Le Brésil, pays le plus peuplé d’Amérique du Sud, est au cœur d’une discussion complexe et en évolution constante sur le droit à l’avortement. La situation actuelle révèle un pays profondément divisé, où les influences culturelles et surtout religieuses jouent un rôle central dans le débat sur les droits reproductifs des femmes.
Alors que certains pays voisins, comme l’Argentine, ont adopté des lois plus libérales en matière d’avortement, le Brésil se trouve toujours dans un état de flux, oscillant entre des réformes potentielles et des reculs dans le domaine des droits des femmes.
Historique de l’avortement au Brésil
Le Brésil, étant majoritairement catholique, est marqué par l’influence de l’Église catholique et de l’Église évangélique, qui s’opposent généralement à l’avortement, comme aux États-Unis. Cette influence religieuse a contribué à une forte stigmatisation de l’avortement dans la société brésilienne.
Au début du XXe siècle, le Brésil avait des lois strictes interdisant l’avortement, à l’exception des cas de viol et de danger pour la vie de la mère. En 1940, le Code pénal brésilien a renforcé ces restrictions en criminalisant davantage l’avortement, et qualifie l’avortement de « crime contre la vie humaine« .
Les années 1980 ont vu un débat croissant sur la question de l’avortement au Brésil. En 1984, la « Marche nationale des femmes pour la légalisation de l’avortement » a rassemblé des milliers de manifestants à Brasília, soulignant l’appel à une réforme de la législation. Cependant, malgré des discussions et des projets de loi proposés, la législation n’a pas connu de changement significatif jusqu’en 2012.
En 2012, la Cour suprême a pris une décision historique en autorisant l’avortement en cas de fœtus atteint d’anencéphalie (absence de cerveau). Malgré ces avancées limitées, l’avortement est resté illégal dans la plupart des autres circonstances, ce qui a entraîné un nombre élevé d’avortements clandestins et potentiellement dangereux au Brésil, avec des estimations de plus d’un million d’avortements illégaux chaque année.
L’avortement sous Jair Bolsonaro
Sous la présidence de Jair Bolsonaro, arrivé au pouvoir en 2019, le droit des femmes et le droit à l’avortement ont été largement contestés. Bolsonaro, un conservateur notoire, a exprimé à plusieurs reprises son opposition à l’avortement et a nommé des responsables gouvernementaux partageant ces vues. Cette opposition a créé un climat politique hostile aux droits reproductifs des femmes.
Pendant son mandat, Bolsonaro a tenté de restreindre davantage l’accès à l’avortement en signant des décrets limitant l’information sur l’avortement dans les établissements de santé publique. Cela a eu un impact disproportionné sur les femmes vulnérables qui dépendent des services de santé publics pour leurs besoins de santé reproductive.
L’avortement est devenu un argument politique clé au Brésil en raison de l’influence considérable de l’Église catholique et des groupes évangéliques dans la politique brésilienne. Les dirigeants conservateurs comme Bolsonaro utilisent fréquemment la question de l’avortement pour mobiliser leur base électorale, en faisant appel à des arguments religieux et culturels pour renforcer leur position.
L’élection de Lula et la situation actuelle
En 2022, l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva, communément appelé Lula, a été élu à nouveau président du Brésil. Lula, un membre du Parti des travailleurs (PT), est perçu comme un président plus progressiste sur les questions de droits des femmes et d’accès à l’avortement par rapport à Bolsonaro. Bien que le Brésil soit toujours profondément religieux et divisé sur la question de l’avortement, l’élection de Lula pourrait ouvrir la voie à des discussions plus constructives sur la législation de l’avortement dans le pays.
Les chiffres de l’avortement au Brésil sont frappants. Selon les estimations, environ un million d’avortements illégaux sont pratiqués chaque année dans le pays, ce qui en fait l’une des principales causes de mortalité maternelle. Environ 56 % de la population brésilienne s’oppose toujours à l’avortement, selon un sondage réalisé en 2020, tandis que 36 % soutiennent une plus grande libéralisation de la législation sur l’avortement.
La situation tragique des femmes qui sont contraintes de recourir à des avortements illégaux et risqués est un problème préoccupant au Brésil. Des exemples poignants mettent en lumière les conséquences dramatiques de la criminalisation de l’avortement. En 2020, une fillette de 10 ans qui avait été violée par son oncle a dû se battre devant les tribunaux pour avoir accès à un avortement légal. Le président Jair Bolsonaro avait qualifié cette situation de « crime » et déclaré que l’avortement était « inadmissible » dans ce cas, reflétant ainsi son attitude profondément conservatrice et sa réticence à considérer les réalités complexes auxquelles les femmes brésiliennes sont confrontées.
Les femmes brésiliennes sont confrontées à des défis considérables pour accéder à des avortements sûrs et médicalement encadrés, ce qui a des conséquences graves sur leur santé et leur bien-être. L’histoire de l’avortement au Brésil reflète les tensions persistantes entre les droits reproductifs des femmes et les influences conservatrices dans la société brésilienne. Malgré les efforts déployés par les militants pour les droits des femmes, la législation en matière d’avortement reste inchangée, mettant en lumière la lenteur de l’évolution de cette question cruciale au Brésil.
Récemment (septembre 2023), le Tribunal Suprême brésilien a pris une mesure significative en commençant à examiner un recours en faveur de la dépénalisation de l’avortement. Cette étape représente un développement crucial dans le débat sur les droits reproductifs au Brésil, offrant une lueur d’espoir pour les militants pour les droits des femmes qui luttent depuis longtemps pour un accès plus large à l’avortement sécurisé et médicalisé. Bien que l’issue de cette procédure reste incertaine, cette décision témoigne de la reconnaissance de l’importance de la question de l’avortement et de la nécessité d’un examen attentif de la législation en vigueur pour répondre aux besoins et aux droits des femmes brésiliennes.
Quelques liens et sources utiles
Courrier International, « Au Brésil, la décriminalisation de l’avortement sur la table du Tribunal suprême », 29/09/2023.
Radio France, « Le combat pour la légalisation de l’avortement continue au Brésil », 01/10/2015.
Courrier International, « Quand le Brésil a interdit les pilules abortives, les femmes se sont rabattues sur les dealers », 08/07/2022.