’Enlèvement d’Europe (1747).

Néréides et science : l’héritage taxonomique
Si les Néréides sont aussi populaires dans la culture contemporaine, c’est en partie grâce à la nomenclature scientifique. Celle-ci s’est en effet inspirée à de nombreuses reprises des Néréides pour désigner des espèces marines. Une preuve de leur symbolisme aquatique dans l’imaginaire savant et de la reconnaissance implicite de leur pertinence pour qualifier la biodiversité marine.
Les annélidés (= vers marins) multiplient par exemple les références aux Néréides, au travers des genres Néréis, Amphinomé, Amphitrite, Clymène, Déro, Eunice, Europe, Hipponoé, Néoméris, Phéruse, Phyllodoce, Polynoe, Psamathée, Spio et enfin Xantho. Des références qui n’ont pas été faites au hasard, puisque ces vers colorés et gracieux évoquent naturellement la grâce et la fluidité qu’on attribue volontiers aux Néréides mythologiques. Par ailleurs, le dictionnaire Larousse qualifie le terme “néréide” de “annélide polychète errante commune sur les côtes de France”.
D’autres groupes marins font aussi référence aux Néréides. On retrouve par exemple les Dynamène, Laomedie et Nausithoé chez les cnidaires, les Ampithoé, Galatée et Cymo chez les crustacés et les Doris, Erato et Panope chez les mollusques. Une diversité taxonomique qui prouve que la science moderne s’est servie de l’héritage mythologique pour mieux structurer sa compréhension du monde naturel.
Néréides et influence artistique contemporaine
La transformation la plus spectaculaire des Néréides dans la culture contemporaine est incontestablement leur adoption comme emblème de la maison de joaillerie du même nom, fondée à Nice en 1980 par Pascale et Enzo Amaddeo. Un choix de nom qui fut inspiré par le grand-père de Pascale, qui était un ami du célèbre peintre René Magritte, mais aussi par les valeurs symboliques de féminité et d’élégance qu’incarnent les Néréides.
Mais la philosophie de la marque va plus loin que la simple référence esthétique. Ce qui intéresse ses créateurs est avant tout la capacité des Néréides à se réinventer sans cesse pour s’adapter au présent. C’est en effet toute l’ambition de la maison qui, aujourd’hui dirigée par la seconde génération avec entre autres Pier Paolo Amaddeo et sa soeur Bianca, continue de perpétuer “un style féminin et sophistiqué où couleurs et symboles poétiques ont la part belle”. Une transmission familiale qui fait écho aux généalogies de la mythologie grecque, dans laquelle les qualités et les pouvoirs se transmettent de génération en génération.
Par ailleurs, la maison de joaillerie a noué une collaboration artistique avec le Musée d’Orsay, tout aussi intéressé par la symbolique mythologique autour des Néréides. L’objectif était de créer une collection d’oeuvres majeures de l’art impressionniste et post-impressionniste à travers le prisme symbolique des Néréides. On y voit notamment des interprétations de “La Nuit Étoilée sur le Rhône” de Van Gogh et du “Bassin aux nymphéas” de Monet où l’eau, symbole du mythe néréen, est mise à l’honneur.
Au-delà de la maison Les Néréides, l’image des nymphes continue de perdurer dans la littérature (Percy Jackson de Rick Riordan), dans le cinéma (Calypso dans Pirate des Caraïbes) et même dans le jeu vidéo (Assassin’s Creed Odyssey), ce qui témoigne de leur capacité à se réinventer sans perdre leur authenticité. En constante métamorphose, les Néréides confirment finalement l’intuition mythologique qui voyait en elles des symboles de transformation perpétuelle et de renouvellement créatif.
Quelques liens et sources utiles :
Marguerite Yourcenar, L’Homme qui a aimé les Néréides, Nouvelles orientales, 1938