Si la majorité civile en France rime avec l’accès à de nouveaux droits et libertés, très peu pensent au fait qu’à partir de cet âge, on peut sauver des vies. Eh oui, une personne en bonne santé et pesant plus de 50 kilos peut, à 18 ans, rejoindre le million et demi de donneurs de sang, et faire un don qui, en une heure seulement, peut sauver 3 vies.
Cet acte si anodin, simple et rapide, n’a pourtant pas toujours été acquis et représente des siècles de recherche et d’expérimentation médicale !
Le sang, un liquide précieux ?
À travers le temps, le sang a été associé à diverses représentations symboliques, spirituelles ou encore religieuses. Dans l’Égypte antique, le sang est identifié comme la source de la vie et l’abri de l’âme. C’est le médecin français Jean Bernard (1907-2006), hématologue et cancérologue, qui, dans Le Sang et l’histoire (1983), divise la perception du sang dans le passé en 3 catégories :
- Le sang comme élément religieux, tant par sa valeur lors des sacrifices païens de l’Antiquité que par son symbolisme dans le christianisme avec le vin, représentant le sang du Christ.
- Le sang en tant qu’identité et vecteur de transmission de l’hérédité, porteur de l’histoire de l’individu et contenant les vertus, caractères et défauts de son ascendance familiale.
- Le sang qui hiérarchise les groupes humains, distinguant des sangs bons, purs, des sangs mauvais et impurs.
Le sang est longtemps perçu comme la cause de toutes les maladies, et ce jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, quand la théorie des humeurs est remise en cause par les scientifiques.
Cette théorie, développée par le médecin grec et père de la médecine, Hippocrate (460 av. J.-C – 377 av. J.-C), considère le sang comme l’un des quatre liquides régulant la santé et le corps humain, aux côtés de la bile noire, de la bile jaune et de la lymphe. Lorsqu’un déséquilibre des humeurs survient, la personne est malade et on pratique donc une saignée : on fait couler le sang pour évacuer le « mauvais » sang et rééquilibrer les humeurs du corps.
On pense aussi que le sang est produit par le foie et est transporté jusqu’au cœur, qui l’envoie aux organes grâce à un souffle vital. En effet, lors de dissections d’êtres morts, le foie est rempli de sang, tandis que les artères sont vides et le cadavre ne saigne pas, puisque le cœur ne propulse plus le sang.
Quand la science s’en mêle
Une révolution scientifique est amorcée à partir de 1628, lorsque le docteur et scientifique anglais William Harvey publie Exercitatio Anatomica de Motu Cordis et Sanguinis in Animalibus, traduit en français par Exercice anatomique sur le mouvement du cœur et du sang chez les animaux.
Dans son ouvrage, Harvey explique que le cœur fonctionne comme une pompe pour faire circuler le sang, qui est propulsé puis remonte vers le cœur par retour veineux. Le médecin explique ainsi la circulation sanguine.
Les premiers essais de transfusion sanguine
En 1670, un médecin parisien nommé Jean-Baptiste Denis tente de soigner des patients en leur transfusant du sang animal. Si les trois premiers tests semblent fonctionner, le quatrième essai se conclut par un décès : il s’agit du premier accident hémolytique transfusionnel ! À cause de cet incident, le Parlement de Paris interdit toute transfusion sous peine de punition corporelle. Cet interdit, qui dure près de 150 ans, retarde considérablement les progrès scientifiques.
Les transfusions de l’époque consistaient à donner du sang d’animal aux hommes. Cette pratique s’explique par la croyance que, en transmettant le sang d’animaux doux (veau, agneau), les vertus associées à ces mammifères seraient propagées à l’humain ; alors qu’on craignait que la transfusion de sang humain à humain n’aggrave l’état du malade à cause des vices mauvais traversant l’homme (colère, jalousie…). En outre, comme on consommait du lait animal, on pensait qu’ingérer du sang, d’une façon ou d’une autre, pourrait également être bénéfique.
La reprise de la pratique médicale
En Angleterre, l’obstétricien James Blundell tente de sauver ses patientes, nombreuses à mourir en couches, en pratiquant des transfusions interhumaines. Il relance ainsi la pratique de la transfusion de l’autre côté de la Manche. Néanmoins, deux obstacles subsistent pour réellement réussir toutes les transfusions : l’ignorance des groupes sanguins (qui rend certains sangs incompatibles entre eux) et la coagulation du sang, qui fait qu’il devient solide dès son prélèvement.
Quelques décennies plus tard en France, paraît l’essai du docteur Charles Marmonier, De la transfusion du sang (1869), qui réussit à sauver la vie de femmes grâce à des transfusions sanguines.
« Je n’ai pas eu d’autre but, en produisant ce travail, que de chercher à répandre l’étude de la transfusion, afin de la faire rentrer davantage dans la pratique […] et si je puis, pour ma faible part, contribuer à la généralisation de cette opération, je croirai avoir atteint le but de mes efforts. J’aurais du moins justifié ces mots placés en tête de ce livre : C’est encore être utile que de vulgariser. »
De la transfusion du sang (1869), par le Dr Charles Marmonier
Le XXe siècle, l’accélération de cette technique médicinale
Jusqu’ici, l’ignorance des groupes sanguins posait encore des difficultés. L’obstacle est contourné grâce au médecin Karl Landsteiner, qui découvre en 1902 le système ABO des groupes sanguins. On comprend enfin la structure des groupes et leur compatibilité (ou non). La voie à la transfusion sanguine moderne est ainsi ouverte !
Arrive ensuite la Première Guerre mondiale, qui, plus qu’un champ de batailles, est un véritable terrain d’expérimentations médicales.
Le 16 octobre 1914, le caporal Henri Legrain est le premier Français à être directement transfusé de bras à bras humains et est ainsi sauvé. On met aussi au point un premier anticoagulant qui permet de conserver le sang, le citrate de sodium.
Les pratiques de transfusion sanguine s’accélèrent, et en 1940, le biologiste Alexander Wiener, avec de nouveau Karl Landsteiner, découvre le facteur rhésus, du nom de la race du primate qui a servi aux expériences.
Les transfusions sont ainsi de plus en plus sûres, puisqu’on transfuse aux patients du sang qui a très peu de chances d’être incompatible avec le leur, évitant ainsi d’aggraver l’état du malade.
Le don du sang après la Seconde Guerre mondiale
La Fédération Française pour le Don de Sang Bénévole voit le jour en 1950, sous l’égide d’Arnault Tzanck. Il milite pour que le don de sang soit un acte bénévole, volontaire et anonyme ; en bref, non rémunéré et altruiste. Ses volontés se concrétisent dans la loi en 1952 avec le vote de la première loi sur la transfusion sanguine :
« Le sang et ses dérivés ne sont pas des médicaments, ne constituent pas un bien du commerce, comme issus du corps humain »
Loi du 21 juillet 1952 fondant l’utilisation thérapeutique du sang humain, de son plasma et de ses dérivés
L’homme ne peut ainsi pas vendre son sang et ses dérivés (plasma, plaquettes) ni tout autre élément composant son corps.
En 2000 est fondé l’Établissement Français du Sang, le seul opérateur civil de la transfusion sanguine en France, placé sous la tutelle du ministère de la Santé.
Aussi, pour promouvoir le don du sang bénévole et volontaire, le 14 juin (date anniversaire de Karl Landsteiner) est choisi par l’Organisation Mondiale de la Santé pour être la Journée mondiale des donneurs de sang.
L’enjeu au XXIe siècle est d’encourager cette pratique, qui permet de sauver plus d’un million de malades chaque année juste en France. De plus, les techniques de conservation du sang ont évolué pour permettre au liquide d’être conservé jusqu’à 42 jours.
« la transfusion sanguine s’effectue dans l’intérêt du receveur et relève des principes éthiques du bénévolat »
Code de santé publique, article L.1221-1
À noter que le don de sang n’est pas toujours vu comme un acte bénévole. En effet, il est rémunéré dans certains pays, notamment aux États-Unis.
Donner son sang en 2024 en France
Le don du sang en France ne nécessite que de remplir quelques conditions :
- peser au moins 50 kg :
- avoir entre 18 et 70 ans ;
- être en bonne santé.
Toute discrimination a été abolie, notamment celle qui exigeait des hommes homosexuels qu’ils restent chastes pendant plusieurs mois, une restriction levée en 2022. On peut également faire un don de plasma ou un don de plaquettes : ce sont des dons plus longs (1h30 à 2h) mais moins fatigants, et essentiels pour la recherche médicamenteuse ou les traitements de chimiothérapie.
Quelques liens et sources utiles :
Site officiel de l’EFS : Etablissement francais du sang Consulté le 28 mars 2024.
DUBOZ Priscilla et BERLAND-BENHAIM Caroline. « Don(s) de sang : de quoi parle-t-on ? Approche anthropo-bio-culturelle du don de sang ». Corps, vol. 9, no 1, 2011, p. 291‑300. Consulté le 30 mars 2024.
Site officiel de la FFDSB. « Les grandes étapes de l’histoire de la transfusion sanguine ». Fédération Française pour le Don de Sang Bénévole, 10 octobre 2020. Consulté le 30 mars 2024.
Site officiel du Service du Sang de la Croix-Rouge de Belgique – L’histoire du sang. Consulté le 31 mars 2024.