Au début des années 1900, les bébés prématurés américains luttaient à domicile contre diverses maladies, souvent sans soins médicaux appropriés. Pendant ce temps, en France, des médecins avaient commencé à chercher des solutions pour aider ces enfants prématurés à survivre.
C’est dans ce contexte que le Dr. Martin Couney, obstétricien d’origine polonaise, introduisit cette innovation aux États-Unis après avoir fait ses études à l’université de Berlin. Couney popularisa les bienfaits des incubateurs à travers des expositions appelées infantoriums qu’il installait dans des parcs d’attractions.
Ces « foires aux bébés » attirèrent rapidement l’attention et le succès, capturant l’imagination du public. Toutefois, leur existence même démontre le manque d’attention porté aux soins néonatals aux États-Unis au début du XXème siècle.
L’instauration des infantoriums
Les infantoriums, qu’on peut appeler en français des « foires aux bébés », sont l’invention du Dr. Martin Couney, un obstétricien polonais ayant immigré aux États-Unis. Ce dernier venant d’Europe avait entendu parler de l’invention des incubateurs pour bébés par son assistant Pierre-Constant Budin.
Couney a d’ailleurs été formé à l’utilisation de ces incubateurs pour bébés par ce même assistant.
C’est pourquoi, en immigrant aux États-Unis, Couney emmena avec lui ce savoir et souhaita le partager à la population américaine qui pensait encore que les bébés prématurés étaient faibles et ne méritaient pas d’attention médicale.
Alors, en 1903, Martin Couney a établi son premier infantorium dans le parc d’attraction de Coney Island.
Les infantoriums étaient donc des expositions payantes de bébés prématurés dans des incubateurs. Et si cela semble moralement répréhensible, ces infantoriums ont véritablement eu un impact sur la perception des bébés prématurés aux États-Unis.
De plus, Couney offrait gratuitement les soins en échange de la présence de ces bébés dans les infantoriums. Et en introduisant les Américains à ces nouvelles technologies, Couney a également sauvé les générations suivantes de bébés prématurés.
Couney ne faisait donc pas payer les parents pour les soins des bébés, car, d’une certaine manière, les entrées payantes du public étaient la source financière de ces soins. De plus, les bébés étaient retournés aux parents une fois leur santé retrouvée.
Des foires temporaires
Couney participait aussi à de nombreuses foires en organisant des infantoriums temporaires. Lors de ces foires, Couney cherchait à capter un public différent et à l’initier aux incubateurs. Et dans ce but même, l’infantorium présenté par Couney à l’Exposition internationale de Chicago de 1933-1934 fut différent.
En effet, non seulement l’Exposition internationale a permis à Couney de toucher un public plus large, mais également d’éduquer ce public aux soins de bébés prématurés tout en satisfaisant leur curiosité. Couney avait alors prévu un espace cinéma d’une centaine de sièges autour où étaient projetés des films montrant comment prendre soin des bébés et une boutique d’objets pour bébés comme des couches, des couvertures et des biberons.
Tout était prévu dans cette foire temporaire pour attirer la curiosité du public de l’Exposition internationale et ensuite d’utiliser cette curiosité pour instruire le public quant aux soins néonatals.
Une hygiène irréprochable
Et bien que l’exposition de bébés puisse susciter l’indignation, il est indéniable que, malgré leur observation constante par le public, les enfants étaient bien traités. En effet, les infantoriums étaient maintenus dans d’excellentes conditions hygiéniques.
Les incubateurs avaient un système de filtration d’air qui nettoyait l’air extérieur en passant par des boules de laine, l’une étant imbibée d’antiseptique.
Ce système évacuait aussi l’air expiré par les bébés, assurant un apport constant d’air frais et propre.
Chaque incubateur était nettoyé tous les jours avec une solution d’alcool à 70%. De plus, chaque bébé avait son propre incubateur, ce qui réduisait les risques de contamination entre eux.
Enfin, pour minimiser les contacts avec l’extérieur, les mères n’étaient pas autorisées à toucher leurs bébés. Ce sont donc les infirmières qui s’occupaient d’eux et les allaitaient. Ces infirmières devaient suivre des règles d’hygiène strictes, maintenir une alimentation saine et un mode de vie impeccable, pour éviter toute contamination par leur lait.
L’incendie de l’infantorium de Dreamland Park
En 1911, un incendie dévastateur, toutefois bien moindre que le fameux incendie de Londres, ravagea Dreamland Park, détruisant entièrement l’infantorium s’y trouvant. Heureusement, tous les bébés prématurés furent sauvés.
Cet incident a cependant marqué un tournant dans la perception des expositions. L’incendie a montré les dangers de soigner des nourrissons prématurés dans des parcs d’attractions, qui ne sont pas des lieux adaptés pour des soins aussi délicats. Cet incident déclencha alors un débat public quant à la question des lieux appropriés pour prendre soins de ces bébés.
C’est à la suite de cet incident que le président de la Société pour la Protection des Enfants de New York déclara que les soins pour les enfants prématurés devraient exclusivement se dérouler dans des hôpitaux. Cependant, passer des expositions populaires aux soins en milieu hospitalier ne fut pas simple.
À cette époque, la néonatalogie, c’est-à-dire les soins pour les nouveau-nés, n’était pas encore une spécialité médicale reconnue. De fait, les hôpitaux n’avaient pas encore les infrastructures et les connaissances nécessaires pour prendre en charge ces nourrissons.
En bref, l’incendie de 1911 a mis en lumière l’urgence de développer des environnements plus sûrs et adaptés pour le soin des bébés prématurés. Il fut donc l’incident déclencheur de la prise en charge hospitalière des nouveau-nés.
Les infantoriums ont contribué à la médecine néonatale américaine
Martin Couney a donc joué un rôle déterminant dans l’évolution de la néonatalogie aux États-Unis. Grâce à ses expositions, il a changé la façon dont les Américains voyaient les bébés prématurés. Auparavant, beaucoup les considéraient comme des « faibles » ou des « échecs de la nature » destinés à mourir sans soins médicaux, comme le note Helen Gao dans son article.
Avant ses expositions, les soins des nouveau-nés étaient principalement assurés à domicile et n’étaient pas ou peu adaptés. De fait, Couney a non seulement attiré l’attention sur les défis auxquels étaient confrontés les parents et leurs enfants prématurés, mais a également démontré l’efficacité de ses méthodes de soin.
Un parallèle historique intéressant peut d’ailleurs être fait entre ces expositions et les Magdalene laundries. Les Magdalene laundries servaient de lieux de repentance à l’écart de la société au début du XXe siècle en Irlande. Alors, il est intéressant de noter que là où les Magdalene laundries tentaient de dissimuler ce qu’elles jugeaient « impur » en infligeant de la souffrance, les infantoriums exposaient ouvertement les bébés prématurés pour leur offrir une chance de vie et de réhabilitation.
Le succès des expositions de Couney, largement couvert par la presse de l’époque, a sensibilisé le public et les médecins aux besoins des bébés prématurés. Ces démonstrations ont alors posé les bases des unités de soins intensifs néonatals modernes, les NICUs, en prouvant que des soins spécialisés pouvaient sauver ces bébés, autrefois considérés comme condamnés.
Quelques sources et liens utiles :
Hao, Helen. « From Amusement Parks to Hospitals: Evolution of the Neonatal Care Setting in the US. » The Macksey Journal, vol. 2, no. 155, 2021.
Silverman, William A. « Incubator Baby Side Shows. » Pediatrics, vol. 64, no. 2, 1979, pp. 127-141.