Plongez-vous dans l’histoire passionnante de l’évolution de la démocratie en Europe de 1949 à 1992. Après les ravages de la Seconde Guerre mondiale et la chute du totalitarisme, l’Europe a connu une transformation démocratique sans précédent, parallèle à la construction européenne, largement influencée par le Congrès de La Haye en 1948.
« Tous ensemble, demain, nous pouvons édifier […] la plus grande formation politique et le plus vaste ensemble économique de notre temps. Jamais l’histoire du monde n’aura connu un si puissant rassemblement d’hommes libres. »
Congrès de l’Europe : Résolutions, La Haye-Mai 1948. Paris & Londres : Mouvement international de coordination des mouvements pour l’unité européenne, 1948. 16 p. p. 15-16.
Alors que l’Europe se reconstruit, les leaders politiques s’affrontent entre visions unionistes et fédéralistes, forgeant ainsi le futur de l’Europe. Quels ont été les impacts de ces débats sur la coopération européenne et la souveraineté des nations ?
Mission de paix pour l’Europe
Le journaliste Denis de Rougemont, auteur de la citation précédente, investissait le Conseil de l’Europe d’une mission particulière, celle de garantir la paix, la fraternité et le développement des pays européens.
Le « Message aux Européens » dont est tiré la citation précédente permet de faire table rase des événements passés et la démocratie semble être le seul moyen d’obtenir la paix en Europe.
Réunir les puissances européennes
Le totalitarisme allemand et italien sont jugés responsables des millions de morts et des destructions causées dans toute l’Europe. Le Portugal et l’Espagne encore sous régime totalitaire sont relégués au ban des nations. Un projet de coopération des pays démocratiques d’Europe émerge et entre le 7 et 11 mai 1948 est organisé le Congrès de La Haye aux Pays-Bas pour statuer du futur de l’Europe.
Ce premier sommet permet de réunir des hommes politiques de toute l’Europe, aux idées et aux projets variés. Les débats sont nombreux, mais deux courants apparaissent : les unionistes et les fédéralistes.
Leur vision est opposée, les unionistes souhaitent une coopération interétatique sans abandonner la souveraineté des nations, alors que les fédéralistes souhaitent une souveraineté et un pouvoir politique démocratique accru pour l’Europe.
Une première union économique
Le Congrès de la Haye participe à l’ébauche de la construction européenne que nous connaissons, notamment en poussant les participants à signer le traité de Londres un an plus tard, le 5 mai 1949, instituant par la même le Conseil de l’Europe, le premier édifice à la construction européenne.
La coopération interétatique de la communauté européenne entre 1949 et 1992 est surtout économique, l’Europe n’a pas pour vocation de devenir une puissance politique majeure et cette structure cause de nombreux problèmes notamment avec Charles de Gaulle qui voit d’un mauvais œil le fait de perdre la souveraineté sur des questions d’ordre économique au profit d’institutions non élues par le peuple européen.
Vers une union politique
Le traité de Maastricht en 1992 permet justement d’apporter un cadre politique et d’instituer l’Union européenne. Ainsi comment au travers de plus de quarante ans de construction européenne, la vision démocratique de l’Europe s’intègre malgré tout dans les institutions de la CECA, puis de la CEE et enfin de l’Union européenne ? Nous analyserons les premières institutions supranationales européennes, puis la vision de Charles de Gaulle sur l’illégitimité de ces institutions pour terminer par le tournant démocratique de 1979.
Unifier l’Europe après la guerre
Le Conseil de l’Europe réunit 10 États, la Belgique, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Danemark, la Norvège, l’Irlande et la Suède. Cette entité est vouée au second plan pendant plusieurs décennies.
L’institution n’est pas politisée et les pays sont représentés en fonction de leur importance. Les points de vue opposés de la France et de la Grande Bretagne sur des sujets majeurs, notamment l’économie et l’adhésion de la RFA, ne peuvent pas permettre la création d’un programme de coopération durable. Il faut attendre le rapprochement diplomatique de la France et de l’Allemagne afin d’accélérer les négociations pour un projet de construction européenne.
Première unification par la CECA
Le discours de Robert Schuman le 9 mai 1950 dans le salon de l’Horloge du Quai d’Orsay permet l’instauration entre six États européens (France, Italie, Allemagne de l’ouest, pays du Benelux) d’une coopération sur l’acier et le charbon. La Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) est alors créée le 18 avril 1951 par le traité de Paris et permet l’instauration d’un marché commun sur ces matières premières orchestré par une Haute Autorité et des institutions.
C’est une nouveauté pour la politique européenne, qu’une autorité supranationale organise et régule les États sur quelques questions spécifiques. Cette Haute Autorité est chargée d’élaborer les politiques communes liées à son objet. Les membres sont représentés en fonction de leur importance, ainsi la France, l’Italie et l’Allemagne élisaient chacun deux membres et les pays du Benelux un membre chacun. Enfin les six membres cooptaient un président de la Haute Autorité.
Le Conseil spécial des ministres, l’Assemblée commune, la Cour de justice et le Comité consultatif feignaient alors d’apporter un cadre démocratique à cette nouvelle structure supranationale. En effet, la majorité des membres de ces institutions étaient élus par des parlementaires nationaux des pays membres et non par le peuple. Les institutions européennes sont construites en parallèle des attentes et des préoccupations des populations.
Malgré tout, il y a un désir d’apporter un cadre démocratique entre les différents acteurs de cette communauté, afin d’apporter des compromis entre les intérêts nationaux et communautaires. Ce manque de légitimité des institutions a longtemps été reproché par Charles de Gaulle.
Une construction économique la CEE
L’évolution de la CECA en Communauté économique européenne (CEE) en 1957 avec le traité de Rome se fait dans l’indifférence populaire, cette construction se fait surtout à l’initiative de technocrates non élus par le peuple.
C’est visible notamment avec le duo Jean Monnet, et Robert Schuman. Jean Monnet est un technocrate et non un homme politique, il ne possède pas de légitimité démocratique. Il s’allie avec Robert Schuman pour porter ses directives européennes sur le plan politique. Le discours fondateur de la communauté européenne, réalisé par Schuman est au crédit de Jean Monnet.
Malgré tout, la CEE permet la création de différentes institutions démocratiques, notamment le Conseil des Communautés européennes qui possédait des pouvoirs législatifs et exécutifs. Les nouveaux organes démocratiques de la CEE manquent toutefois d’un point important pour Charles de Gaulle, président de la France depuis mai 1958, celui d’une légitimité populaire. Aucun membre n’est directement élu par le peuple, il est simplement nommé ou coopté par d’autres institutions nationales.
Charles de Gaulle malgré ses prises de positions devient par la suite, l’acteur de la fragilisation démocratique de la CEE en faisant barrière à deux projets européens.
Les institutions illégitimes de l’Europe ?
- Le président français ne souhaite pas l’entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE notamment par leur projet de libre-échange en désaccord avec le marché commun, mais également parce que leur entrée pourrait déstabiliser l’hégémonie française sur l’Europe des six.
- Ensuite, il pose son véto en utilisant la « politique de la chaise vide » dans les institutions européennes pour faire échouer la proposition de vote à la majorité qualifiée plutôt que le vote à l’unanimité. Cette position de Charles de Gaulle se justifie par le souhait de préserver les acquis offerts à l’agriculture française avec la Politique Agricole Commune (PAC), mais également pour maintenir l’hégémonie française.
Cette situation fragilise la construction européenne, un pays cherche à s’accaparer les profits de la communauté pour ses propres intérêts. Il y a donc la confrontation de deux idéologies, que nous soulevions déjà en introduction les européistes fédéralistes qui souhaitent atténuer les compétences nationales au profit d’institutions supranationales, tout en diminuant les revendications souverainistes et les unionistes qui cherchent à conserver les prérogatives nationales au sein de cette communauté.
Ces confrontations participent au ralentissement de la coopération à la fin des années 60 et au début des années 70.
Vers une Europe soutenue par le peuple
Entre le 9 et le 12 juin 1979, le Parlement européen est élu au suffrage universel direct par la population des neuf États membres (intégration du Danemark, de la Grande-Bretagne et de la Grèce depuis 1973).
Les 410 députés sont maintenant légitimés par cette élection, permettant par la même occasion un renforcement de l’intégration des citoyens au sein des institutions européennes. Les élections ont rassemblé 62% de la masse votante des pays.
Manque de puissances des institutions européennes
Cet événement permet d’illustrer les manques de la CEE, notamment la faiblesse d’action du Parlement européen, limité au budget européen. Il est loin de posséder les pouvoirs d’un parlement national. De plus les élections n’ont pas suscitées un grand intérêt pour les populations, les débats se faisant surtout dans le monde politique de chaque pays membre.
Malgré toute la construction européenne se base bien sur un partage de la démocratie et de l’économie libérale, en intégrant des pays sortant de la dictature, notamment la Grèce, après la fin de la dictature des colonels en 1974 et son intégration dans la CEE en 1981, et aussi le Portugal avec les mêmes dates clés. Nous pourrions également évoquer le cas de l’Espagne (fin de la dictature franquiste 1975) et d’une grande partie des pays sous domination soviétique, qui obtiennent leur indépendance après la chute de l’URSS en 1991.
Vers une réorganisation des institutions
Cette situation permet, à la fin des années 70, d’utiliser le Conseil de l’Europe comme un sas d’intégration pour les nouveaux arrivants, leur permettant de s’adapter aux normes européennes en matière économique, mais aussi de politique, notamment en prônant la démocratie, les droits de l’Homme ou encore les libertés fondamentales.
L’ère Delors, du nom du président français de la Commission européenne Jacques Delors, entre 1985 et 1995 constitue les fondements actuels de l’Union européenne, notamment avec la création de l’Acte unique. Il permet l’instauration de directives communautaires supranationales et intergouvernementales, mais également l’intégration de grands principes sociaux comme la libre circulation des biens et des services, la libre circulation des entreprises, la libre circulation des personnes et enfin libre circulation des capitaux.
Cet Acte unique entré en vigueur à partir du 1er juillet 1987 ouvre la voie à la signature du traité de Maastricht (1992). Il fait ouvertement suite à l’Acte unique plébiscité par Jacques Delors, le traité permet d’instaurer l’Union européenne comme nous la connaissons actuellement, avec un renforcement de la communauté, une politique étrangère et sécuritaire commune et une coopération policière et judiciaire commune. Dans les faits notables d’une démocratisation de l’UE, l’instauration depuis 1992 d’une citoyenneté européenne et le renforcement des pouvoirs du Parlement notamment.
Que retenir de la démocratisation de l’Europe ?
La construction européenne répond à un désir de paix en Europe.
Premièrement conçue comme une organisation économique, la communauté se transforme par la suite pour devenir la vitrine des idées démocratiques, notamment par ses institutions et ses normes (libertés, droit de l’Homme…).
Ainsi de la CECA, à l’UE, la communauté européenne permit l’intégration du peuple européen dans son fonctionnement notamment par l’intermédiaire d’élection et chaque État désireux de respecter les valeurs de l’Union européenne peut l’intégrer.
L’Union européenne avec cette histoire complexe propose aujourd’hui une gouvernance d’un nouveau genre, entre État-nation et État-région.
Quelques liens et sources utiles
Dictionnaire critique de l’Union européenne, Paris, Armand Colin, 2008, 494 p.
Marie-Thérèse Bitsch, Robert Schuman Apôtre de l’Europe (1953-1963), European Interuniversity Press, 2010
Marie-Thérèse Bitsch, Histoire de la construction européenne, Bruxelles, Editions Complexe, 1999 (2e édition), 358 pages.
Robert Frank (dir.), Les identités européennes au XXe siècle : diversités, convergences et solidarités, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004, 206 p.
Pierre Gerbet, La France et l’intégration européenne. Essai d’historiographie, Berne, Euroclio, Peter Lang, 1995, 162 p.
Robert Paxton et Julie Hessler, L’Europe au XXe siècle, Paris, Taillandier, 2011
Sylvain Schirmann, Quel ordre européen. De Versailles à la chute du IIIe Reich, Paris, Armand Colin, 2006, 334 p.
Jean-François Soulet, Histoire de l’Europe de l’Est de la Seconde Guerre mondiale à nos jours, Paris, Armand Colin, 2006, 262 p.
Gérard Bossuat, La France et la construction de l’unité européenne. De 1919 à nos jours, Paris, Armand Colin, 2012