En 2020, l’Argentine a été le théâtre d’une révolution sociale et politique qui a marqué un tournant dans l’histoire du pays et de la lutte pour les droits des femmes. La « Marée Verte » a déferlé sur les rues argentines, faisant vibrer le pays entier dans un océan d’espoir, de détermination et de revendications pour le droit à l’avortement.
Les rues de Buenos Aires, et bien au-delà, ont été inondées d’un océan de manifestants vêtus de vert, une couleur devenant le symbole puissant de la résistance et du changement. Dans cette exploration, nous plongeons dans l’histoire, les moments clés et les implications de la « Marée Verte » en Argentine, une lutte acharnée et finalement victorieuse pour l’autonomie des femmes sur leur propre corps.
Le droit à l’avortement avant la « Marée Verte »
L’histoire du droit à l’avortement en Argentine (à l’instar de la France, la Pologne ou encore des Etats-Unis) est un récit complexe et nuancé, marqué par des influences culturelles, religieuses et politiques. Avant la percée législative de la « Marée Verte » en 2020, l’Argentine avait des lois restrictives en matière d’avortement.
Les racines des lois anti-avortement en Argentine proviennent de l’influence de l’Église catholique et de la moralité sociale traditionnelle, à l’instar de tout le continent Sud-Américain. Au début du XXe siècle, l’avortement était déjà largement restreint, mais des exceptions ont été mises en place pour les cas où la vie de la mère était en danger. Cependant, ces exceptions étaient souvent interprétées de manière très restrictive.
Jusqu’aux années 2000, les lois sur l’avortement en Argentine n’ont pas connu de changements majeurs. Parfois légèrement assouplies (selon des circonstances très limitées), les influences conservatrices de l’Église catholique ont continué de jouer un rôle important dans le maintien de l’interdiction des femmes à disposer de leur corps.
2018, année charnière pour l’Argentine
Avorter « c’est comme avoir recours à un tueur à gages pour résoudre un problème« , disait le pape François à l’intention de sa terre natale, l’Argentine, le 10 octobre 2018. C’est d’ailleurs l’argument principal de l’idéologie pro-vie, opposée à l’avortement.
La « Marée Verte » trouve ses racines dans les efforts constants des groupes féministes et des organisations de défense des droits des femmes en Argentine. La lutte pour le droit à l’avortement avait été active pendant des décennies, mais elle a gagné en visibilité et en force au fil du temps. Les chiffres étaient révélateurs du besoin de changement : chaque année, des centaines de femmes argentines étaient hospitalisées en raison de complications liées à des avortements clandestins, et des dizaines en mouraient.
Entre 2001 et 2017, plus de 3 000 femmes sont décédées en Argentine en raison de complications liées à des avortements illégaux.
Le symbole du foulard vert, largement associé à la « Marée Verte, » est un hommage aux « Mères de la Plaza de Mayo. » Ces mères étaient les mères de victimes de la dictature militaire en Argentine dans les années 1970 et 1980. Elles ont manifesté chaque semaine sur la Plaza de Mayo à Buenos Aires, portant des foulards blancs pour réclamer la justice pour leurs enfants disparus.
Le choix du foulard vert en tant que symbole de la « Marée Verte » a été délibéré, car il reflète la solidarité et la persévérance des femmes argentines dans la lutte pour leurs droits, tout en honorant l’héritage des Mères de la Plaza de Mayo. La couleur verte a été choisie pour symboliser l’espoir et la vie, contrastant avec le deuil du foulard blanc des Mères.
L’adoption du foulard vert en tant que symbole a été cruciale pour la « Marée Verte ». Il a uni les militants et les militantes sous une bannière commune, créant une identité visuelle forte pour le mouvement. Cette union symbolique a permis de rassembler des personnes de différents horizons, y compris des célébrités, des activistes et des citoyens ordinaires, pour lutter ensemble en faveur du droit à l’avortement.
Il a également permis de briser les tabous autour de l’avortement et de sensibiliser la société argentine à la réalité des femmes qui cherchaient désespérément à mettre fin à leurs grossesses de manière non sécurisée. En fin de compte, la « Marée Verte » a démontré l’importance d’avoir un symbole puissant pour un mouvement social, car il peut unir les gens, renforcer leur détermination et faire avancer la cause.
Le projet de loi de 2018 sur l’avortement en Argentine a été une étape décisive dans la lutte pour la légalisation de l’avortement. Il visait à autoriser l’avortement jusqu’à la 14e semaine de grossesse, établissant un cadre légal pour l’accès à l’avortement sûr et médicalisé pour les femmes argentines. Le projet de loi prévoyait également la mise en place de centres de santé publics pour effectuer des avortements dans le respect de la confidentialité et de la dignité des femmes.
Il est important de noter que ce projet de loi a été le résultat de nombreuses années de plaidoyer de la part des militants pour les droits des femmes et qu’il a été appuyé par un mouvement social massif. Bien que le projet de loi ait été adopté par la Chambre des députés, il a été rejeté de justesse par le Sénat argentin lors d’un vote serré en août 2018.
Cependant, ce rejet n’a pas mis fin à la détermination du mouvement pour les droits des femmes en Argentine, qui a continué à lutter pour faire avancer la cause de la légalisation de l’avortement.
Victoire de la « Marée Verte » en 2020
Après des décennies de lutte acharnée, le Congrès argentin a finalement adopté la loi qui autorise l’avortement jusqu’à la 14e semaine de grossesse. La légalisation de l’avortement en Argentine a envoyé un message puissant sur l’autonomie des femmes sur leur propre corps et a brisé un tabou sociétal profondément enraciné.
Cette victoire en Argentine a également inspiré l’espoir dans d’autres pays d’Amérique du Sud où les lois sur l’avortement sont souvent plus restrictives. Elle a montré que le changement est possible, même dans des sociétés où l’influence de l’Église catholique et d’autres forces conservatrices est significative. L’Argentine est devenue un modèle pour les mouvements féministes dans la région, encourageant les militantes à intensifier leurs efforts et à plaider pour des réformes similaires.
Cependant, la situation des femmes en Amérique du Sud varie encore considérablement d’un pays à l’autre en ce qui concerne l’accès à l’avortement et d’autres droits reproductifs. Certains pays, comme le Chili et l’Uruguay, ont adopté des lois plus libérales, tandis que d’autres, comme le Brésil, ont maintenu des restrictions strictes sur l’avortement.
La lutte pour les droits des femmes reste donc un défi continu dans toute la région, mais la victoire de l’Argentine montre que le changement est possible grâce à la persévérance et à la mobilisation des militants et des militantes pour les droits des femmes.
Quelques liens et sources utiles
Amnesty International, « La Vague Verte », août 2018.
Noelia Rozanski, « Sorcière enceinte: Criminalisation patriarcale du corps (non-)maternel dans l’accès à l’avortement en Argentine », Editions Notre Savoir, 01/04/2022.