Mayotte est-elle un territoire français à part ?

Dans l’archipel des Comores, entre l’Afrique et Madagascar, se pose de plus en plus fort cette question
Aide humanitaire dans la ville mahoraise d'Ongoujou après le passage du cyclone Chido - Gendarmerie nationale sur X
Aide humanitaire dans la ville mahoraise d’Ongoujou après le passage du cyclone Chido – Gendarmerie nationale sur X

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39 morts et 4260 blessés, tel est le bilan humain du cyclone Chido à Mayotte. La population mahoraise se retrouve aujourd’hui complètement désemparée face à cette catastrophe climatique, puisque nombre d’habitations et d’infrastructures ont été détruits par le cyclone, renforçant par cela la précarité et l’instabilité de Mayotte.

Une situation qui contraste fortement avec la situation des Français de métropole, et même des autres départements d’outre-mer. Si Mayotte est devenue en 2011 le 101ᵉ département français, il faut bien dire que son intégration n’est dans les faits pas aussi aboutie que son attachement historique à la République.

Dans l’archipel des Comores, entre l’Afrique et Madagascar, se pose ainsi de plus en plus fort la question suivante : Mayotte est-elle un territoire français à part ?

Avec sa culture unique, sa population jeune et sa position géopolitique particulière, « l’île aux parfums » est clairement en pleine mutation, avec tous les défis spécifiques et complexes que cela implique. Alors que les prises de paroles et les actions de nos politiques montrent parfois une mauvaise compréhension des enjeux autour de Mayotte, il est donc essentiel de dépasser les clichés et de plonger dans les réalités de cette île hors du commun, très mal intégrée dans le paysage français.

La départementalisation incomplète de Mayotte

Contrairement à la Guadeloupe ou à La Réunion, la départementalisation de Mayotte est récente. Avant 2011, Mayotte avait en effet le statut de collectivité départementale, ce qui lui laissait une autonomie politique et économique assez importante. C’est ce qui explique donc en grande partie pourquoi les politiques publiques et les infrastructures n’y sont pas aussi développées qu’ailleurs en France.

Cette départementalisation récente n’est toujours pas achevée de nos jours, parce que les transitions vers les normes françaises doivent être progressives pour éviter au mieux les déséquilibres économiques et sociaux.

Par exemple, le statut civil de droit commun n’est pas pleinement généralisé à Mayotte. Concrètement, cela signifie que le droit français n’est pas pleinement appliqué partout sur l’archipel, car celui-ci cohabite toujours avec le droit coutumier musulman en vigueur avant la départementalisation.

Si la loi du 25 mars 2019 prévoit l’abrogation progressive de ce statut civil de droit local pour aligner Mayotte sur le droit commun français, cela reste cependant compliqué à réaliser en pratique. En effet, environ 80 % de la population était initialement régie par ce droit local reposant sur des traditions islamiques, qui permettaient notamment la polygamie et d’autres règles spécifiques d’héritage.

À cela s’ajoutent des différences majeures avec la métropole dans le versement des montants du RSA ou du SMIC. De manière assez parlante, ce dernier se chiffrait en novembre 2024 à 1361,97 euros bruts par mois pour un 35h, contre 1801,80 euros bruts en métropole. Des écarts qui sont particulièrement problématiques face aux défis socio-économiques majeurs qui touchent Mayotte.

L’écart socio-économique frappant entre Mayotte et le reste de la France

Incontestablement, Mayotte est le département le plus pauvre de France. Selon l’INSEE, près de 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Cela s’explique par l’interconnexion de plusieurs facteurs, difficiles à imaginer pour un Français de métropole.

D’abord, Mayotte est confrontée à un taux de chômage très élevé. Atteignant en septembre 2024 37 %, celui-ci n’a donc rien à voir avec celui de la métropole, qui s’élève à “seulement” 7.2 %. Face à ça, nombre de Mahorais sont obligés d’avoir recours à des activités informelles pour subvenir à leurs besoins, ce qui a un impact direct sur la collecte des impôts et les ressources publiques.

Par conséquent, Mayotte se retrouve confrontée à un manque criant d’infrastructures. Les systèmes d’éducation, de santé, et d’accès à l’eau potable sont en effet insuffisants pour une population en forte croissance, et peinent donc à répondre convenablement aux besoins des habitants.

Les infrastructures sont d’autant plus mises en difficulté que Mayotte est devenue un point d’attraction pour les populations des Comores voisines, où la pauvreté est encore plus marquée. Des migrations massives viennent donc mettre davantage en difficulté Mayotte, dont 40 % de la population est aujourd’hui étrangère, et souvent en situation irrégulière.

Tout cela génère donc des tensions sociales toujours plus fortes, et complique la mise en œuvre de politiques publiques efficaces pour résoudre des crises toujours plus importantes.

sur la route des badamiers (labattoir, mayotte)
Sur la route des Badamiers (Labattoir, Mayotte) – Jean-Pierre Dalbéra | Creative Commons BY 4.0

La crise démographique explosive de Mayotte

Parmi l’ensemble des crises que doit surmonter Mayotte, il y a bien évidemment une crise démographique

Avec une population dépassant les 310 000 habitants en 2024, l’archipel connaît en effet une densité de population très élevée par rapport à ses infrastructures disponibles. Un phénomène qui s’aggrave jour après jour à cause de la crise migratoire.

Département français le plus jeune, avec plus de la moitié des habitants ayant moins de 17 ans, Mayotte a aussi du mal à entretenir sa fragile économie locale, puisqu’une grande partie de sa population ne travaille pas, ou alimente l’économie informelle.

Mayotte et son identité culturelle très (trop ?) forte

D’un point de vue culturel, l’identité de Mayotte n’a également rien à voir avec le reste du territoire français.

Historiquement, Mayotte faisait en effet partie de l’archipel des Comores, qui était français à l’époque. Elle a toutefois refusé de devenir indépendante lors des référendums de 1974 et 1976, et est donc toujours restée fidèle à l’Hexagone.

Pour autant, l’identité culturelle de Mayotte est restée au fil des années celle tirée de son héritage comorien, nuisant alors quelque peu à son intégration au territoire français. Par exemple, si le français est aujourd’hui la langue officielle de l’archipel, les langues les plus courantes sont de préférence le mahorais, qui est un dialecte bantou, et le kibushi, qui est un dialecte malgache.

De manière plus anecdotique, la population mahoraise est aussi musulmane à plus de 95 %, ce qui influence profondément les pratiques sociales et les fêtes locales, différentes de celles de la métropole, plutôt inspirées par des racines chrétiennes.

L’environnement exceptionnel de Mayotte et sa vulnérabilité nécessitant protection

Enfin, Mayotte est un territoire français à part à cause de son environnement fragile, qui est pour elle un atout autant qu’un défi.

Ce département insulaire possède notamment un lagon exceptionnel, qui est l’un des plus grands et des mieux préservés au monde. C’est ainsi une richesse exceptionnelle pour la biodiversité, mais aussi pour le tourisme. Toutefois, ce lagon est menacé de nos jours par la pollution, la surpêche ou encore l’urbanisation, et n’est pas assez protégé par les autorités françaises, alors qu’il est peut-être la meilleure arme de Mayotte face aux crises qui la touchent.

Ce manque de protection se manifeste aussi dans la lutte contre le changement climatique. Exposée pleinement aux cyclones et à la montée des eaux, Mayotte doit se donner les moyens de protéger ses infrastructures et ses communautés côtières pour limiter au mieux l’impact de chaque aléa climatique sur son développement.

En conclusion, Mayotte n’est clairement pas un département français comme les autres. Ses spécificités socio-économiques, juridiques et culturelles le placent effectivement à part dans le paysage national, et demandent donc inévitablement aux autorités françaises un traitement individuel pour que l’archipel atteigne un niveau de développement comparable aux autres départements. Mais l’Elysée a-t-elle vraiment envie d’investir massivement dans des politiques adaptées aux réalités locales de Mayotte ? Pas sûr…

Quelques liens et sources utiles : 

Foued Laroussi, Fabien Liénard, Plurilinguisme, Politique Linguistique et Education. Quels Eclairages pour Mayotte ?, Publications de l’Université de Rouen et du Havre, 2012

Nicolas Roinsard, Une situation postcoloniale – Mayotte ou le gouvernement des marges, CNRS Editions, 2022

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