Terre d’immigration, les États-Unis accueillent plusieurs millions de migrants aux XIXe et XXe siècles. New York devient alors la porte d’entrée de ce jeune pays pour des populations en quête d’une vie meilleure.
Entre 1865 et 1899, quatorze millions de personnes d’origine irlandaise, britannique, scandinave ou encore allemande arrivent aux États-Unis, augmentant drastiquement sa population. C’est cependant au XXème siècle que le nombre d’entrants augmente massivement, les États-Unis accueillant près de seize millions de migrants venant d’Europe centrale, de l’Est et d’Europe méridionale entre 1895 et 1920. La population américaine passe alors de 76 à 106 millions d’habitants, une augmentation s’expliquant en majorité par ce fort solde migratoire.
L’arrivée des migrants à New York
À partir de 1890, nous assistons alors à un changement d’ampleur, le nombre d’entrées par an pouvant atteindre le million contre une centaine de milliers avant, et à un changement de nature, les origines des migrants étant différentes.
New York est le premier port d’entrée des migrants venus d’Europe arrivant par bateau d’Hambourg, de Liverpool ou encore du Havre. Si New York n’est qu’un lieu de passage pour certains, la majorité des arrivants, en manque de moyens, s’installent définitivement dans la ville.
À leur arrivée, ils doivent passer par une étape obligatoire : Ellis Island, une île située à l’embouchure de l’Hudson transformée par le gouvernement fédéral en un lieu de contrôle et de tri de cette immigration massive. Une fois passé cette étape, les immigrés européens s’installent dans la ville industrielle en quête de travail. Cependant, bien loin du rêve américain, ces populations sont touchées par la pauvreté et la précarité.
Les raisons de l’immigration des populations européennes
Dans l’esprit des Européens, New York, et plus généralement les États-Unis, représentent un symbole d’espoir, de richesse et de liberté, un « Eldorado », à l’opposé d’une Europe vieillissante, terrain de répressions religieuses et politiques. Les motivations de la plupart des nouveaux arrivants sont tout d’abord économiques : New York est une ville industrielle prospère avec un marché du travail développé.
En effet, les industries du textile, du tabac, de la construction navale et de l’imprimerie étaient florissantes et demandaient toujours plus de main-d’œuvre, faisant de l’immigration une aubaine pour les employeurs.
Certains fuyaient la misère profonde et la faim comme les Irlandais, victimes de la Grande Famine et de la discrimination par le pouvoir britannique et ses mesures anticatholiques. Ainsi, au milieu du XIXe siècle, une grande partie de l’immigration vers les États-Unis et de la population new-yorkaise était d’origine irlandaise. En effet, presque un tiers de la population de la « Big Apple » était né en Irlande.
D’autres encore fuyaient la haine religieuse ou la répression sévissant dans leur pays d’origine. L’antisémitisme prenait de l’ampleur en Europe à la fin du XIXe et les Juifs faisaient peu à peu l’objet de mesures antisémites. Cette haine se manifesta notamment par des actes de violence extrêmes en Russie : les pogroms. Ces actions de violence et de persécutions de masse à l’encontre des populations juives s’intensifièrent au tournant du XXème expliquant la vague d’immigration juive d’Europe de l’Est vers les États-Unis et surtout vers New York où la population juive représente alors le plus grand groupe dans l’agglomération au début du XXe siècle.
Ainsi, plusieurs raisons poussent ces individus aux origines et profils divers à émigrer vers les États-Unis et s’installer à New York. Les nouveaux arrivants doivent cependant passer par Ellis Island où ils seront inspectés et interrogés par les autorités américaines.
Ellis Island et le contrôle des entrants
En activité de 1892 à 1954, Ellis Island voit passer environ douze millions de migrants venus en grande partie d’Europe mais aussi d’Afrique du Nord ou encore d’Asie. Ce lieu sert aux autorités américaines à contrôler les nouveaux arrivants : le bureau de l’immigration les ausculte à la recherche de maladies, les interroge sur leur passé, leurs opinions politiques, leurs intentions et projets.
Une tendance nouvelle apparaît après les années 1890, celle de la méfiance. En effet, les États-Unis se méfient des nouveaux arrivants venus d’Europe de l’Est et du Sud et mettent progressivement en place des mesures et lois afin de contrôler l’immigration de masse et filtrer les arrivées sur le sol américain.
Par exemple, une loi fédérale appelée « loi des quotas » est promulguée en 1924 et a pour but de limiter le nombre d’entrées des populations d’Europe méridionale et de l’Est et ainsi sauvegarder la prépondérance raciale du groupe de base américain d’origine britannique en majorité.
Ces différentes mesures témoignent de la xénophobie grandissante d’Américains de plus en plus réticents à l’arrivée de nouvelles populations d’origines différentes. Effectivement, des mouvements dits nativistes, tels que le mouvement Know Nothing dès les années 1840, se développent et protestent contre l’immigration.
La vie en tant qu’immigrés à New York
Après avoir passé l’étape d’Ellis Island, les migrants s’installent dans la ville et y travaillent. Ils font cependant face à des conditions de vie et de travail difficiles dans des quartiers paupérisés à population majoritairement constituée d’immigrés.
Le Lower East Side, un quartier paupérisé
L’immigration marque le territoire urbain de New York. En effet, le Lower East Side, situé au sud-est de l’île de Manhattan, devient un quartier majoritairement habité par des immigrés. C’est un quartier paupérisé occupé majoritairement par des familles de la classe ouvrière d’origine irlandaise, puis juive à partir du XXème siècle. En comparaison, le quartier nord de Manhattan, est quant à lui, peuplé de la classe aisée et américaine de naissance. L’espace est donc organisé et répond à une logique d’exclusion basée sur des critères de richesse.
La population du Lower East Side vivait dans des logements insalubres caractéristiques des quartiers pauvres de New York appelés « tenements ». Les tenements désignent des habitats collectifs loués par les classes pauvres et ouvrières n’ayant pas les moyens d’assurer une qualité de vie décente. Les familles s’entassaient alors dans ces logements insalubres, pour la plupart dangereux et surpeuplés ce qui favorisait notamment la circulation de maladies comme la tuberculose ou encore le typhus.
Ce type de logement et la misère dans laquelle vivaient ces communautés pauvres issues de l’immigration furent dénoncés par les réformateurs du mouvement progressiste tel que le pionnier de la photographie sociale, Jacob Riis, dans son livre « How The Other Half Lives » publié en 1890.
La question du logement n’était cependant pas la seule problématique que soulevaient ces quartiers. La criminalité sévissait et les rivalités de gangs rythmaient souvent la vie quotidienne des habitants du Lower East Side. Son épicentre, Five Points, était le théâtre de ces rivalités et violences entre gangs de différentes communautés.
Les migrants, une main-d’œuvre utile pour les industries new-yorkaises
Les ouvriers d’origine étrangère travaillent pour beaucoup dans des ateliers de confection appelés « sweatshops » (« ateliers de la sueur » en français), un nom révélateur des conditions de travail déplorables dans ces ateliers.
Les employeurs, profitant ainsi de la nécessité des ouvriers immigrants de travailler pour vivre, baissaient leurs rémunérations et augmentaient leur temps de travail. Les ouvriers représentaient en effet une main-d’œuvre peu qualifiée et donc peu coûteuse. En dehors des sweatshops, les migrants travaillaient aussi dans les industries importantes telles que le textile, la construction navale et de chemin de fer et participaient ainsi au développement de l’économie industrielle de New York et plus généralement des États-Unis.
Les autrices Martha Brockenbrough, Grace Lin et Julia Kuo ont réalisé Je suis un citoyen américain, un livre pour les grands et les petits revenant sur l’affaire USA v. Wong Kim Ark en 1898, concernant la citoyenneté des étrangers aux États-Unis.
Ces conditions de travail poussèrent les immigrés européens à s’organiser et s’unir pour porter leurs revendications et contrer les effets néfastes du capitalisme. En effet, se créent notamment des organismes communautaires tels que la Neighborhood Guild (« maisons de quartiers ») qui offrait alors divers services d’assistance sociale comme une aide médicale ou encore des formations professionnelles.
Par ailleurs, de nombreuses associations se développent aussi. On dénombrait par exemple plus de 7 000 associations polonaises en 1912 regroupant environ 800 000 membres. De surcroît, les travailleurs immigrés importent aussi des valeurs socialistes venues d’Europe et se regroupent notamment en syndicats tels que la United Hebrew Trades créée à la fin des années 1880.
Multiculturalisme ou melting pot ?
Avec l’arrivée de nouvelles populations aux origines différentes, New York devient une ville multiculturelle, un lieu de diversité importante où cohabite un éventail de communautés. Les immigrés s’organisent en communautés composées de familles et d’individus de même origine. Ainsi, les cultures d’origine se maintiennent dans les communautés irlandaises, juives, italiennes, allemandes. Ils marquent ainsi l’espace en créant leurs propres églises et leurs propres lieux de regroupement et de sociabilité.
Ce phénomène s’explique aussi par la xénophobie à laquelle font face les immigrés. En effet, face à ce phénomène, les groupes ethniques et culturels éprouvent le besoin de se regrouper et de se replier en communauté. Ce fut surtout le cas des Irlandais avec la création d’une cohésion religieuse mais aussi des Juifs, alors victimes d’un antisémitisme grandissant. Le maintien des langues maternelles de ces communautés est aussi révélateur de ces permanences culturelles avec par exemple le yiddish parlé par certaines communautés juives allemandes.
Les différentes vagues d’immigration ont favorisé l’apparition d’une nouvelle notion développée par l’écrivain Israel Zangwill (1864-1926) : le melting pot (ou creuset culturel en français) selon laquelle l’immigration aux États-Unis à la fin du XIXe siècle et du XXe siècle aurait donné lieu à la fusion des différents groupes ethniques et culturels pour donner naissance à une culture et à une identité commune américaine.
New York aurait été le théâtre de cette fusion voire le symbole de cette assimilation des différentes communautés qui se seraient affranchies de leurs particularismes nationaux et culturels afin de se mélanger dans le creuset américain.
Cependant, cette théorie fut remise en cause et tient désormais plus du mythe que de la réalité : le pluralisme culturel se maintient et surtout se transmet. La permanence des identités culturelles héritées de l’immigration est une composante qui perdure dans le portrait social des États-Unis et en est une de ses caractéristiques majeures.
Quelques liens et sources utiles
Green Nancy L., Et ils peuplèrent l’Amérique : L’Odyssée des émigrants, Paris, Gallimard, 1994. (Coll. Découverte)
Weil François, Histoire de New York, Paris, Fayard, 2005.
Weil François, Naissance de l’Amérique urbaine, Paris, SEDES, 1992.
Zinn Howard, Une histoire populaire des Etats-Unis d’Amérique: de 1492 à nos jours, Marseille, Agone éditeur, 2002.