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La Decada Infame en Argentine (1930 – 1943)

Ce coup d'État plonge le pays dans une ère de répression, de fraude électorale, et de corruption systémique appelée Decada Infame.
Coup d'État de 1943 - Auteur inconnu | Domaine public
Coup d’État de 1943 – Auteur inconnu | Domaine public

La Decada Infame, période s’étendant de 1930 à 1943, représente un tournant sombre dans l’histoire de l’Argentine. Elle débute avec le coup d’État qui renverse le président démocratiquement élu Hipólito Yrigoyen et marque l’avènement d’un régime autoritaire. Ce coup d’État, orchestré par le général José Félix Uriburu, plonge le pays dans une ère de répression, de fraude électorale, et de corruption systémique. 

La crise économique mondiale causée par le krach de 1929, ainsi que l’intervention croissante des puissances étrangères dans les affaires internes du pays, contribuent à la détérioration des institutions démocratiques. Malgré ces défis, cette période voit aussi l’émergence de nouvelles forces politiques et sociales qui poseront les bases du péronisme, préparant ainsi le terrain pour une transformation profonde de la société argentine.

Le coup d’État de 1930, début de la Decada Infame

Le coup d’État du 6 septembre 1930 marque le début de la Decada Infame, une période de turbulences politiques et sociales en Argentine, mettant fin à l’hégémonie du parti radical et établissant un régime autoritaire.

Le coup d’État du 6 septembre 1930

Le 6 septembre 1930, le général José Félix Uriburu renverse le président Hipólito Yrigoyen par un coup d’État. Commandant environ 2000 militaires, Uriburu marche sur Buenos Aires et s’empare de la Casa Rosada, évinçant le gouvernement en place. Il devient président provisoire, assumant à la fois les pouvoirs législatif et exécutif, et nomme un cabinet composé de membres du Parti conservateur, écartés de la fonction publique depuis l’arrivée d’Yrigoyen.

Les critiques à l’encontre de Yrigoyen, amplifiées par les médias et la montée de ligues fascistes, ainsi qu’une perte de confiance dans les institutions démocratiques, ont favorisé ce coup d’État. Ce dernier reflète une insatisfaction croissante parmi certains hommes politiques et des cadres militaires quant à la capacité des institutions démocratiques à assurer la stabilité du pays.

Coup d'état en 1930 - Auteur inconnu | Domaine public
Coup d’état en 1930 – Auteur inconnu | Domaine public

Instauration de l’autoritarisme

Sous Uriburu, l’Argentine entre dans une période de dictature marquée par l’absence de participation populaire, la persécution de l’opposition, la torture des détenus politiques et la répression des mouvements syndicaux. Bien que le radicalisme ne soit pas officiellement interdit dans un premier temps, il est sévèrement entravé par des restrictions imposées aux anciens membres du gouvernement d’Yrigoyen.

José Uriburu et Agustín Justo - Auteur inconnu | domaine public
José Uriburu et Agustín Justo – Auteur inconnu | domaine public

Le gouvernement intervient pour protéger les intérêts des grandes entreprises durant la crise économique, utilisant des fonds publics à cette fin. Cette période est également caractérisée par la corruption, avec l’émergence d’une caste de negociados, impliquée dans divers scandales.

Appelée aussi la restauración conservadora, cette période est marquée par une forte pression sociale due à l’augmentation des impôts, la réduction des dépenses publiques, et la dévaluation de la monnaie. Uriburu instaure la loi martiale, dissout le Congrès par décret, et intervient directement dans la nomination des gouverneurs dans 14 provinces, à l’exception d’Entre Ríos et San Luis, qui restent sous contrôle conservateur.

En avril 1931, malgré l’absence de campagne, les radicaux remportent les élections pour le poste de gouverneur de Buenos Aires. Cependant, le vainqueur, Honorio Pueyrredón, est remplacé en mai par un candidat conservateur, ce qui précipite la chute du gouvernement d’Uriburu

Face à une crise économique grave et à l’opposition croissante de ses propres soutiens, qui rejettent ses propositions de réforme constitutionnelle, Uriburu ne parvient pas à achever son mandat. En 1932, il convoque de nouvelles élections, massivement fraudées pour éviter le retour des radicaux au pouvoir. Cette “fraude patriotique” assure la victoire d’Agustín P. Justo, soutenu par la Concordancia, une coalition conservatrice. Les radicaux boycottent le scrutin en raison de l’interdiction de leur candidat.

L’ère des régimes civilo-militaires : entre corruption et interventions étrangères

L’ère des régimes militaires et civils durant la Decada Infame est marquée par une corruption systémique et des scandales économiques majeurs. Les politiques économiques de cette période révèlent une dépendance accrue vis-à-vis des puissances étrangères et des tentatives d’industrialisation qui mettent en lumière les tensions entre le nationalisme économique et l’influence étrangère.

Corruption systémique et scandales économiques

La Decada Infame est caractérisée par une corruption endémique au sein du gouvernement. L’un des scandales les plus significatifs est celui de la viande, révélé en 1935 par le député progressiste Lisandro de la Torre. Ce scandale expose comment des entreprises telles qu’Anglo, Armour et Swift échappent à l’impôt, tandis que les petites et moyennes entreprises sont lourdement taxées. Cette dénonciation entraîne une tentative d’assassinat contre de la Torre en plein Sénat. Bien qu’il survive, son collaborateur est tué.

Un autre scandale important éclate en 1936, concernant la prolongation du monopole de la Compagnie argentine d’électricité, sous contrôle britannique, jusqu’en 1997. Ce scandale illustre l’influence étrangère sur les affaires argentines à travers la corruption et le lobbying.

Uriburu et Lisandro de la Torre - Auteur inconnu | Domaine public
Uriburu et Lisandro de la Torre – Auteur inconnu | Domaine public

La politique économique et les relations internationales

Sur le plan économique, le gouvernement d’Agustín P. Justo (1932-1938) signe le Pacte Roca-Runciman avec le Royaume-Uni en 1933. Ce pacte assure à l’Angleterre l’achat continu de viande argentine au prix d’avant-crise, tandis que l’Argentine doit dépenser ses recettes d’exportation pour acheter des produits britanniques, maintenir les tarifs des chemins de fer (contrôlés par les Britanniques) et supprimer les droits de douane sur les produits anglais. Ce pacte est largement perçu comme un acte de néocolonialisme, compromettant l’indépendance économique de l’Argentine.

Face à la crise économique mondiale, l’Argentine cherche à s’industrialiser pour compenser la baisse des exportations. Toutefois, le manque de capitaux entraîne une dépendance accrue vis-à-vis des investissements étrangers, exacerbant les critiques d’ingérence. L’industrialisation se concentre principalement dans les grandes villes comme Buenos Aires et Córdoba, tandis que les zones rurales connaissent un déclin, entraînant une migration massive vers les centres urbains.

Le gouvernement Justo met en œuvre un programme de travaux publics (action également menée aux États-Unis avec le New Deal) pour stimuler l’économie, avec la construction d’infrastructures telles que l’Avenida General Paz et le collège militaire d’El Palomar. En 1935, la création de la Banque centrale et de la Direction générale des impôts vise à réguler l’économie, mais ces mesures s’avèrent insuffisantes pour résoudre pleinement les problèmes économiques du pays.

Fin de la Decada Infame et transition

La fin de la Decada Infame, marquée par des tentatives de réforme et le coup d’État de 1943, constitue un tournant décisif dans l’histoire argentine. Alors que les efforts de Roberto M. Ortiz pour réformer le système politique échouent dans un contexte international complexe, le coup d’État mené par le Grupo de Oficiales Unidos (GOU) met fin à cette période de corruption et de crise, ouvrant la voie à une nouvelle ère dominée par le péronisme de Juan Domingo Perón.

Roberto M. Ortiz - Auteur inconnu | Domaine public
Roberto M. Ortiz – Auteur inconnu | Domaine public

Les tentatives de réformes

En 1938, Roberto M. Ortiz, ancien sécessionniste radical, devient président avec Ramón S. Castillo comme vice-président, après des élections marquées par des fraudes massives. Ortiz entreprend de réformer le système politique et de lutter contre la fraude électorale, mais sa santé déclinante et la complexité du contexte international, marqué par la Seconde Guerre mondiale, entravent ses efforts.

L’Argentine adopte une posture de neutralité pendant la guerre, bien que la société soit divisée. Les secteurs liés au commerce extérieur soutiennent les Alliés, tandis que certains groupes nationalistes et militaires penchent en faveur de l’Axe, voyant les États-Unis et le Royaume-Uni comme des puissances impérialistes menaçant l’indépendance des nations.

En 1942, après la mort d’Ortiz, Castillo reprend la présidence. Il retourne aux anciennes pratiques de fraude et soutient la candidature de Robustiano Patrón Costas, un conservateur partisan des Alliés, ce qui déplaît aux nationalistes militaires qui craignent sa proximité avec la gauche après son soutien à certains mouvements syndicaux.

Coup d’État de 1943 et fin de la Decada Infame

Le 4 juin 1943, face à des tensions croissantes, le Grupo de Oficiales Unidos (GOU), composé de 8 000 militaires, organise un coup d’État pour renverser Castillo. Le coup est justifié par une prétendue menace communiste et la défense des intérêts militaires et nationaux. Après la défaite des forces loyalistes, Castillo fuit en Uruguay, laissant le pouvoir aux militaires.

La Decada Infame se termine dans un climat de crise, marqué par la chute des prix des matières premières, la paralysie économique, et l’augmentation du chômage et de la pauvreté. Le Pacte Roca-Runciman est particulièrement critiqué comme symbole de la soumission de l’Argentine aux intérêts britanniques.

Pendant cette période, le gouvernement utilise trois instruments pour maintenir le pouvoir : la fraude électorale, l’intervention fédérale et l’état de siège. La fraude, surnommée “fraude patriotique”, devient une pratique courante pour garantir les victoires conservatrices, tandis que l’intervention fédérale permet de destituer les gouverneurs provinciaux récalcitrants. L’état de siège, instauré en 1930, est prolongé durant presque toute la Decada Infame, réprimant sévèrement toute opposition politique et sociale.

Cependant, cette période voit aussi l’émergence de nouvelles forces politiques et sociales, particulièrement au sein de la classe ouvrière urbaine en expansion. Malgré la répression, ces mouvements syndicaux commencent à se structurer, posant les bases du péronisme.

Le coup d’État de 1943 met fin à la Decada Infame et inaugure une nouvelle phase de l’histoire argentine. Bien que le GOU prenne le pouvoir en prétendant combattre la corruption et le communisme, c’est Juan Domingo Perón, un membre du GOU, qui émerge comme figure politique dominante. En tant que ministre du Travail, Perón instaure des réformes favorables aux travailleurs, jetant les bases du péronisme, qui dominera la scène politique argentine dans les années suivantes.

Héritage et impact de la Decada Infame

La Decada Infame laisse un héritage complexe. Elle est synonyme de régression démocratique, de fraude électorale et de corruption, marquant une période sombre de l’histoire politique argentine. Cependant, elle est aussi le théâtre de la montée des revendications sociales et ouvrières, qui préparent l’essor du péronisme.

Les réformes institutionnelles et économiques de cette période, malgré leur caractère autoritaire, ont transformé l’économie argentine, notamment par une industrialisation accélérée et une concentration urbaine accrue. Cependant, la dépendance accrue vis-à-vis des capitaux étrangers et les pratiques de corruption ont laissé l’Argentine dans une situation économique et politique instable qui perdurera dans les décennies suivantes.

Enfin, la Década Infame a marqué un tournant dans les relations entre l’État argentin et les puissances étrangères, particulièrement le Royaume-Uni. Le Pacte Roca-Runciman illustre cette relation inégale et a renforcé un sentiment anti-impérialiste parmi les Argentins, sentiment qui sera exploité par les futurs dirigeants, notamment Perón, pour galvaniser le soutien populaire.

Bien que cette période soit marquée par des événements tragiques et des régressions démocratiques, il est pertinent de questionner la régularité de son appellation. Comparée à d’autres événements contemporains tels que l’Holodomor en Ukraine, la montée du nazisme en Allemagne ou la Seconde Guerre mondiale, la Decada Infame ne se distingue pas par un niveau d’atrocités globalement comparable. Le terme, popularisé par l’écrivain José Luis Torres dans son ouvrage de 1947, visait également à justifier le coup d’État du GOU et critiquer le régime précédent.

Discours de Juan Peron - Auteur inconnu | Domaine public
Discours de Juan Peron – Auteur inconnu | Domaine public

Une décennie d’infamie, précurseur d’un nouveau chapitre argentin

La Decada Infame, loin d’être une simple parenthèse obscure dans l’histoire argentine, a joué un rôle déterminant dans la transformation politique et sociale du pays. Cette période de répression, de fraude et de corruption a révélé les failles profondes du système démocratique argentin de l’époque. Pourtant, au milieu de ce climat oppressant, de nouvelles forces ont émergé, jetant les bases d’un mouvement ouvrier et politique qui allait bientôt redéfinir le paysage national.

L’héritage de la Decada Infame est complexe et contradictoire : elle est à la fois synonyme de régression démocratique et de montée des revendications sociales. Ce contraste a préparé le terrain pour l’avènement du péronisme, qui trouvera dans cette décennie ses racines et son inspiration. L’ère qui s’est achevée en 1943 n’était pas seulement une fin, mais aussi un prélude à une nouvelle ère de bouleversements et de réformes, où les leçons tirées de ces treize années d’infamie seraient mises à l’épreuve.

Quelques liens et sources utiles

Pigna, Felipe. Los negociados de la decada infame. el Historiador

Blacha, Luis fernando. La clase política argentina (1930-1943). Conicet

Vidal, Mario. La decada infame no fue lo que dicen que fue. Infobae

Goldstraj, Manuel. El radicalismo en la decada infame. Hilarios

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