Alors que Napoléon Bonaparte est chef de l’expédition française en Égypte, il revient en France début octobre 1799 lorsqu’on l’informe de l’instabilité qui règne dans le pays. Le général va profiter de sa popularité et de son influence pour élaborer un plan et obtenir enfin son accession au pouvoir lors d’un coup d’État bien préparé.
Une situation critique en métropole
Suite à son départ en Orient pour l’expédition française en Égypte le 19 mai 1798, Napoléon doit revenir en France début octobre 1799. En effet, la situation intérieure se détériore depuis plusieurs mois et Talleyrand, alors ministre des Relations Extérieures, envoie un billet à Bonaparte pendant l’été. Sans en prévenir le Directoire qui dirige le pays, Talleyrand veut informer le chef de l’expédition d’Égypte de la situation critique et le convaincre de revenir en métropole pour rétablir la situation.
La France connaît effectivement une situation financière critique depuis quelques mois avec une industrie en décroissance, une pauvreté en hausse et une corruption généralisée.
Mais la stabilité du pays est également en danger. Plus de 300 000 hommes de la 2ème coalition (rassemblant les Allemands, Autrichiens, Russes, Italiens…) sont aux frontières françaises. De plus, un désordre général règne, surtout dans l’Ouest où une armée de Chouans vient de prendre des villes importantes comme Nantes et Le Mans. Les insurgés menacent de soulever des régions entières afin de faire débarquer les partisans d’un retour à la monarchie.
Le Directoire, dirigé par cinq directeurs impopulaires : Gohier, le président, Moulin, Barras, Sieyès et Ducos, est particulièrement haï par le peuple français, notamment à cause de deux mesures qui mécontentent la population : la loi des otages, qui rend une famille coupable des allégeances séditieuses d’un de ses membres, et l’emprunt forcé de 100 millions réparti équitablement dans la population.
Le Directoire fonctionne avec un système parlementaire composé de deux assemblées : Les Cinq-Cents, qui créent les lois, et Les Anciens, qui doivent les approuver. Mais ce système ne semble plus répondre à la situation désastreuse du pays.
Ainsi, au vu du contexte, Sieyès, l’un des directeurs, veut réformer la Constitution. Il complote avec Lucien Bonaparte, membre de l’assemblée des Cinq-Cents, pour la mise en place d’un nouveau régime plus autoritaire.
Le retour précipité de Bonaparte en métropole
À cet instant, Napoléon débarque à Fréjus le 9 octobre. Son retour est perçu comme le signe de la Providence, avec l’espoir d’un retour à l’ordre. La Provence entière est en liesse et les gens du pays se pressent autour du navire du libérateur en scandant : « Vive Bonaparte, le sauveur de la patrie ».
Napoléon est également acclamé sur la route bondée qu’il emprunte dans la vallée du Rhône. Lorsqu’il arrive un soir à Lyon, la ville est illuminée pour fêter son passage.
Sentant que le vent tourne, Napoléon prépare sur la route vers Paris son accession au pouvoir.
Lorsqu’il arrive à Paris le 16 octobre, Napoléon est acclamé par les assemblées des Cinq-Cents et des Anciens. Le général est confiant et espère intégrer le Directoire à la place de Sieyès, qu’il n’apprécie pas. Le 17 octobre, il se présente chez les cinq directeurs.
Mais à sa surprise, sa proposition au président du Directoire, Gohier, est rejetée, la raison avancée étant que le général n’a pas les 40 ans requis. En réalité, son influence et sa popularité inquiètent.
Un poste à la tête d’une armée lui est proposé, mais Bonaparte le refuse. Il veut accéder au pouvoir et compte prendre tous les moyens nécessaires pour y parvenir.
Napoléon s’entretient avec des proches, dont Fouché, ministre de la Police, et Cambacérès, ministre de la Justice, en vue de former un nouveau gouvernement.
Le général s’assure de ses soutiens tant militaires que dans les hautes sphères du pouvoir, notamment parmi des membres des deux assemblées, et prépare un plan méthodique pour prendre le pouvoir.
Un premier pas de son plan est franchi fin octobre avec la nomination de son frère Lucien Bonaparte comme président du Conseil des Cinq-Cents, une assemblée qui lui est ouvertement hostile.
La préparation minutieuse d’une arrivée au pouvoir de Bonaparte
Le 1er novembre, Bonaparte et Sieyès scellent une alliance malgré leurs différends. Les deux hommes s’accordent sur un régime provisoire dirigé par trois personnes, dont Napoléon sera la figure de proue. Le général prend définitivement la tête du mouvement aux dépens de Sieyès et organise son plan en deux actes.
Premier acte du plan, le 18 brumaire :
La Constitution permet aux Anciens de déplacer les assemblées de Paris (aux Tuileries) à Saint-Cloud. Bonaparte demande à Sieyès de proposer un décret aux Anciens afin d’appliquer cet article de loi. Le prétexte invoqué est un faux complot anarchiste. Napoléon Bonaparte doit être nommé exécuteur du décret et commandant des forces militaires de Paris pour s’assurer un appui militaire.
Second acte du plan, le 19 brumaire :
Les directeurs donnent leurs démissions et les conseils des Anciens et des Cinq-Cents, réunis à Saint-Cloud et privés de toute communication extérieure, entourés de soldats, doivent voter la promulgation du Consulat.
Ce plan comporte cependant de nombreux risques, compte tenu de la méfiance des députés.
Néanmoins, Napoléon a prévu plusieurs diversions. Il fait notamment envoyer une lettre à Gohier, président du Directoire, pour une invitation à déjeuner prévue le 18 brumaire, jour de l’opération. Mais Gohier, méfiant, refuse pour rester avec l’autre directeur Moulin.
Le général Bonaparte prépare pendant la journée du 8 novembre (17 brumaire) les plans de l’opération, étudie en particulier le positionnement stratégique des troupes à la Concorde et aux Tuileries (siège des deux assemblées) et s’entoure de ses fidèles, dont les généraux Murat et Lannes, pour mener les opérations sur le terrain.
La journée du 18 brumaire : le vote du décret
Le 18 brumaire, le Conseil des Anciens se réunit à 7 heures. Deux complices de Bonaparte, membres du conseil, présentent le décret qui donne le pouvoir à Bonaparte et exposent la menace anarchiste comme un risque pour la représentation nationale.
À 8 heures, le décret est voté par les Anciens : Napoléon a maintenant le pouvoir de commander toutes les troupes de Paris.
Il convoque ses troupes et leur ordonne de distribuer le décret à la population.
Suivant le déroulé du plan, Sieyès et Ducos démissionnent de leur poste de directeurs. Il ne reste ainsi plus que trois membres du Directoire sur les cinq.
Bonaparte se rend immédiatement aux Tuileries, où siègent les Cinq-Cents pour prêter serment.
À ce moment, les directeurs Barras, Gohier et Moulin sont avertis du nouveau décret, mais il est déjà trop tard. Barras envoie son secrétaire s’informer des nouvelles, mais celui-ci est alors confronté à une diatribe bien préparée de Bonaparte devant une foule imposante.
« Qu’avez-vous fait de cette France que je vous avais laissée si brillante ?… Je vous avais laissé la paix : j’ai retrouvé la guerre ! Je vous ai laissé des victoires : j’ai retrouvé des revers ! Je vous ai apporté des millions d’Italie : j’ai retrouvé partout des lois spoliatrices et la misère… ! »
Napoléon au secrétaire de Barras le 18 brumaire
Barras, désespéré, annonce sa démission. Gohier et Moulin, les deux derniers directeurs en exercice, se retrouvent minoritaires et signent à leur tour leur démission. Ils sont immédiatement faits prisonniers.
Lucien Bonaparte réunit les Cinq-Cents à 10 heures, lit le décret des Anciens, puis le fait enregistrer et lève la séance malgré certaines protestations. Les assemblées doivent désormais se réunir à Saint-Cloud le lendemain.
La journée du 19 brumaire : du Directoire au Consulat
Le 19 brumaire, les deux assemblées se rassemblent pour la première fois à Saint-Cloud. Les Anciens sont dans la galerie d’Apollon et les Cinq-Cents dans la galerie de l’Orangerie.
Napoléon part à Saint-Cloud à midi, escorté par des cavaliers. Le général se rend dans la galerie d’Apollon où les députés du Conseil des Anciens sortent après une suspension de séance. Les Anciens demandent aux Cinq-Cents de présenter de nouveaux candidats pour le Directoire suite à la démission des anciens directeurs.
Napoléon assiste à la séance des Anciens en tant qu’exécuteur du décret mais reçoit des accusations d’être un dictateur, et certains députés dénoncent une violation de la Constitution. Bonaparte tente de convaincre les Anciens qu’on lui a demandé d’appliquer le décret, mais son discours est maladroit et ses alibis peu convaincants.
Pendant ce temps, Sieyès et Ducos, qui doivent être nommés consuls avec Bonaparte, restent dans un salon attenant. Chacun des deux futurs consuls a laissé une calèche à l’extérieur du château pour s’échapper au cas où la situation se retournerait contre eux.
Voyant que son plan de séduction ne fonctionne pas, Napoléon sort de la galerie et se dirige vers l’Orangerie, où siège l’assemblée des Cinq-Cents, qui lui est farouchement opposée.
En chemin, il reçoit un message de Fouché et de Talleyrand lui demandant de précipiter l’opération avec le recours à la force, de peur qu’elle échoue. C’est ainsi qu’accompagné de grenadiers, Bonaparte entre de force dans la salle de l’Orangerie, siège des Cinq-Cents.
Une mise en scène déterminante
Mais la seconde assemblée se révolte, des « À bas le dictateur » sont criés et le général est pris à partie physiquement par les députés.
Napoléon est exfiltré par sa garde. Il entend que les Cinq-Cents veulent le mettre hors-la-loi et voter son inconstitutionnalité. Son frère Lucien alors président refuse, se relève de son poste et sort escorté de grenadiers pour rejoindre son frère, à cheval dans la cour du château remplie de soldats.
Lucien s’adresse à la troupe et leur demande de rétablir l’ordre pour un faux motif : le Conseil des Cinq-Cents serait sous le joug de certains membres armés de couteaux et voudrait mettre hors-la-loi le général chargé d’exécuter le décret du Conseil des Anciens.
« Que la force les expulse ! Ces proscripteurs n’en sont plus les représentants du peuple, mais les représentants du poignard ! »
Lucien Bonaparte aux grenadiers de la 17ème division
Napoléon demande à ses soldats s’il peut compter sur eux. Le moment est crucial car les grenadiers sont également sous l’autorité des parlementaires.
Heureusement, des « Vive Bonaparte » sont criés puis Napoléon ordonne l’évacuation de l’assemblée. Les grenadiers guidés par le général Murat rentrent dans l’assemblée et font sortir toutes les personnes présentes. Certains députés apeurés fuient par les fenêtres en voyant les hommes armés approcher.
Lucien Bonaparte se rend aussitôt chez les Anciens et raconte sa version : son frère chargé d’exécuter le décret a été menacé à coup de poignards en rentrant chez les Cinq-Cents et l’assemblée a été dissoute temporairement en conséquence.
L’accession tant attendue de Bonaparte au pouvoir
Les Anciens se considèrent alors comme la seule assemblée fiable et votent le décret assurant le remplacement du Directoire par une commission législative et une commission exécutive composées de 3 membres. Mais il faut toujours le vote des Cinq-Cents.
Lucien Bonaparte réunit une assemblée des Cinq-Cents réduite (environ 30 personnes) et le décret est voté à l’unanimité. Le président lit le décret qui proclame le Consulat avec à sa tête Napoléon, Sieyès et Ducos qui vont ensuite prêter serment de fidélité.
Quelques mois après, le Consulat est adopté définitivement. Cambacérès et Lebrun sont nommés consuls en remplacement de Sieyès et Ducos.
Ce coup d’État a réussi malgré de nombreux risques pris par Bonaparte comme celui de ne pas recourir tout de suite à la force en utilisant ses plus fidèles hommes ou celui de laisser toute une nuit à un imprimeur le décret de la trahison.
Le Consulat va durer plus de cinq années pendant lesquelles Napoléon s’attelle à réformer de l’intérieur les institutions (création de la Banque de France et du Code Civil, ratification du Concordat…) et ramener l’ordre et la prospérité en France. Bonaparte est ensuite nommé Consul à vie en 1802. Le Consulat se termine le 2 décembre 1804, date à laquelle Napoléon est sacré Empereur des Français.
Quelques liens et sources utiles
Max Gallo, Le chant du départ : Napoléon, Editions Robert Laffont, 1997
Jacques Bainville, Napoléon , TALLANDIER, 2020
Charles-Paulin-Roger de Saubert Larcy, Le 18 brumaire , Hachette Livre BNF, 1876
Thierry Lentz, Le 18 Brumaire, Tempus Perrin, 2010
Onésime Monprofit, Les coups d’Etat, histoire et théorie, Hachette Livre BNF, 1886