À l’affiche en ce moment au cinéma, le film éponyme réalisé par Ellen Kuras permet de mettre en lumière une femme au destin extraordinaire. Pris dans un tête à tête entre l’artiste (joué par Kate Winslet) et son fils, qui structure et ponctue l’ensemble du film, le spectateur découvre peu à peu les mille vies de Lee Miller ; l’occasion de revenir sur les grandes étapes ayant jalonné son parcours hors normes.
Le nouveau visage de Vogue
Née aux Etat-Unis le 23 avril 1907 dans une famille protestante, Lee Miller connaît ses premiers rapports avec la photographie par l’intermédiaire de son père, Théodore Miller, alors photographe amateur. Lee pose, souvent nue, pour son père, au travers d’une relation se voulant néanmoins exclusivement artistique.
En 1927, Lee se rend à New York et goûte aux joies de la grande ville. Un jour, elle se fait renversée par une voiture. Elle est relevée par Conde Nast, qui n’est autre que le créateur du Vogue américain. Cette rencontre inopinée la projette en une du magazine peu de temps après. Son passé familial et son oeil avisé lui donne une certaine assurance avec les photographes.
La folie des années 1930
Lee se rend ensuite à paris à la fin des années 1920. Libérée des conventions, l’artiste apprend auprès de Man Ray alors peintre et photographe américain naturalisé français. D’abord étudiante puis assistante, Lee s’éprend rapidement de Man Ray. Les photos dénudées du mannequin ont un caractère quasi révolutionnaire.
Lee et Man Ray évoluent dans une relation muse et maître, encadrés dans une alchimie artistique totale. Devenant des figures du surréalisme, Lee Miller et Man Ray s’inscrivent dans mouvement libérateur et anti conformisme. Les femmes sont à la fois considérées comme muses et artistes à part entière, créant ainsi une véritable nouveauté : Lee Miller détient son propre studio à Paris et honore ses propres commandes, malgré l’influence de son maître artistique. Les deux amants se séparent néanmoins trois ans après leur première rencontre.
Lee Miller se marie finalement le 4 septembre 1934 avec Aziz Eloui Bey, homme d’affaires, en Égypte et s’installe au Caire. L’ennuie la gagne cependant rapidement, mais la photo lui permet d’occuper ses journées. Ses oeuvres au caractère assez spirituel se consacrent aux paysages, aux lignes du désert. Lee se rend un jour à Paris et se rend le soir même de son arrivée à un bal costumé où elle rencontre le grand amour de sa vie : Roland Penrose. Elle retourne toutefois en Egypte après son aventure.
Deux ans plus tard, Aziz et Lee se séparent. En 1939, Lee, qui vit désormais à Londres avec Roland, cherche à travailler. Sa rencontre avec Audrey Withers, directrice du Vogue britannique, lui donne un nouveau souffle, malgré le fait que les deux femmes soient aux antipodes. Le magazine s’inscrit alors dans les enjeux de la période, au coeur d’une ville en proie aux bombardements quotidiens. Droits des femmes, indépendance et féminisme, autant de sujets abordés par le magazine qui révèlent le talent de Lee.
De photographe à correspondante de guerre
Devenant peu à peu photo-journaliste, Lee Miller s’éloigne ainsi des shootings. Sa rencontre avec David Sherman, photographe de guerre renommé, la pousse à le suivre et à aller au delà des conventions. Pour devenir officiellement correspondante, Lee obtient une accréditation de l’armée américaine. Elle s’achète un uniforme à Savile Row et fait partie des très rares femmes envoyées sur le front en tant que photographes.
En 1944, Lee se rend à Saint-Malo et est prise dans le feu de la guerre, alors que l’opinion pense que la ville est déjà tombée. La surprise est de taille. Lee écrit dans un article du Vogue qu’elle est alors la seule photographe à des kilomètres à la ronde et s’initie à l’exercice de l’écriture accompagnant ses photographies. Aux photographies des scènes de liesse de la libération de la ville se mêlent celles des femmes tondues, accusées de collaborer avec l’ennemi.
Les premiers traumatismes
Souvent les premiers témoins photographes, David Sherman et Lee Miller se rendent vers l’Est de l’Europe et découvrent ensemble les horreurs de la guerre. Elle photographie notamment les familles de dignitaires nazis déchus, dont tous les membres se sont suicidés.
En avril 1945, Lee arrive au camp de concentration de Dachau au moment même où le camp est libéré. Elle photographie les wagons où sont encore entassés les corps des déportés et les montagnes de cadavres qui jonchent les sols du camp. Vogue décide de publier ces photographies.
Elle se rend ensuite dans l’appartement d’Hitler, alors investi par des G.I. Elle et David prennent de nombreuses photos, dont une dans la baignoire même du Furher. Cela reste comme un de ses clichés les plus importants de sa carrière.
À son retour à Londres, Lee semble soudain prendre conscience du peu de sens de sa vie après guerre. Elle a la sensation de ne plus avoir de but. Les traumatismes sont bien présents. Après quelques tentatives de retour aux photographies de mode, elle tombe peu à peu dans l’alcool et tombe enceinte. Elle et Roland s’installent avec leur fille dans une ferme isolée dans le Sussex, accentuant encore davantage sa solitude.
Un secret enfin dévoilé
Anthony Penrose, son fils, n’entend jamais parlé du passé de sa mère. Les négatifs, rangés dans des cartons de lessive et déposés dans le grenier depuis de nombreuses années, sont finalement retrouvés par l’épouse d’Anthony après la mort de l’artiste. La surprise est totale. Le secret de cette femme décrite comme solitaire et ivrogne par ses proches est ainsi révélé.
Lee Miller, violée à l’âge de ses sept ans par un ami de la famille, consacre ainsi son existence à garder sous silence les moments douloureux. Elle meurt à 70 le 21 juillet 1977 des suites d’un cancer, dans sa maison à Chiddingly. Le film qui lui est consacré, à l’affiche en ce moment, nous donne un brillant aperçu de ce que fût Lee Miller, la femme aux mille vies.
Quelques liens et sources utiles
MILLER Lee, Lee Miller. Saint-Malo assiégée. Août 1944, Paris, Hazan 2024.
PENROSE Anthony, Les Vies de Lee Miller, Paris, Seuil, 1999.
PENROSE Anthony, Lee Miller Photographies, Delpire, 2023.
Reportage Arte : Lee Miller – Mannequin et photographe de guerre, produit et réalisé par Teresa Griffiths et Metfilm Production, Royaume-Uni, 2020.